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Chiara Mastroianni n’est pas la seule « fille de » du cinéma français, loin de là. Cependant, fille de deux superstars du cinéma mondial (Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni, faut-il le rappeler ?), elle est soumise en quelque sorte à la « double peine ». C’est en tout cas ce que suggère le dernier long métrage de Christophe Honoré, Marcello mio.
Au début du film, après une conversation tendue avec sa mère (interprétée par Deneuve, bien entendu) on voit Chiara se rendre de mauvaise grâce à une audition pour le dernier film de Nicole Garcia, qui joue également son propre rôle, comme la plupart des acteurs et actrices du film. Visiblement peu impressionnée par la prestation de Chiara, la réalisatrice lui demande de faire « moins Deneuve et plus Mastroianni », à quoi l’actrice répond qu’elle pensait faire du « Chiara ». Éternel problème de « fille de » : comment être appréciée pour soi-même, comment ne pas être ramenée sans cesse à ses illustres parents. On a envie de répondre : « faites autre chose ! » (ou au minimum changez de nom ?).
Pourtant les enfants des personnalités du cinéma français semblent pressés de poursuivre des carrières dans le même milieu et donc de s’exposer à la comparaison souvent défavorable et aux sarcasmes des critiques, ce que Christophe Honoré trouve « indécent et violent » . Pour celles et ceux qui seraient tentées de s’attendrir sur le sort de ces « fils et filles de », il faut préciser que ceux-ci noyautent le cinéma français et en rendent l’accès de plus en plus difficile aux novices qui ne seraient pas du sérail. Non seulement ils obtiennent un grand nombre de rôles dans des films de réalisateurs et réalisatrices de renom, mais d’après une étude de 2015 , ils sont sur-représentés aux Césars, dans les festivals et dans les médias en général, le phénomène n’ayant fait que s’amplifier depuis – comme le film d’Honoré en témoigne.
À la lecture du sujet de Marcello mio, on aurait pu s’attendre à ce que les aspects sociologique et idéologique de la question, s’agissant de l’histoire et de l’avenir du cinéma français, se trouvent au centre du film. Malheureusement il n’en est rien. À la place, Christophe Honoré nous offre une bulle ludique et musicale en demi-teintes comme il en a coutume – on pense par exemple aux Chansons d’amour (2007) – sur une trame vaguement freudienne : c’est en adoptant l’identité de son père, puis en la quittant symboliquement à la fin dans la mer/mère qu’elle redeviendra elle-même. Plus précisément, après s’être « vue » avec le visage de son père dans un miroir, Chiara tente de se remettre de l’humiliation de son audition en se déguisant en Marcello Mastroianni dans ses films italiens des années 1960 : perruque brune courte, moustache, costume masculin, chapeau et grosses lunettes à monture noire ; elle insiste pour qu’on l’appelle « Marcello ».
C’est amusant pendant dix minutes (le film dure deux heures). Chiara/Marcello irrite autant qu’elle fascine son entourage. Mais on remarque que les femmes sont les plus réfractaires. À la photographe (Marlène Saldana) qui hurle de manière grotesque en faisant prendre à Chiara des poses à la Anita Ekberg dans la fontaine de la place Saint-Sulpice au début du film, succède Deneuve, attentive mais circonspecte, puis Nicole Garcia qui, sans filtre, dit à Chiara d’arrêter ses « conneries » – conseil qui hélas ne sera pas suivi. Contre Deneuve et Garcia qui, en somme, réaffirment le principe de réalité, son nouvel ami inconditionnel, Fabrice Luchini, son mari Benjamin Biolay (ancien mari de Chiara Mastroianni « à la ville »), son ancien camarade choqué mais fidèle Melvil Poupaud (ancien copain de lycée et un temps amant de Chiara dans la vie) soutiennent, voire encouragent, la lubie de Chiara. Sans parler du réalisateur qui ajoute à la brochette masculine un jeune soldat britannique, Colin (Hugh Skinner), rencontré la nuit sur un pont de l’Île de la Cité. L’idée est que, ne connaissant pas Mastroianni père ou fille, il est le seul à accepter le faux « Marcello » pour elle/lui-même mais comme il est gay et que, en fait, « Marcello » est une femme, leur histoire n’ira nulle part. Confusion qui résume bien le propos de Marcello mio. Le soldat gay donne d’ailleurs lieu à la scène la plus gratuite du film : la caméra passe en revue plusieurs rangées de jeunes hommes endormis dans la caserne, à moitié dénudés.
L’aspect « entre soi » du film ne concerne pas que les acteurs jouant leur propre rôle ou se parodiant (Luchini). Le film abonde en clins d’œil cinéphiliques, avec des scènes dans des endroits « mythiques » du cinéma italien, Fontaine de Trevi ou, pour une scène entre Chiara et Melvil Poupaud, tournée selon le réalisateur « dans un petit village situé à une heure trente de Rome, le même que l’on voit dans Huit et demi. Nous avons carrément repris le dialogue entre Claudia Cardinale et Marcello Mastroianni . » Et, lorsque la mère et la fille vont visiter le luxueux appartement du 16e arrondissement où elles ont vécu avec Marcello quand Chiara était enfant, le milliardaire propriétaire du lieu est interprété par un certain Laurent Dassault, petit-fils du célèbre homme d’affaires Marcel Dassault et coproducteur du film ! Le seul moment où l’on s’éloigne de ce beau monde est la scène où Stefania Sandrelli doit choisir la meilleure réincarnation de « Marcello » dans une émission de télé-réalité de la télévision italienne, figurée naturellement comme le comble du vulgaire. Revenant sur les raisons qui l’ont incité à faire ce film sur et avec sa « complice » Chiara Mastroianni, Honoré cite la réaction de celle-ci : « On va rigoler. Cela a été le mot d’ordre […] Cela m’a entraîné à imaginer un film assez généreux, ouvert sur le spectateur . »
Encore un conseil malheureusement non suivi. On ne « rigole » pas à la vision de ce film long, ennuyeux et complaisant. Christophe Honoré est loin d’avoir fait un film « ouvert sur le spectateur » ; au contraire, le spectateur et la spectatrice semblent être le dernier souci du réalisateur comme des acteurs.