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Nawell Madani et Ludovic Colbeau-Justin / 2017

C’est tout pour moi


>> Geneviève Sellier / mardi 5 décembre 2017


La réception de ce film est intéressante. Récit autobiographique de la success story d’une hu-moriste belge d’origine algérienne, le film donne lieu dès sa sortie à une polémique parce que les appréciations positives des internautes sur Allociné (4,6/5) seraient en décalage suspect avec les appréciations de la critique (3,1/5). La réalisatrice, qui est aussi l’actrice principale, est immédiatement accusée d’avoir fait booster artificiellement les appréciations. Mais le box office semble confirmer le bon accueil du film par le public : 58 033 entrées le premier jour pour 288 salles (il arrive en 2e place après Coco, le dessin animé de Pixar).

Or, cet écart entre le public et la critique est un phénomène absolument courant s’agissant d’une comédie populaire, genre aussi méprisé par la critique qu’apprécié par le public. Cet écart récurrent (que j’ai pu par exemple constater au moment de la sortie d’Intouchables) fait pourtant l’objet d’une polémique à propos d’un film dont l’autrice principale est une femme racisée qui ne cautionne pas le discours dominant dans ce sous-genre (la success story d’un·e « jeune de banlieue ») comme le font par exemple les récents Le Brio ou Le Prix du succès. Dans ces deux films (chroniqués également sur Le genre & l’écran), la clé de la réussite est l’intégration dans le milieu professionnel blanc, l’appropriation des « valeurs de la République » par le ou la protagoniste et le rejet des traits culturels et de la sociabilité des quartiers populaires.

Nawell Madani pointe au contraire les difficultés particulières qu’elle a dû affronter en tant que femme racisée dans le show business, y compris au Jamel Comedy Club qu’on peut aisément identifier bien qu’il ne soit pas nommé. En revanche, la rupture avec son milieu d’origine n’est jamais montrée comme une nécessité pour réussir : au contraire, elle survit grâce au soutien moral de ses amies d’enfance et l’opposition de son père à ses ambitions artistiques n’est jamais diabolisée, il va même l’aider à la fin en vendant sa licence de chauffeur de taxi pour rembourser le contrat qu’elle a rompu. Comme n’importe quel père de milieu populaire, il est inquiet de ce qu’il perçoit comme une dangereuse illusion. Ce que le premier épisode de son arrivée à Paris vient confirmer, puisqu’elle se retrouve en prison après avoir été escroquée par un garçon aussi beau que gentil qui lui a proposé son aide.

Son ascension ne se fait pas contre son milieu d’origine et l’exploitation sexuelle qui a cours dans le show business est clairement montrée, ainsi que le machisme ambiant, alors que le film insiste, de façon sans doute un peu idéalisée, sur la solidarité entre femmes en prison et sur la solidarité entre travailleurs pauvres (quand elle devient serveuse dans un restaurant).

On peut en revanche s’interroger sur la valorisation systématique des figures paternelles, non seulement le père, mais aussi le mentor (François Berléand), dont elle fait la connaissance en prison où il fait du bénévolat, et qui la soutiendra de son exigence artistique jusqu’à ce qu’elle trouve sa voie…

Mais la différence de ton la plus frappante avec les films récents cités plus haut, c’est la vision positive de la culture d’origine et des « quartiers » (voir par exemple la séquence du mariage de sa sœur ou les séances de hip hop dans la cité), qui est montrée comme le terreau sur lequel son talent s’est construit. Faut-il attribuer ce trait à sa nationalité belge ? La stigmatisation des cultures maghrébines et plus largement des quartiers populaires serait-elle un trait franco-français ? À méditer…


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