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Border Line est le premier long-métrage d’un tandem de cinéastes vénézuéliens vivant en Espagne, une fiction documentée à partir de témoignages directs.
Elena (Bruna Cusi), espagnole, et son compagnon Diego (Alberto Ammann), vénézuélien, quittent Barcelone pour immigrer aux États-Unis. On fait leur connaissance dans le taxi qui les amène à l’aéroport où Diego manifeste une certaine nervosité (il croit à tort avoir oublié son passeport). Dans l’avion il s’enferme dans les toilettes pour prendre des gouttes (on suppose pour lutter contre le stress), geste qu’il reproduira à plusieurs reprises dans les heures suivantes. Dans la queue pour la vérification des passeports, il guette les policiers dans leur cabine pour identifier le moins tracassier. Mais peine perdue, celui-ci les emmène bientôt « pour des contrôles supplémentaires » dans les sous-sols de l’aéroport. Ils n’en sortiront plus jusqu’à la fin du film. Ils sont soumis ensemble puis séparément à des interrogatoires de plus en plus intrusifs, après qu’on leur ait supprimé téléphone et ordinateur.
Nous comprenons bientôt que le Vénézuélien, qui a quitté son pays pour des raisons politiques mais n’a pas encore obtenu de passeport espagnol, a entamé quelques temps auparavant une relation par internet avec une Américaine à qui il a promis le mariage, ce qui lui a permis d’obtenir un visa, avant de se rétracter pour préférer se lier avec Elena, rencontrée à Barcelone, qu’il a convaincue de tenter la loterie des visas. Cette loterie organisée par les États-Unis « vise à diversifier la population immigrante aux États-Unis, en sélectionnant les demandeurs issus principalement des pays ayant un faible taux d’immigration vers les États-Unis au cours des cinq dernières années ». Elena a gagné et a abandonné sa situation de professeur de danse à Barcelone pour immigrer avec Diego aux États-Unis où il espère trouver du travail comme urbaniste, alors qu’il était chômeur en Espagne.
C’est au cours de l’interrogatoire qu’Elena découvre la tentative précédente de Diego pour immigrer grâce à un mariage blanc, ce qui va évidemment mettre à mal la confiance qu’elle avait en lui. A l’issue des interrogatoires qu’ils ont subis, il ne reste plus grand chose du jeune couple amoureux parti tenter l’aventure aux États-Unis.
Border Line est remarquable par l’économie de moyens qu’il met en œuvre : unité de temps, d’action et de lieu, tout est filmé à hauteur des protagonistes par des champs-contrechamps sur les deux jeunes gens et les enquêteurs, dont une policière « latino » (Laura Gomez) tour à tour implacable et compréhensive, rappelant à Diego que le mariage blanc est un crime aux États-Unis, puis évoquant la tentative d’immigration illégale d’un membre de sa famille.
Je ne divulguerai pas la chute finale qui laisse le public hébété… mais on a rarement décrit avec autant de précision clinique le harcèlement dont l’administration états-unienne est capable quand il s’agit de « protéger » les intérêts supérieurs du pays. On n’imagine bien que les Vénézuéliens n’en sont pas les seules victimes… Plus largement, le film met en scène la toute-puissance de l’Etat face aux individu·es, y compris dans les pays dits démocratiques,et en particulier la vulnérabilité des migrant·es.