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Darren Star

Emily in Paris


>> Ginette Vincendeau / mardi 20 octobre 2020

Sex & clichés


Série de 10 épisodes de 30 minutes, produite par Netflix (2020).


Emily (Lily Collins) est une jeune Américaine originaire de Chicago qui travaille dans le marketing des produits de luxe. Sa firme, Savoir, l’envoie dans le bureau parisien, alors qu’elle ne parle pas un mot de français, avec pour mission d’éclairer les Français, notamment sur l’utilisation des réseaux sociaux. En butte à l’hostilité de ses collègues qui la prennent de haut, surtout sa patronne Sylvie (Philippine Leroy-Beaulieu), elle fait peu à peu ses preuves. Elle sympathise avec une jeune Chinoise au pair, Mindy (Ashley Park), et tombe amoureuse de son voisin Gabriel (Lucas Bravo), mais celui-ci sort avec son amie Camille (Camille Razat).

La nouvelle série créée par Darren Star (Sex & The City) a déjà fait couler beaucoup d’encre pour sa représentation ultra stéréotypée de la France et des Français. Depuis les films de Maurice Chevalier dans les années 1930 (Love Me Tonight/Aimez-moi ce soir, 1932) comme dans les années 1950 (Gigi, 1958), on avait en effet rarement vu un étalage aussi flagrant de stéréotypes. Dans Emily in Paris, les Françaises sont sexy et élégantes et les Français des séducteurs invétérés ;

d’ailleurs, tout le monde a un amant ou une maîtresse. La ville-lumière est une enfilade de merveilleuses cartes postales où d’adorables bistrots servent une cuisine délicieuse préparée par de séduisants jeunes chefs. Lorsqu’on quitte Paris, on se retrouve forcément dans un château. Il serait cependant un peu plouc (une des insultes lancées à Emily par Sylvie) de s’en étonner. Comme Sex & The City, la nouvelle série s’assume en comédie romantique située dans un monde de fantaisie au second degré, signalé par l’abondance de couleurs pastel, les tenues farfelues d’Emily et une bande-son pop au rythme trépidant. Emily in Paris donne à fond dans la parodie et le clin d’œil, y compris à Sex & The City. Emily rejoue même certaines scènes de Carrie (Sarah Jessica Parker) dans les épisodes parisiens de la série culte diffusée de 1998 à 2004 : par exemple quand elle s’extasie à la vue de la Tour Eiffel, ou bien lorsqu’elle pose malencontreusement son escarpin dans une crotte de chien. Sans oublier le milieu du luxe et de la mode, les tenues extravagantes, ou le collègue gay aux expressions très camp. S’attendre à une vision réaliste des choses de la part de Darren Star serait certes naïf.

On peut néanmoins, sans être totalement ringarde (autre accusation portée contre Emily), percevoir qu’un certain nombre des lieux communs sur les Français brassés par Emily in Paris ont le goût amer d’un French-bashing aux relents xénophobes. Tout en étant élégants et gastronomes, les Français sont également arrogants (voir l’inénarrable « professeur de sémiotique » dans l’épisode 6), sales (pouah ! l’odeur des gens dans le métro !) et paresseux. Les employés de Savoir arrivent au bureau en fin de matinée et passent leur temps à déjeuner ou aux terrasses des cafés.

Quand Sylvie met Emily à la porte, ses collègues la rassurent : en France il est impossible de licencier. On croirait lire un des best-sellers de Ted Stranger comme Sacrés Français ! (2003) ou Sacrés Français ! Le Roman (2005), sur des Américains qui découvrent un pays où il y a des syndicats et les 35 heures, bref des lois du travail. Le monde d’Emily in Paris est un monde de privilégiés où les gens « ordinaires » n’apparaissent qu’en filigrane, mais toujours négativement – ceux qui transpirent dans le métro, la concierge acariâtre, la boulangère qui corrige sèchement le français d’Emily, le chauffeur râleur. Faut-il ajouter que c’est un monde blanc, avec un seul personnage noir, Julien (Samuel Arnold), qui cumule son identité racisée avec le cliché du gay comiquement outrancier.

À une époque où les représentations racistes sont, fort heureusement, de moins en moins tolérées, il semble que la France joue le rôle « utile » d’une culture que l’on peut impunément à la fois réifier dans un exotisme de pacotille et dénigrer. Bien entendu, la série se moque aussi un peu des Américains, mais le but de chaque épisode est de faire triompher Emily en montrant que ses idées « américaines », originales et ouvertes au monde moderne sont pleines de bon sens, ce que ces prétentieux Frenchies sont bien obligés de reconnaître. Les voilà, les vrais ploucs et les ringards.

En tant que « rom-com » qui vise les femmes et met en scène une culture très féminisée, Emily in Paris a-t-elle quelque chose d’intéressant à dire sur les rapports genrés ? Hélas, nous ne sommes plus dans Sex & The City . Cette précédente série, au-delà de sa frivolité revendiquée et de ses aspects conventionnels sur les normes de beauté et la sexualité, présentait un intérêt certain d’un point de vue féministe pour trois raisons. Premièrement, pour l’accent mis sur la solidarité féminine : les rapports entre le quatuor d’héroïnes dominaient de loin leurs relations avec les hommes. Deuxièmement, Sex & The City passait en revue, au fil des saisons, des questions importantes concernant les femmes au travail, la maternité et la sexualité. Enfin, les héroïnes n’étaient plus des gamines et la série abordait la question de l’âge. Rien de cela dans Emily in Paris, qui ne reprend que les éléments les plus conventionnels de Sex & The City. Emily fait une taille fillette, et en dehors de Julien, dont le rôle est subalterne, nous sommes dans un monde résolument hétérosexuel.

Son attitude de brindille sautillante, son langage et ses vêtements souvent infantilisants, proclament son extrême jeunesse (même si l’actrice a 32 ans) ; face à elle, Sylvie, malgré le talent de Philippine Leroy-Beaulieu, ne peut que représenter la femme mûre aigrie (c’est elle qui constamment attaque Emily), humiliée en amour et dont l’autorité professionnelle est constamment sapée par une gamine.

Les rapports de solidarité entre Emily et ses amies de son âge sont par ailleurs minimisés. La dynamique Mindy sert surtout à « traduire » les Français pour Emily, car elle parle leur langue et Camille n’existe que par rapport à Gabriel.
Le troisième épisode, intitulé « Sexy ou Sexiste ? », semble prometteur. Emily s’insurge quand un client de Savoir filme une publicité pour un parfum en faisant défiler une jeune femme complètement nue entre deux rangées d’hommes (habillés) sur le pont Alexandre III.

Questionnée par le client et par Sylvie pour savoir où est le problème à montrer le corps d’une femme « sublime » dont le rêve est (évidemment) de provoquer le désir des hommes, Emily répond que la femme nue est objectifiée par le male gaze. Pas trop tôt ! Cependant, elle est incapable d’en dire plus lorsqu’on lui demande de définir ce terme. L’épisode fait là d’une pierre deux coups : le client macho et surtout Sylvie, qui a auparavant critiqué le politiquement correct et le mouvement #balancetonporc, permettent à Emily in Paris de faire un carton sur certaines positions françaises notoirement sexistes. Il est vrai que sur ce sujet la France prête le flanc (voir la lettre anti-#MeToo signée entre autres par Catherine Millet et Catherine Deneuve en janvier 2018), mais la situation aurait pu être plus nuancée, c’est le moins qu’on puisse dire. Surtout, en montrant Emily incapable d’expliquer le male gaze, elle qui a d’habitude réponse à tout, c’est le concept féministe en général qui est dénigré comme creux et superficiel. Au-delà des stéréotypes sur la France et les Français, Emily in Paris est tout simplement réactionnaire.


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