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Sophie Hyde / 2022

Mes rendez-vous avec Léo


Par Geneviève Sellier / samedi 17 décembre 2022

Le droit au plaisir pour les femmes de plus de 50 ans

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Voilà typiquement un projet féministe : il s’agit d’aborder avec autant d’empathie que d’humour la question de la sexualité des femmes d’âge mûr, dans le contexte d’une société qui ne les perçoit plus que comme mère et grand-mère quand elles ont passé la cinquantaine.

Emma Thompson met tout son talent au service de cette entreprise à laquelle elle a été associée dès le départ. Le dispositif est volontairement minimal : une chambre d’hôtel au luxe sobre, ouverte sur la lumière du jour. Deux personnages se rencontrent pour des rendez-vous tarifés : celle qui se fait appeler Nancy, professeur d’éducation religieuse à la retraite (voilà qui est délicieusement exotique pour nous autres usagers de l’école laïque), veuve depuis deux ans, mère de deux enfants adultes, a fini par se décider à louer les services d’un travailleur sexuel pour accéder à l’orgasme qu’elle n’a jamais connu…
Le jeune homme qui se présente, sous le nom de Léo Grande (incarné par Daryl McCormack qui mérite à lui tout seul le détour, par sa beauté et par son jeu plein de douceur souriante), a pour mission de lui procurer du plaisir physique, mais d’abord de la mettre en confiance, alors que ce rendez-vous représente le summum de la transgression pour cette femme « convenable ».

On sourit et on rit souvent : les dialogues sont ciselés de façon à éviter toute vulgarité tout en appelant un chat un chat… Et les scènes s’arrêtent au bon moment pour ne pas tomber dans le porno soft. Leurs échanges sont nourris de leur vécu mais aussi des limites que chacun.e met à leur intimité, compte tenu du contrat de départ.

Le scénario est construit sur la succession des quatre rendez-vous qui vont constituer l’histoire de leur rencontre. La réalisatrice dit avoir rencontré beaucoup de travailleurs sexuels pour documenter son film. Elle en donne une vision quelque peu angélique (à plusieurs reprises, Nancy commente les témoignages de Léo par ce constat : « ça devrait être un service public » ! (Remarque qu’on entend aussi pour les travailleuses du sexe, notamment pour les personnes handicapées.)

En regardant le film en tant que femme, je me disais que dans le régime de domination masculine et patriarcale où nous vivons (encore), le fait de payer un homme pour avoir des rapports sexuels satisfaisants est sans doute un recours à ne pas négliger, alors que dans l’autre sens, le fait pour un homme de payer une femme pour des rapports sexuels ne fait que rajouter de la domination, comme en témoignent les violences auxquelles sont soumises les prostituées. Beaucoup de récits témoignent de ce que les hommes considèrent qu’ils n’ont pas besoin du consentement d’une prostituée pour lui imposer n’importe quelle pratique sexuelle, alors qu’ils sont obligés de tenir compte dans une certaine mesure du consentement de leur partenaire régulière.

Le soin que prend Léo pour amener Nancy très progressivement à éprouver du plaisir physique est un rêve pour toute femme qui a vécu plus souvent qu’à son tour le sexe à la hussarde plus ou moins assorti de consentement… Pour autant, cela pose-t-il à nouveaux frais la question de la légalisation du travail sexuel ?


générique


Polémiquons.

  • Certes un petit nombre de films français aborde ce sujet.
    Mais il faut être anglo-saxon pour aborder tous les aspects à la fois avec humour et avec un discours "cash" sans être souillé par la vulgarité.
    Et il nous oblige à nous interroger sur le regard que nous portons sur les femmes d’un âge avancé. Sommes nous capable de les voir comme désirables et/ou comme des êtres désirants ?
    C’est un film joyeux au sens qu’il procure de la joie.

  • J’espère que vous avez déjà passé un très bon Noël, c’est toujours ça de pris que d’autres n’ont pas. Je pense bien sûr à Priscilla Majani et toutes celles injustement emprisonnées. Mais ceci est un autre débat. Souhaitons avec elles une très belle année de liberté et d’égalité…..!

    Merci pour votre travail, vos lettres et les repères formidables que vous pouvez donner.

    Je suis extrêmement majoritairement en accord avec vous. Pas cette fois hélas. Tellement que je m’autorise à vous répondre. Je ne sais pas si vous pratiquez les droits de réponses. Celui ci est un avis très différent de votre élégante critique du dernier film avec Emma Thompson : Mes rendez vous avec Léo.

    Fâchée.

    Le personnage d’Emma Thompson est un joli personnage, un peu attendu, elle commence vieille et moche et on se doute bien qu’elle va finir transfigurée et éclatante. Au-delà de ça et de cette incroyable grande actrice, j’ai été dérangée tout le film. Donc, cette femme, professeur de religion (!), a envoyé péter toutes ses croyances et interdits, pour qu’un prostitué lui révèle enfin les chemins du plaisir. Elle fait ça avec délicatesse et atermoiements certes, un peu iconoclaste tout de même, en parcours final de veuve retraitée.

    Un ami m’a dit : va voir ce film, prends les droits et remplis les théâtres pendant deux ans ! (avis aux amatrices !) Mais moi, non, je ne pourrai pas interpréter ce personnage et m’identifier à cette femme.

    Je ne peux pas admettre, avant même que l’histoire ne commence, qu’on puisse acheter un corps. Même pour son plaisir, ce qui semble doux. Alors, bien sûr dans le film, elle y met les formes : elle s’interroge, elle veut renoncer, elle essaie de savoir pourquoi cet ange métis (un peu noir tout de même, ce serait la condition sine qua non d’un prostitué ?) va prendre de l’argent à tant de femmes.

    Oui j’ai dit prostitué et non pas travailleur du sexe comme il est dit tout au long du film. Les « travailleurs du sexe », autoproclamés libres et heureux, représentent très peu des prostitués. Et malgré ce qu’elles-ils disent, il y a toujours un mac. C’est souvent la misère, un inceste, un ou des viols, mais le mac est celui par qui la prostitution arrive et perdure, et qui en profite. En pensant se libérer et en le clamant très fort, les travailleurs du sexe enfouissent très profondément leur désespoir et leurs raisons, sans rien résoudre et surtout sans aider les autres prostitué-e-s à se libérer. Les seuls qui fassent du bruit ce sont elleux, contrairement aux malheureuses qui sont massacrées en silence par les réseaux.
    D’ailleurs, la blessure est toujours vive chez ce garçon, il y a une raison terrible à sa prostitution et non pas, comme il le clame, la volonté de bien faire son métier avec classe. Non, en fait, il est détruit et essaie de se recoller comme ça. Échec assuré.

    Ce film est en fait un hymne à la prostitution, ce n’est pas du tout une bluette, c’est quasi du militantisme. Emma Thompson, la très féministe Emma Thompson n’aurait rien vu, rien compris ? Je ne crois pas. Il est plus probable qu’elle fasse partie de celles et ceux qui revendiquent la liberté de se faire tamponner 20 ou 30 fois par jour au nom de la liberté. Délicieux ! (pardon pour le verbe tamponner que je viens d’inventer, je n’ai pas trouvé autre chose qui ne soit ni joli ni grossier, alors, va pour tamponner !)

    Par contre, le plan final où Emma se regarde complètement à poil dans le miroir m’a fait un bien fou ! Merci Emma, maintenant je sais que je peux me pavaner nue sur les Champs Élysées, je ne serai pas la plus moche ! Et ça, ça m’a requinquée !! Pour le reste, je ne comprends pas que vous, si exigeantes, n’ayez absolument pas relevé cet aspect, quitte à le défendre. Il semble que vous trouviez tout à fait normal que le sexe tarifé existe et que ce n’est même pas la peine de le mentionner ni de s’y confronter. Très étrange. On aurait un article bien machiste.

    Sous l’apparence agréable de ce film, poison certain. Beurk !

    Merci de m’avoir lue jusqu’au bout. Je ne sais pas si vous pratiquez les droits de réponses. Celui ci est un avis très différent de votre élégante critique.

    Bien à vous et très belle année féministe et cinématographique.

  • Je n’ai pas vu le film donc je ne me prononcerai pas sur celui-ci, cela dit j’ai trouvé cette critique vidéo intéressante :
    https://www.youtube.com/watch?v=acccffJnr5A
    elle est en anglais (j’ai l’impression que les sous-titres auto-traduits sont relativement corrects)

    Elle compare le film à "Cam," un thriller indépendant qui offre une perspective nettement plus rare, celle d’une travailleuse du sexe qui vit son métier au quotidien, et non comme un fantasme de client-es. (Opinion encore une fois qui n’est pas de moi mais de la youtubeuse) Elle contient également une partie très bien faite sur les revendications des mouvements de travailleur-euses du sexe.

    @Eve Darlan : En vous accordant le bénéfice du doute, je tiens à vous informer que votre vision des revendications des TDS sont vraiment hors sujet. Je suppose que vous n’avez jamais vraiment écouté ou lu ces militant-es, car iels n’ont (évidemment) pas la naïveté que vous leur prêtez. Ielles articulent sans arrêt leur revendication de dépénalisation à la lutte contre les réseaux de traite. Iels décrient d’arrache-pied les politiques néolibérales et xénophobes ainsi que la stigmatisation qui les mettent en danger. Elles savent de quoi elles parlent, en fait, et comme vous et moi sont parfaitement capables de réflexivité et de solidarité. Soyez responsable et renseignez-vous correctement ! Merci !

  • A Eva Darlan :
    Je n’irai pas voir le film (bien qu’étant proche du coeur de cible) pour exactement les mêmes raisons que vous. Votre refus d’en faire un projet pour respecter vos valeurs vous honore. Quant aux "travailleurs du sexe", je ne me risquerais pas à parler en leur nom. Le commentaire sous la video conseillée posté par une ancienne travailleuse du sexe dit exactement cela :
    "As a former sex worker, i have mixed feelings about every "woke" liberal finding it cool to be pro sex work. On the one hand im glad of people being more aware of it. On the other, im a little wary of any one who isnt a sex worker feeling uplifted to speak on our behalf.
    Ive gotten shouted down by users in r/feminism because i said something that wasnt totally glowing about sex work. I didn’t out myself to them but that is an example of how speaking for a marginalized group can hurt them more even when you are trying to help."
    PS : J’appréciais beaucoup vos apparitions TV dans ma jeunesse (je n’avais pas accès au théâtre). J’aimais beaucoup l’humour et la distance ironique que vous mettiez dans votre jeu. Ce n’était jamais fade. Je sentais que vous n’étiez pas une femme conventionnelle et cela me plaisait.

  • Eva Darlan a raison.
    Comment peut-on valider la prostitution d’un homme ou d’une femme ?
    Comment imaginer que la sexualité puisse être une gymnastique comme une autre, ou une sorte de massage appuyé ?
    Qu’est-ce qui a amené ce jeune homme à cette activité ? Quelles en seront les conséquences pour lui dans sa sexualité ultérieure ? Associer argent et sexualité n’est bon pour personne.

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