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Francis Girod / 1980

La Banquière


par Geneviève Sellier / jeudi 21 septembre 2023

Un "film-véhicule" pour Romy Schneider.

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Découvrir La Banquière 43 ans après sa sortie est une expérience intéressante. Tout d’abord, il faut reconnaître que le film tient encore le coup grâce à Romy Schneider, dont le jeu et le charisme irradient tous les plans (elle a 41 ans à l’époque et meurt deux ans plus tard). Le film s’est d’ailleurs construit économiquement sur son nom et l’histoire de Marthe Hanau, dont se sont inspirés Francis Girod et Georges Conchon, est « réécrite » pour correspondre à la « persona » de la star [1] : d’une part le lesbianisme assumé de la « vraie » banquière alsacienne d’origine juive, est contrebalancé par l’invention d’une passion amoureuse avec le beau Daniel Mesguich, dont le poitrail velu est complaisamment exhibé à plusieurs reprises, comme gage d’érotisme viril sans doute !

Il était clairement impensable en 1980 d’identifier Romy Schneider, la star la plus glamour de l’époque, à un personnage de lesbienne dur et pur. Emma Ekhert, le personnage de fiction, est présentée comme bisexuelle, mais le récit filmique met surtout en avant sa liaison hétérosexuelle.
Si la première partie du film étale un luxe de décors et de costumes évoquant les « années folles », la seconde partie, beaucoup plus sobre, se focalise sur les souffrances d’Emma, à partir du moment où le banquier Vanister (Jean-Louis Trintignant, glaçant) décide avec la complicité du pouvoir conservateur en place, de la détruire. Romy Schneider renonce alors à tout glamour pour jouer la révolte, la détresse, l’humiliation, la souffrance physique et morale. C’est un véritable chemin de croix que lui fait subir le film, jusqu’à son assassinat en plein meeting (alors que Marthe Hanau s’est suicidée dans sa cellule).

On en vient alors à la question politique que pose ce film : comment deux hommes réputés « de gauche » – ils avaient déjà fait ensemble L’État sauvage en 1978 et Georges Conchon était le scénariste de Sept morts sur ordonnance et Le Sucre (Rouffio, 1975 et 1978), La Victoire en chantant (Annaud, 1976) et Judith Therpauve (Chéreau 1978) – ont pu transformer une affairiste pratiquant ce qu’on appelle aujourd’hui un système de Ponzi, en une défenseuse des petits épargnants et une victime de « grand capital », proche du cartel des gauches… Autant on peut les suivre dans la dénonciation du sexisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie des milieux d’affaires et des institutions policières, judiciaires et politiques, autant on a du mal à se laisser convaincre du caractère progressiste d’Emma Eckert quand on la voit allègrement corrompre les politiciens de son entourage et créer des journaux dont le seul but de soutenir ses opérations financières. Seuls la beauté et le charisme de la star permettent de faire passer une telle torsion de la vérité historique…

Reste un étonnant défilé de tout ce que le cinéma français de l’époque comptait d’acteurs masculins chevronnés pour entourer la star : Jean-Claude Brialy, Jacques Fabbri, Daniel Mesguich, Jean-Louis Trintignant, Claude Brasseur, Jean Carmet, Daniel Auteuil, Thierry Lhermitte, façon indirecte de confirmer le statut hors normes de Romy Schneider.


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[1Voir Marion Hallet, Romy Schneider, A Star Across Europe, Londres, Bloomsbury Academic, 2022.