Premier long métrage de la réalisatrice franco-portugaise Cristina Pinheiro, Menina dresse le portrait d’une petite communauté d’immigrés portugais dans le midi de la France dans les années 1970, à travers le regard de la petite Luisa (Naomi Biton), une fillette d’une dizaine d’années. Nous découvrons un milieu ouvrier en bordure de la Camargue (du côté de Port-Saint-Louis-du-Rhône), et la famille de Luisa qui vit dans un modeste cabanon : la mère dépressive, le père alcoolique et malade, le frère aîné qui court les filles.
Menina est un film à la fois touchant, poétique, troublant et analytique. Comme La Cage dorée (Ruben Alves, 2013) et Tous les rêves du monde [1] (Laurence Ferreira Barbosa, 2017) cette œuvre largement autobiographique traite de l’identité hybride des enfants de la deuxième génération d’immigrés portugais, nés ou scolarisés en France, déjà distanciés de la culture de leurs parents – quand ceux-ci parlent de Salazar elle entend « Saint-Lazare ». Luisa incarne la position de la réalisatrice qui, dans une phrase reprise maintes fois par la presse, déclare : « je suis française mais je suis portugaise, je suis portugaise mais je suis française ».
La situation des parents est à la fois plus claire et plus douloureuse : proches de leurs racines portugaises ils se sentent aliénés en France et rêvent d’un impossible retour au pays. La langue, la musique et la cuisine jouent un rôle identitaire important. Cependant à cet égard, Menina est l’anti Cage dorée. Cette charmante comédie – un succès en France avec plus d’un million de spectateurs, et au Portugal – met en scène une famille de Portugais à Paris, inspirée de celle du réalisateur. La mère (Rita Blanco) est concierge dans le 16e, le père (Joaquim de Almeida) est maçon – tous deux sont des travailleurs modèles. Preuves d’une intégration réussie, la fille aînée est avocate, le fils ado fréquente un lycée chic. L’héritage inattendu d’une maison au Portugal et le fait que la fille tombe amoureuse (et bientôt enceinte) d’un Français qui n’est autre que le fils du patron de son père, bouleverse la famille qui commence à se poser des questions identitaires. Mais les conflits se résolvent dans le rire consensuel, d’autant plus que le patron et sa femme sont incarnés par Roland Giraud et Chantal Lauby, deux acteurs comiques très performants, ou au son déchirant de magnifiques fados (mais qui s’en plaindrait…) .
Cristina Pinheiro ne s’encombre pas de de pittoresque, musical ou autre. Avec des moyens visiblement modestes, elle réalise un film dépouillé, parfois cru, tourné en décors naturels et sans stars, du moins pour le public français. Mais si Menina évoque en toile de fond le rapport compliqué entre deux cultures, son véritable sujet traite des sentiments filiaux contradictoires de Luisa, tiraillée entre son père et sa mère.
En focalisant son récit sur la fillette (le sens du mot « menina » en portugais), la réalisatrice navigue de manière ambigüe entre l’amour d’une enfant pour ses parents et sa vision « innocente » mais lucide des inégalités entre eux. Séduisant, alcoolique et violent, le père João (Nuno Lopes) incarne le dominé social qui n’en est pas moins dominant sexuel. En confiant à Luisa qu’il souffre d’une maladie mortelle, il rend la fillette, ainsi que le spectateur, complice de ses problèmes existentiels, et laisse la mère Leonor (Beatriz Batarda) plus ou moins hors du circuit narratif. Même si la fillette nous permet d’observer la dépression et l’isolement de celle-ci, Leonor compose une figure revêche et distante, dénuée du pathos qui s’attache au beau João, dont la mort conclut le film.
Violence du père macho mais séducteur, oppression de la mère, cruauté du monde rural, tout cela sous le regard des enfants : Menina n’est pas sans évoquer Y-aura-t-il de la neige à Noël ? de Sandrine Veysset (1996). Comme celui-ci, il s’agit d’un premier long métrage prometteur. On attend le prochain.