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Le Cours de la vie est un film à la fois modeste et ambitieux : modeste dans ses moyens (un budget prévisionnel de moins d’1 million d’euros, alors que le budget moyen d’un film français est entre 4 et 5 millions d’euros), avec la présence de deux acteur.ices connu.es (Agnès Jaoui et Jonathan Zaccaï) qui ont accepté des rémunérations très en dessous de leurs cachets habituels.
Modeste dans la forme de son récit : une scénariste vient faire une masterclass pendant une journée dans une école de cinéma à Toulouse, à l’invitation du directeur, avec qui elle a vécu une relation amoureuse trente ans plus tôt. Unité de lieu, de temps et d’action donc… Mais le film est ambitieux dans son propos : il ne s’agit pas moins que d’explorer les liens entre la création, sous une forme professionnelle et didactique (très loin de la figure fantasmée de l’artiste qu’on trouve dans le cinéma d’auteur français), et la vie affective et intime de celle qui l’enseigne et de ceux/celles qui reçoivent cet enseignement, sans oublier le directeur de l’école, à qui la scénariste s’adresse aussi indirectement, pour tenter de cicatriser la plaie mal refermée de leur rupture. Enfin la participation du musicien le plus prolifique du cinéma français, Vladimir Cosma (né en 1940 à Bucarest), donne au film une belle profondeur lyrique et mélancolique.
Pour une fois, le métier du personnage féminin est pris au sérieux : c’est même le noyau dur de l’histoire. Nous assistons à différents moments du cours de Noémie qui dure une journée entière avec quelques pauses : la crédibilité d’Agnès Jaoui en scénariste est d’autant plus forte qu’elle est sans doute une des scénaristes les plus doué.es de sa génération, métier qu’elle a pratiqué en tandem avec Jean-Pierre Bacri pendant plus de vingt ans et dix films, avant de passer à la réalisation pour cinq films (dont le remarquable Parlez-moi de la pluie en 2008) et 7 épisodes de la saison 2 de la série En thérapie.
Noémie aborde le métier de scénaristes devant une vingtaine d’élèves d’une école de cinéma, comme reposant avant tout sur l’observation des autres et de soi-même, et sur l’importance des affects. Elle illustre son propos d’extraits de films qui ne sont pas identifiés et qui sont évoqués uniquement par leur bande-son faites de bruits et de musique, ce qui permet à l’imagination du/de la spectateur.ice de se déployer. Les élèves sont incarné.es par de jeunes comédien.nes qui forment une sorte de phalanstère favorisé par le format d’école (par opposition au format d’université où les étudiant.es ont souvent le sentiment d’être abandonné.es).
Le tournage a lieu dans une véritable école de cinéma, l’ENSAV de Toulouse, qui occupe un ancien couvent du XIVe siècle à côté de la cathédrale, dont la cour plantée d’arbres et entourée d’arcades est propice aux échanges. Lors d’une pause, une improvisation musicale des élèves à laquelle vient se joindre Noémie, donne lieu à une sorte d’exercice pratique inspiré par la masterclass.
L’autre fil de l’histoire est la relation entre Noémie et Vincent qui se retrouvent trente ans après le départ sans explication de Noémie avec un autre homme, après cinq ans passés ensemble. C’est aussi en parlant de son métier de scénariste qu’elle va tenter de faire comprendre à Vincent les raisons de son départ. Le mélange de familiarité et de distance qui caractérise leurs échanges exprime avec délicatesse le statut étrange d’une relation qui a été très forte et qui n’existe plus.
Géraldine Nakache incarne Louison, qui est à la fois la belle-sœur de Vincent (qui a épousé sa sœur) et la gestionnaire de l’école, et occupe dans la fiction la position d’une spectatrice privilégiée qui relie sphère professionnelle et sphère privée.
Dernière qualité de ce film : il met en avant une actrice de plus de cinquante ans (Agnès Jaoui est née en 1964), en lui faisant incarner un personnage aux multiples facettes, brillante scénariste, enseignante généreuse, mère de famille (elle reste en contact avec sa fille par téléphone), personnalité lestée d’une histoire familiale et amoureuse compliquée, sans que tout cela prenne un cours dramatique, comme c’est trop souvent le cas au cinéma pour les personnages féminins. Frédéric Sojcher, lui-même enseignant de cinéma, assume ce choix tout à fait consciemment : « C’est une position de principe : il est important de donner des rôles principaux aux femmes, surtout quand elles sont plus de cinquante ans, pour sortir de l’invisibilité dans laquelle les maintient le cinéma. » (Dossier de presse)