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Henri Decoin / 1952

La Vérité sur Bébé Donge


>> Geneviève Sellier / dimanche 22 octobre 2017


Par Noël Burch et Geneviève Sellier (in La Drôle de Guerre des sexes du cinéma français 1930-1956, Nathan 1996, réédit. Armand Colin 2005)


Henri Decoin a mauvaise réputation parmi les « spécialistes » – cinéphiles, critiques, historiens. A ce digne représentant de la douteuse « qualité française », on reconnaît de l’habileté, mais de « personnalité », point, de « vision du monde », encore moins.

Jugement en partie mérité. Mais, pour qui voudrait dépasser le culte de l’« auteur » au sens des Cahiers du cinéma, la production de ce cinéaste est passionnante : mieux qu’aucun autre réalisateur français (excepté peut-être le revenant Maurice Tourneur), il sent d’instinct toutes les « sautes de vent » : en 1937, Abus de confiance (déjà avec Darrieux) exprime à la fois les craintes du patriarcat devant les avancées des femmes, et la nostalgie monarchiste de l’intelligentsia conservatrice devant la menace du Front populaire. En 1941, Premier rendez-vous (encore avec Darrieux) est l’un des premiers films à dire le discrédit de la figure du père et la foi en une régénération de la masculinité par les femmes. En 1945, La Fille du diable (avec Andrée Clément), film de la « normalisation », signifie aux jeunes – et notamment aux jeunes femmes rebelles – qu’il est temps de rentrer dans le rang, que l’héroïsme de la Résistance (symbolisé par Pierre Fresnay en gangster sans foi ni loi) n’est plus un modèle (il se convertit aux valeurs bien pensantes de paix sociale). En 1947, Les Amants du pont Saint-Jean (avec Gaby Morlay et Michel Simon), l’un des films les plus attachants de notre cinéaste, témoigne enfin amèrement du « rêve insensé » de nouvelles relations dans le couple qu’avait fait naître la Libération.

Mais c’est en 1952 que Decoin signe sa plus grande œuvre, La Vérité sur Bébé Donge, d’après Georges Simenon. De toute l’histoire du cinéma français, ce film est sans doute celui qui met à nu avec le plus d’acuité psychologique et de lucidité sociale, la guerre des sexes telle qu’elle se déroule dans l’enceinte bien gardée du patriarcat grand bourgeois, avec une écriture d’une austérité tout bressonnienne. Ici encore, Decoin est le baromètre de son temps : la guerre des sexes n’a jamais été aussi intense sur les écrans français – et dans la tête des hommes en France, sans doute – qu’entre 1945 et 1955.

La réussite exceptionnelle de ce film est sans doute due aussi à ce qu’un réalisateur chevronné a su regrouper autour de lui une équipe particulièrement brillante : le scénariste Maurice Aubergé (collaborateur de Jacques Becker pour Falbalas), le compositeur Jean-Jacques Grunenwald (Antoine et Antoinette, Les Dames du bois de Boulogne, Le Journal d’un curé de campagne), l’opérateur Léonce Burel (Napoléon d’Abel Gance, Boudu sauvé des eaux, Le Journal d’un curé de campagne), le décorateur Douarinou (Un carnet de bal) et une distribution dominée par Jean Gabin et Danielle Darrieux dans des rôles où l’on sent, de la part de ces deux monstres sacrés, un degré d’engagement qui se faisait rare depuis la guerre.

Si ce film cherche à rendre compte des « raisons de chacun » dans un esprit finalement proche de Renoir ou Grémillon, il n’en affirme par moins un point de vue de classe et surtout de sexe d’une radicalité très insolite dans le cinéma français d’alors comme d’aujourd’hui.

Ce film appartient à un genre, le « film noir » français, remarqué même à l’époque par certains critiques comme Georges Saoul ou François Truffaut pour sa misogynie. Mais dans ce registre, le film de Decoin est aux antipodes exacts de Manèges (Yves Allégret, 1949), le chef-d’œuvre du genre, auquel il ressemble pourtant sur le plan de l’histoire et de la narration. La Vérité sur Bébé Donge est comme une réplique point par point aux mythes véhiculés par Manèges. Et d’abord par l’inversion des rôles sexuels : dans le film de Decoin, c’est le mari qui est à l’article de la mort dans une chambre d’hôpital semblable à une cellule de condamné à mort, et c’est sa femme, spectre déjà endeuillé en tailleur noir et chignon strict, qui lui rend brièvement visite chaque jour, contrainte et forcée par une belle-famille soucieuse des convenances. Là où Allégret et Sigurd font passer Robert (Bernard Blier) de la condition d’innocent dupé par les femmes à celle d’homme endurci et dégoûté de la perfidie féminine, François (Gabin), lui, passe de l’état de phallocrate pur et dur à celui d’homme qui prend conscience de l’aliénation patriarcale. Et alors que Dora (Simone Signoret) était la victime d’une fatalité « punitive », ici c’est Elisabeth Donge dite Bébé (Darrieux) qui a versé de l’arsenic dans le café de son mari.

L’homme est ici l’unique narrateur (contrairement au film d’Allégret où les femmes lui confisquent la parole pour le narguer), et l’histoire qu’il a à charge de raconter est une sorte d’« auto-réquisitoire », car quoiqu’il en soit des réticences de la voix off, les flash-backs eux-mêmes démontrent sans ambiguïté que ce geste meurtrier était pour Bébé la seule issue.

François Donge (Gabin), capitaine d’industrie, dirige une tannerie à Annonay ainsi que diverses entreprises annexes avec son frère Georges (Daniel Lecourtois). Il est aussi un célibataire endurci, adulé par les femmes. Emblématiquement, ses relations avec elles excluent tout lien affectif réel mais relèvent souvent en revanche d’un intérêt économique ou professionnel certain (une femme du monde qui s’entremet pour une affaire, une secrétaire particulière aussi compétente que « sexy »).

Pourtant, François comprend que la concentration des capitaux passe par un mariage de raison et une dot. La marquise d’Otremont (Gabrielle Dorziat), amie de la famille qui « fait des couples », personnification de l’économie patriarcale et bourgeoise, lui propose d’arranger pour lui une union avantageuse, comme elle l’a déjà fait pour son frère. Mais lui récuse les laiderons à dot qu’elle envisage, plaçant ainsi son intérêt libidinal au-dessus de la rationalité capitaliste. Et ce n’est pas le moindre intérêt du film que de suggérer ainsi que les intérêts du père économique et du père libidinal ne coïncident pas toujours.

Dès le premier retour en arrière, qui narre la rencontre entre François et Bébé, celle-ci découvre le caractère autoritaire et libertin de cette « force de la nature », lorsqu’il reproche vivement à l’étrangère qu’elle est encore pour lui, d’avoir acheté tout le stock de loukoums d’une confiserie parisienne où lui-même voulait s’approvisionner, accompagné d’une de ses conquêtes. Ces loukoums, tous deux les destinent en fait à la même personne, la future belle-mère des deux frères.

Déjà fascinée de loin par cet homme volontaire et caparaçonné, Bébé le voit rejoindre une première maîtresse dans un taxi, puis embrasser une deuxième sur le quai de la gare avant de prendre le train qui les emmènera tous deux, chacun de son côté, vers la sous-préfecture ardéchoise. Elle sait donc déjà à qui elle a affaire, et ce qui l’attire en lui, c’est précisément le défi qu’il incarne pour sa sensibilité aux antipodes de ce « gagneur ».

Tous les flash-backs étant racontés par la voix intérieure de François sur son lit d’hôpital, ces entorses initiales à l’unicité de point de vue (Gabin ne peut voir Darrieux qui épie ses faits et gestes) sont comme un premier signal de la nouvelle clairvoyance de François sur son lit d’hôpital, depuis que sa femme « a mis une saloperie dans [son] café ». Cette clairvoyance est d’ordre tragique en l’occurrence, puisqu’il est maintenant trop tard à tous égards, mais elle constitue la rupture qui habilite le récit : François « se voit » du point de vue de sa femme, qui est en fait le point de vue du film.

Cet homme qui parle s’est donc identifié à une femme, son corps ayant d’ailleurs été réduit à une position « féminine » de dépendance par la poison. Jamais l’acteur Gabin n’était parvenu à « déviriliser » à ce point son personnage, jamais non plus sa « virilité » – telle qu’elle apparaît dans les flash-backs – n’a été plus odieuse que dans ce premier rôle de capitaliste sûr de lui (qui en annonce bien d’autres, notamment sous la direction de Denys de la Patellière). Le film reprend les traits du mythe Gabin d’avant-guerre en les présentant sous un angle critique, comme l’avait déjà fait Grémillon dans Remorques.

Peu après la rencontre fortuite de Bébé et Donge à Paris, est donnée à Annonay la première d’une série de réceptions qui vont structurer le film : la dernière se déroule au présent, hors du récit de François, le soir même de sa mort et de l’arrestation de sa femme.

Lors de la première réception, l’innocente, la romantique Bébé – « Personne n’a jamais réussi à m’appeler Elisabeth » dira-t-elle comme un défi – engage avec cet homme qui la fascine un flirt en forme de duel, interrompu périodiquement – chaque fois qu’une des questions « naïves » de Bébé embarrasse ce « robot mâle » (Feigen-Fasteau, 1980) – par les contraintes d’une partie de bridge à laquelle François participe distraitement et toujours dans le rôle du mort – définition effectivement parfaite du personnage.

D’emblée, tout oppose les deux êtres : Bébé, rêveuse, sensible, au franc-parler imperturbable, toujours prête à sonder son âme et celle des autres, se livre tout entière au frisson du coup de foudre : François, totalement coupé de ses propres sentiments et repoussant ceux des autres, ne croit qu’à deux choses : la jouissance immédiate (« la vie ») et le travail (plus tard dans le film, ce brasseur d’affaires met la main à la pâte dans sa propre usine). Autrement dit, ce qui oppose les protagonistes du film est tout ce qui oppose, typiquement, les hommes et les femmes sous le patriarcat.

Pourtant – et c’est ce qui va conduire à cette alliance paradoxale – chacun voit dans l’autre un défi à relever, même si le défi n’est pas de même nature : pour Bébé, il s’agit de tout risquer pour percer la carapace de François, lui révéler l’amour passion, l’amour romantique qu’en tant que femme elle éprouve si naturellement ; pour François, le défi relève davantage du jeu : Bébé est un petit animal rétif qui le change des femmes blasées qu’il fréquente. Mais en épousant cette jeune vierge, il ne fait qu’égratigner les conventions de son milieu. Car si son épouse est pauvre, c’est Jeanne, la soeur aînée de Bébé et l’épouse de son frère, qui hérite ; la fortune reste dans la famille. Par ailleurs, ce mariage entre un homme déjà mûr et une jeune fille – un « bébé » – reconduit au niveau des apparences sociales le couple « incestueux » typique du cinéma d’avant-guerre, mais avec ici des conséquences désastreuses.

Cette première rencontre se termine donc par un baiser où s’exprime toute l’impétuosité de Bébé et qui conduira droit à l’église par la grâce d’une ellipse qui, elle, traduit tout le volontarisme de François Donge.

L’étonnante séquence du mariage religieux n’est qu’une continuation chuchotée du jeu de questions et réponses, Bébé persistant à poser, comme elle ne cessera de le faire tant qu’elle espère percer les défenses de François, les mêmes « devinettes » embarrassantes. « Qu’est-ce qu’un couple ? » « Qu’est-ce que l’amour ? » « Qu’est-ce que le désir ? » Et François, toujours aussi fermé : « Crois-tu que le moment soit bien choisi ? »

Ainsi commence un mariage placé sous le signe du père : le hideux portrait de père de François et Georges, dont les yeux exorbités semblent suivre Bébé partout, trône au mur de la chambre conjugale. Bébé supporte mal cette présence muette, alors que son mari « ne le voit même plus ». Le tableau descendra dans le bureau de François. Et l’une des scènes les plus pathétiques du film sera celle où Gabin se lève la nuit pour découvrir Darrieux, désespérée par la destruction de ses rêves d’amour, traînant dans l’escalier l’énorme portrait du père, trop lourd pour elle, qu’elle veut réinstaller dans la chambre conjugale, dans une sorte de geste suicidaire.

La « vie de femme » de Bébé commence avec sa brève lune de miel dans la chambre d’un palace de la Côte d’Azur où, à une observation de François touchant à leur avenir de couple, Bébé répond : « Je crois bien que je ne veux pas d’enfant du tout » ; elle s’achève quand, ayant découvert horrifiée que Gabin a renoué des relations sexuelles avec sa secrétaire, elle lui demande de lui faire un enfant sur le champ : il la gifle, puis la viole. Ce moment est non seulement le point culminant de la dramaturgie mais contient aussi le propos le plus subversif du film qui rappelle à plusieurs reprises que l’instinct maternel n’est quelquefois que le dernier recours pour les femmes qui ne peuvent communiquer avec leur mari. Le parcours entre ces scènes, entre le refus libertaire de la maternité et l’acceptation résignée de cette condition, n’est-il pas le parcours le plus typique pour des millions de femmes sous le patriarcat ?

Quant à l’épisode de la lune de miel (scandé, hors champ du récit, par des rendez-vous d’affaires, et que François a prévu par avance de faire interrompre par un télégramme faussement urgent !), il met le doigt sur une autre plaie : la complicité sexuelle, par-dessus la barrière des classes, qui ligue les hommes contre les femmes. L’unique séquence du film à introduire des « travailleurs », met en scène sur un mode comique un liftier voyeur, émoustillé par les tendresses échangées entre Gabin et Darrieux dans son ascenseur. De tout le film, ce sera d’ailleurs le seul moment de tendresse de François, car aussitôt après l’ellipse qui signale la première étreinte du couple, nous le voyons retiré dans sa carapace, au point que Bébé croit l’avoir déçu. Lorsqu’elle s’effarouche de ce qu’il ait révélé sa nudité au liftier lubrique en lui ouvrant la porte pour un whisky, Gabin fail la leçon à sa nouvelle épouse : il est normal qu’un homme ait envie de la voir au lit, ce liftier aimerait simplement être à sa place à lui. Autrement dit : « Nous autres hommes sommes tous des coureurs, et il est normal qu’un domestique envie au maître la belle femme qu’en signe de richesse il a dans son lit. »

La guerre a commencé : et dans un premier temps, Bébé rend coup sur coup. Sa réponse au faux télégramme et au voyage de noces interrompu est de feindre une entorse pour se faire porter par François au moment de franchir le seuil conjugal. Ce n’est que lorsque Jeanne s’étonne de le voir « romantique à ce point », qu’il comprend qu’il vient d’accomplir ce geste qui correspond à un sentiment qu’il ne veut pas éprouver… et de reposer Bébé par terre.

A la suite de la naissance de l’enfant conçu dans la rage et le désespoir, la vie de Bébé « se normalise » : élevant l’enfant – invisible dans les coulisses du film –, elle n’existe désormais à l’écran que par ses apparitions au cours des somptueuses réceptions annuelles organisées par les Donge. Ses rapports avec son mari, extérieurement « sereins » se ramènent à des provocations à mi-voix du genre : « voilà une belle femme pour toi », à quoi Gabin répond en substance : « chiche ! »

En fait, et malgré son mariage « désintéressé » avec l’impécunieuse Bébé, la contradiction entre le capitaliste et le libertin n’est qu’une apparence : si pour ce grand bourgeois, la pratique du « double standard sexuel » relève du ludique (c’est précisément parce qu’il a beaucoup de maîtresses que « cela n’a aucune importance », explique-t-il brutalement à Bébé), l’argent n’est jamais loin des fredaines de François, toutes les femmes (sauf précisément Bébé) ayant une valeur d’échange. Au moment du drame, il a une liaison avec l’épouse du docteur Jalabert (Jacques Castelot) qui a obtenu en échange de sa « tolérance » un important financement pour sa nouvelle clinique. Or, c’est dans cette même clinique que François Donge passera une semaine d’agonie. Et la corruption qui sous-tend la nervosité du médecin devant la difficulté de sa tâche, incarne à merveille ce « principe de réalité » patriarco-bourgeois contre lequel vient se briser le rêve d’amour idéal de Bébé.

Les scènes au présent, dans et autour de la clinique où se déroule la longue agonie de François, sont articulées sur le lent rapprochement entre Bébé et le doux juge d’instruction (Marcel André) qui figure en quelque sorte son destin. Mais ce personnage est tout sauf une image d’Epinal. Dans un sens, le film dans sa brutalité est bâti sur ce parcours convergent entre Bébé et le juge, puisque nous voyons pour la première fois celui-ci assis à côté de François lors de la partie de bridge, comme un « contre-champ » du grand flirt en forme de duel déjà évoqué.

Ce juge rôde autour de la chambre de François pour pouvoir s’entretenir avec celui qu’il suppose, malgré les dénégations familiales, être la victime d’une tentative criminelle. Croisant, de plus en plus près, Madame Donge venue rendre sa rituelle visite quotidienne à son mari, il aura, vers la fin du film, une étonnante conversation avec celle qu’il est seul à appeler par son nom de femme : Elisabeth. Parmi tous les personnages du film, lui seul comprend le geste meurtrier de Bébé : au terme d’un interrogatoire plein d’égards, il lui demande la permission de l’embrasser. Cette figure de bon père qui comprend la raison des femmes, semble issue d’un ordre plus ancien et plus humain (parce que plus rural ?) : la voiture à cheval qui est comme l’emblème du personnage et où il finit par faire monter Darrieux pour parler avec elle, détone parmi les rutilantes automobiles de 1952. Quant au baiser sur la joue qu’il lui donne en prenant congé d’elle, c’est la bénédiction d’une « loi supérieure » (mais parfaitement laïque et républicaine), par laquelle le film tient à absoudre l’empoisonneuse… de peur peut-être que les spectateurs ne la confondent avec les « salopes » malfaisantes qui peuplent alors les écrans français !

Une comparaison avec le roman de Simenon montre que ce film est une création originale des auteurs du film, mais surtout qu’il appartient bien à l’époque de sa production. Si la trame narrative de roman, écrit de 1940, est en gros la même, aucune scène ni même aucune réplique, du film n’est reprise de Simenon. D’autre part, si l’histoire de Simenon est racontée, pour l’essentiel, du point de vue de François Donge hospitalisé et disposé à comprendre sa femme, le « problème » de leur couple se ramène en dernière analyse à la double insuffisance sexuelle de Bébé « qui n’a jamais su faire l’amour » et que François d’ailleurs n’a jamais désiré non plus (mais sans qu’aucun lien de causalité ne soit suggéré entre ceci et cela). Le mariage s’est fait sans coup de foudre et sans qu’aucun défi ne soit relevé de part ou d’autre : il s’agit plutôt d’une sorte d’émulation entre frères et sœurs. Et enfin, le personnage de François n’a lui-même pas le moindre éclat, c’est l’anti Gabin par excellence (on songe davantage à Bernard Blier).

Chez Simenon, la frigidité implicite de Bébé n’est pas de sa « faute » : enfant, elle a été traumatisée par une sorte de « scène primitive », assistant involontairement aux ébats d’un couple de domestiques. De cet éclairage centré sur le sexe (François est marié « par erreur » à une femme qui ne sait le satisfaire) découle la « normalité » implicite du caractère et du comportement de ce mari qui a épousé un « cas ». Si l’insensibilité masculine est égratignée par-ci par-là, c’est tout de même l’insondable âme féminine qui est sur la sellette. Et Simenon opte pour un happy end dont Decoin et Aubergé n’auront que faire : François survit à l’empoisonnement et assiste au procès de Bébé. Celle-ci, bien que bénéficiant de circonstances atténuantes (implicitement : le trauma enfantin), ira en prison pour quelques temps, tandis que François reprend le cours de sa vie avec l’espoir (tout de même signalé comme dérisoire) que sa femme pourrait un jour lui revenir. Quant au juge d’introduction, il apparaît comme « un homme dont les opinions politiques sont d’extrême-droite » suffisant et imbu de lui-même, et qui ne comprend absolument rien aux dessous de l’affaire qu’il instruit, même tels que les imagine Simenon.

Bref, d’une sorte de Madame Bovary du pauvre, Decoin, Aubergé et leurs collaborateurs firent un film digne des romans de Virginia Woolf.

Polémiquons.

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