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Présenté par la critique comme un film politique sur les désillusions et les trahisons de la gauche, De grandes espérances brouille dès le début l’intrigue politique par une intrigue criminelle qui empêche que soient traitées les problèmes annoncés.
Ecrit par deux hommes, le réalisateur Sylvain Desclous et son co-scénariste Pierre Erwan Guillaume, le film met en scène deux jeunes aspirant·es à l’ENA et commence en Corse où Antoine (Benjamin Lavernhe) et Madeleine (Rebecca Marder) attendent les résultats de l’écrit dans la belle villa corse que loue le père d’Antoine, un avocat aussi à droite que les deux jeunes gens revendiquent d’être à gauche : Madeleine qui a écrit un mémoire sur l’économie sociale et solidaire sympathise avec une amie de la famille d’Antoine en visite dans la villa, Gabrielle (Emmanuelle Bercot), députée et ancienne secrétaire d’État d’un gouvernement de gauche qui l’a empêchée de présenter une loi sur ce sujet.
Mais au cours d’une virée en voiture dans le maquis corse, Antoine fait un doigt d’honneur à un Corse qui refuse de se laisser doubler. Ils en viennent aux mains et Madeleine, terrifiée par la violence de l’affrontement, prend le fusil du Corse et tire, le tuant net. Antoine décide de fuir après avoir caché le fusil, à côté de Madeleine hébétée.
Ils mentent aux gendarmes venus enquêter et rentrent à Lyon passer l’oral auquel ils ont été admis tous les deux. Mais Antoine disparaît aux antipodes et Madeleine rate l’oral tant elle est troublée. Désormais seule, elle répond positivement à la sollicitation de Gabrielle de participer à sa campagne de réélection. Et elle devient le bras droit de la nouvelle députée. Elle découvre un jour qu’Antoine s’est fait embaucher par le ministre qui est l’adversaire déclarée de Gabrielle. Elle va se réfugier chez son père à qui elle révèle son crime. Antoine veut renouer avec elle mais elle refuse, il la menace alors de tout révéler à la police en la chargeant. Alors que Gabrielle revient au gouvernement, elle se retrouve en garde à vue et en détention provisoire, mais sans avoir rien avoué. Sa ministre la lâche mais son père va la sauver en faisant disparaître le fusil qui est le seul indice qui peut prouver sa culpabilité, alors que les empreintes d’Antoine sont partout sur le lieu du crime. Un retournement final lui permet de sortir libre alors qu’Antoine est inculpé.
Comme on le voit, l’intrigue criminelle et ses conséquences sont le véritable moteur de cette histoire de couple amoureux gangréné par le crime qu’ils ont commis. Le point de vue du film est celui de Madeleine mais on a du mal à croire à leur histoire d’amour tant le personnage d’Antoine est antipathique, depuis le doigt d’honneur, typique du machisme le plus grossier, jusqu’à sa dénonciation de la femme qui ne veut plus de leur relation, en passant par sa fuite aux antipodes après le crime puis son choix opportuniste d’entrer au cabinet du ministre dont les positions sont à l’opposé de celles qu’il défendait quand il était en couple avec Madeleine.
Leur différence de classe (le père de Madeleine est ouvrier et vit en HLM alors que le père d’Antoine est un avocat d’affaires) est traitée de manière très schématique : elle se bat pour l’économie sociale et solidaire, alors qu’il est prêt à abandonner ses convictions pour un poste d’avenir. On se demande ce qui a pu séduire Madeleine chez cet homme incarné par un Benjamin Lavernhe particulièrement dépourvu de charisme.
La femme politique est incarnée par Emmanuelle Bercot de façon très convaincante, mais les péripéties de sa carrière sont assez convenues : on comprend qu’elle a été débarquée du gouvernement « de gauche » par ce que sa proposition de loi pour développer l’économie sociale et solidaire n’a pas été votée ; sur une suggestion de Madeleine, elle fait campagne pour limiter l’échelle des salaires dans les entreprises de 1 à 20. Mais quand elle est de nouveau au gouvernement, elle accepte de sursoir à la présentation de sa loi au Parlement, parce que « ça ne n’est pas le moment ». Tous ces renoncements sont présentés comme prévisibles, sans aucune analyse politique des forces en présence.
Le film semble entériner l’échec inévitable des réformes progressistes portées par les deux femmes, comme si c’était dans l’ordre des choses. On peut y voir l’expression non interrogée de l’état actuel de résignation des courants proches du Parti socialiste, mais on est loin d’une analyse politique de cette situation. On a à la place un thriller dont le manque de subtilité n’est pas compensé par le charme indéniable de l’énergique héroïne.
Polémiquons.
1. De grandes espérances, 15 avril 2023, 22:38, par Ginette Vincendeau
Je sors de voir DE GRANDES ESPERANCES - une bonne surprise. S’il est vrai, comme le dit Geneviève Sellier que l’analyse politique laisse à désirer, le film fait la part belle aux femmes. Non seulement Madeleine est brillante et a du courage (contrairement à Antoine qui est une lavette), mais Gabrielle est une femme de pouvoir qui n’est pas diabolisée. Pour une fois, ces deux femmes se soutiennent au lieu de se comporter en rivales, comme dans 95% des films. Dans l’usine en grève, des femmes s’expriment. Ne boudons pas notre plaisir !
2. De grandes espérances, 22 avril 2023, 09:03, par Catherine
Globalement d’accord avec la critique de Mme Sellier. Film survendu par la presse. Ce n’est pas un thriller : aucun véritable suspense. Un drame sociologique ? Couple de départ très mal assorti : je n’y ai pas cru non plus, et du coup, cela affaiblit la tension dramatique. Emmanuelle Bercot est très bien. J’ai trouvé le père d’Antoine un contrepoint intéressant au père de Madeleine et à l’idéalisme de celle-ci, mais il n’existe qu’au début du film. Il préfigure ce qu’Antoine va devenir sans que celui-ci en ait pris conscience.