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Voilà un film historique qui diffère assez fortement des conventions du genre parce qu’il reste presque constamment dans une dimension intimiste : c’est l’histoire d’un couple qui se forme au sortir de la dernière guerre sur un sentiment partagé d’être paria. Madeleine (Anaïs Demoustier), de milieu modeste, a eu une brève aventure amoureuse avec un officier de santé allemand avant qu’il soit envoyé sur le front de l’Est : enceinte, elle a été tondue à la Libération et a accouché d’un enfant sans père, avant de fuir pour échapper à l’opprobre. François (Vincent Lacoste), étudiant de milieu bourgeois, qui boite suite à une polio, doit cacher son attirance sexuelle pour les hommes. Chacun.e est porteur/se d’un « secret honteux » et leur couple va jouer le rôle de refuge face à un monde social hostile. Ils se rencontrent sur la côte bretonne, où il vient en villégiature dans la propriété familiale, alors qu’elle est servante dans l’auberge voisine.
La réalisatrice (et co-scénariste) est partie d’un drame similaire vécu par sa grand-mère, longtemps resté caché, et a fait le choix d’ouvrir son film sur des archives filmées de femmes tondues à la Libération. Elle indique : « Avec Jean-Baptiste Morin, monteur du film, nous avons décidé de construire un récit à partir de toutes les archives de tonte qui pouvaient exister dans les fonds d’archives françaises, américaines, anglaises… C’était devenu essentiel pour moi d’ancrer ma fiction dans ce réel. Ça me semblait nécessaire pour que le spectateur prenne vraiment la mesure du traumatisme qu’ont représenté ces actes d’une immense violence. » Ce faisant, elle reprend le procédé qu’avait utilisé Alain Resnais dans Hiroshima mon amour (1959), où les images des victimes de l’explosion atomique précédaient la fiction d’une rencontre amoureuse à Hiroshima entre une Française tondue à la Libération et un Japonais rescapé.
Le Temps d’aimer raconte sur vingt ans l’histoire de ce couple « bancal » mais intensément uni. Le choix d’indiquer le passage du temps par des vêtements (et des changements de coiffure pour elle) plutôt que par du maquillage ou des postiches, favorise le naturel des comportements, comme la caméra à l’épaule.
Katel Quillévéré se réclame de Douglas Sirk dont elle reprend le goût pour le mélodrame. Elle procède par ellipses pour présenter les moments forts de la vie du couple : leur rencontre, leur mariage solitaire, les difficultés de leur vie à Paris, leur installation à Châteauroux pour tenir un dancing accueillant les GI de la base voisine, leur amitié amoureuse avec un soldat afro-américain, leur retour à Paris dans un appartement bourgeois après la naissance d’une fille, alors que François est devenu professeur à la Sorbonne et qu’elle ne travaille plus, enfin la rencontre sexuelle de François avec un de ses étudiants, qui entraînera son arrestation et son suicide.
Madeleine tente de vivre en conservant le souvenir de cet amour, et se réconcilie enfin avec son passé en acceptant que son fils Daniel cherche les traces de son père allemand.
La modernité du film tient à ce que les contradictions ne sont jamais résolues : chacun.e est confronté.e aux frustrations provoquées par leur orientation sexuelle divergente. La réalisatrice a accordé beaucoup de soin aux scènes sexuelles qui sont toujours motivées narrativement, ce qui est rare dans les fictions audiovisuelles, tant au cinéma que dans les séries. Mais j’ai éprouvé une certaine difficulté à comprendre la séquence où Madeleine et François font l’amour avec en surimpression une scène de cabaret de masques grotesques.
Le film insiste aussi sur les difficultés de Madeleine à aimer son fils Daniel qui incarne son secret honteux. François tente de compenser ce manque affectif en jouant le rôle de père après l’avoir adopté. Enfin, leurs différences sociales ne seront jamais résorbées. Si leur exil à Châteauroux a pu un temps les rapprocher, leur retour à Paris creuse le fossé culturel infranchissable qui les sépare.
La fin tragique de François vient rappeler les souffrances provoquées par la criminalisation de l’homosexualité, qui a été la règle en France jusqu’aux années 1980.
Il faut saluer cette tentative réussie de renouer avec le mélodrame, genre encore trop souvent méprisé à la fois pour ses connotations populaires et féminines (comme on peut le constater en écoutant l’éreintage du film par les critiques du (Masque et la plume). Et les deux acteurs principaux, Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste, font un travail remarquable pour incarner à la fois la classe sociale de leur personnage, leurs blessures intimes et l’évolution de leur relation.
Polémiquons.
1. Le Temps d’aimer , 3 juillet, 14:23, par Noël Burch
Excellent article...pour moi, une seule lacune : François est-il "bisexuel" ? Le film ne semble pas l’affirmer... ; la coupabilité qu’il ressent peut certes être attribuée aux "pressions sociales", mais aussi bien au fait qu’il comprend que so goût pour les hommes est une pulsion physique "inférieure" à l’amour qu’il ressent réellement pour cette femme. Evidemment, ce n’est pas l a lecture des partisans du "queer"...