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Agnès Jaoui / 2018

Place publique


>> Geneviève Sellier / lundi 21 mai 2018


Depuis qu’Agnès Jaoui réalise des films, elle écrit ses scénarios avec Jean-Pierre Bacri qui incarne souvent une figure masculine à la fois macho et pitoyable, alors qu’elle joue des personnages féminins qui subissent la misogynie ordinaire. Dans Parlez-moi de la pluie (2008), elle incarnait une écrivaine féministe à succès qui tentait de se faire élire députée à Montpellier, suite à l’obligation faite aux partis de présenter des listes paritaires. Elle faisait l’amère expérience d’une campagne électorale marquée par l’hostilité à la présence des femmes dans le monde politique, et finissait par renoncer après que son compagnon ait menacé de la quitter parce qu’elle n’était plus disponible. Jean-Pierre Bacri de son côté était un looser sympathique, faux réalisateur de documentaire et amant sans avenir de la sœur mariée de Jaoui.

Ses films se caractérisent par une sorte d’équilibre déprimant entre des personnages féminins coincés entre désir d’émancipation et assignation aux normes de féminité et des personnages masculins finalement plus pitoyables qu’odieux. Sa collaboration avec Jean-Pierre Bacri, qui fait une partie de son succès, semble s’accompagner d’une tentation de renvoyer dos à dos des personnages masculins et féminins pris dans leurs contradictions. Place publique atteint des sommets dans l’expression de ces contradictions, avec des personnages confrontés au double standard genré du vieillissement.

Castro, l’animateur télé plus ou moins has been que sa productrice Nathalie (Léa Drucker) a invité à sa crémaillère dans sa magnifique propriété de la grande banlieue parisienne, y retrouve entre autres son ex-femme, Hélène (Agnès Jaoui), – sœur de la productrice, militante des droits de l’homme et en couple avec un kinésithérapeute (Eric Vieillard) –, et leur fille Nina (Nina Meurisse) qui vient de publier un roman autobiographique où elle n’épargne pas ses parents. Castro attend avec impatience l’arrivée de sa compagne Vanessa (Hélène Noguera), une belle brune qui a trente ans de moins que lui, mais semble peu disposée à subir encore longtemps sa jalousie maladive.

Au fur et à mesure que la soirée se déroule, Hélène apparaît sous le jour peu flatteur d’une adolescente attardée, toujours amoureuse d’un militant humanitaire (Frédéric Pierrot) qu’elle a connu dans sa jeunesse, lequel finira par la prendre pour confidente de sa propre histoire d’amour avec la fille de Nathalie (qui a trente ans de moins que lui…).

Si le film dénonce clairement la propension des hommes d’âge mûr qui ont un peu de pouvoir social à jeter leur dévolu sur des femmes qui ont l’âge d’être leur fille, les femmes d’âge mûr en prennent aussi pour leur grade. Hélène qui passe toute la soirée à harceler les invité.e.s pour qu’ils/elles signent sa pétition pour une réfugiée afghane, semble vivre dans un monde aussi illusoire que son ex, et le couple que forme Nathalie avec son homme à tout faire polonais est encore moins crédible que celui d’Hélène avec son kinésithérapeute.

On a l’impression que le scénario est écrit de façon à établir un « équilibre » entre les contradictions des hommes et celles des femmes, et que tout le monde est renvoyé à sa propre médiocrité. Comme une version consensuelle mais dépolitisée du célèbre adage d’Octave (Jean Renoir) dans La Règle du jeu : « Tu comprends, sur cette terre, il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons. »


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