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Josie Rourke / 2018

Mary, Reine d’Écosse


>> Célia Sauvage / mercredi 27 mars 2019


Mary, Reine d’Écosse est le premier film américain de la metteuse en scène de théâtre britannique, Josie Rourke. Le film commence en 1561 lors du retour de Mary Stuart / Marie Ière d’Écosse (Saoirse Ronan) en Écosse, âgée de 18 ans, après le décès de son époux, François II, roi de France. Dès son arrivée, la jeune reine doit tenir compte des conflits qui divisent les Écossais catholiques et les Anglais protestants. Elle doit également faire face à sa cousine, la reine Elizabeth Tudor / Elizabeth Ière (Margot Robbie) dont la légitimité sur le trône est contestée (elle est la fille d’Henri VIII et de sa deuxième épouse, Anne Boleyn, qu’il accusera d’adultère, d’inceste et de haute trahison, et qu’il condamnera à mort par décapitation). Les deux femmes sont présentées comme des rivales contraintes, victimes des manipulations des hommes qui les entourent. Elizabeth (Shekhar Kapur, 1998) montrait les multiples tentatives de complots et d’assassinats contre Elizabeth 1ère (Cate Blanchett). Mary, Reine d’Écosse, montre à son tour les mêmes tentatives contre Mary 1ère d’Écosse. Le film réhabilite l’image de Mary Stuart, plus souvent décrite comme traître, meurtrière, débauchée [1].

La réalisatrice fait de la reine un personnage plus nuancé, à la fois héroïne féministe moderne et indépendante, mais dont l’ambition est sévèrement contestée par les hommes toxiques qui l’entourent [2].

Les hommes, comploteurs et ennemis des reines

La jeunesse et l’innocence de Mary sont soulignées dans le film par le physique et l’interprétation de Saorse Roinan. Pendant que les hommes fomentent le renversement de la reine, Mary, elle, s’amuse avec ses courtisanes à discuter des charmes des hommes de la cour. Malgré son allure juvénile, la jeune reine commande des hommes politiquement plus expérimentés qu’elle. Lors de sa première rencontre avec le Conseil, elle fait face à douze hommes âgés, à l’allure austère. Le réformateur protestant, John Knox, se lève et s’oppose violemment à elle : « Comme pour toutes les femmes, votre vision est aveugle. Votre force, faiblesse. Votre conseil, sottise. Votre jugement, frénésie. Doit-on respecter un pape et une femme ? » Mary le renvoie immédiatement de la cour et du conseil. Plus tard, elle renvoie également son frère qui s’oppose à ses décisions.

Ainsi, Mary s’attire la jalousie voire la haine des hommes de son entourage. Ils refusent tous de se soumettre à l’autorité d’une femme et tentent par tous les moyens de se réapproprier le pouvoir de Mary. Son demi-frère lève une armée contre elle. Son époux et cousin, Lord Darnley, réclame sa place sur le trône et participe aux complots contre son épouse. Il est exclu de la cour puis assassiné suite à sa relation avec Rizzio, lui-même sauvagement tué à coups de couteau. Mary sera victime par deux fois de rapports sexuels violents voire non consentis. Elle supplie Lord Darnley de faire son devoir et de lui donner un héritier. Ivre, il la jette sur le lit, la retourne, et la pénètre violemment. Plus tard, elle sera violée par son conseiller, le comte de Bothwell qui la force à l’épouser.

Les reines, rivales et ennemies contraintes

Aussitôt installée sur le trône, Mary écrit à sa cousine Elizabeth afin de créer une union et une paix durable entre leurs deux pays : « Nous devons gouverner côte à côte, en harmonie, et non par le biais de traités rédigés par des hommes qui nous sont inférieurs. » Les deux reines semblent ainsi trouver un accord pour gouverner chacune sur leur territoire respectif. C’est bien entendu les hommes qui contraignent les deux femmes à devenir des ennemies et non des alliées, en leur conseillant respectivement de refuser l’autorité de l’autre.

Le film se termine sur l’unique rencontre entre les deux reines – la réalité de cette rencontre est débattue par les historiens. Alors que le règne de Mary est contesté, la jeune femme cherche de l’aide auprès de sa cousine qui accepte d’organiser un rendez-vous secret à la frontière de l’Angleterre. Les deux femmes reconnaissent avec fatalité l’emprise des hommes sur leurs vies et leur profonde solitude. Elizabeth s’y est résignée alors que Mary tente une dernière fois de préserver leur pouvoir : « Alors soyez ma sœur, soyez la marraine de mon fils. Ensemble nous pouvons conquérir ceux qui doutent de nous. […] Notre inimitié est précisément ce qu’ils recherchent. Je sais que votre cœur est meilleur que celui des hommes qui vous conseillent. » En pleurs, Elizabeth promet de la protéger malgré la méfiance de Mary.

En 1587, Elizabeth finit par céder à la pression de ses conseillers et ordonne l’exécution de Mary pour tentative de meurtre contre Elizabeth, après 18 ans de captivité dans diverses prisons. En voix-off, elle lit la dernière lettre qu’elle adresse à Mary et les regrets qu’elle confesse d’« ordonner la mort de la seule femme qui sait comme elle ce que cela signifie de régner en tant que reine dans ce pays. » Le film se clôt sur la décapitation de Mary, fantasmée par le point de vue d’Elizabeth qui l’imagine en resplendissante jeune femme à l’image du portrait qu’elle a contemplé 25 ans plus tôt. Mary arrive solennellement devant ses bourreaux, ses courtisanes retirent sa robe noire dans un geste grandiose pour révéler une robe rouge, symbole de la martyre catholique qu’elle est devenue. Devant une assemblée d’hommes austères, la reine prononce un long discours de paix et d’unité, face à la caméra, avant d’être décapitée par le bourreau en arrière-plan. Cette dernière image de Mary efface la réalité beaucoup plus sordide de la véritable exécution : le bourreau se reprit à trois fois pour la décapiter.

Pouvoir, féminité et maternité

Mary, Reine d’Écosse suggère que l’opposition entre catholicisme et protestantisme est secondaire dans la rivalité des deux reines. Elizabeth avoue lors de leur rencontre : « J’étais jalouse. Votre beauté. Votre bravoure. Votre maternité. Vous me surpassiez à tous points de vue. » Les deux femmes incarnent deux types opposés. Mary est d’une beauté juvénile. Elizabeth est plus âgée et doit bientôt masquer sur son visage les effets de la variole. Lors de leur rencontre, Elizabeth est affublée d’une perruque rousse, le visage maquillé de blanc et la bouche soulignée de rouge à lèvres. Sa beauté n’a rien de naturel contrairement à celle de Mary. Dans un moment de vérité, elle confesse sa féminité de mascarade et révèle même ses cheveux gris mal coupés sous sa perruque. Pour Elizabeth le pouvoir est forcément masculin : « Je suis plus homme que femme maintenant. Le trône m’a rendue ainsi. » Plus tôt, elle a confié à son conseiller, William Cecil : « J’ai décidé d’être un homme. »

Mary et Elizabeth sont prisonnières du binarisme de la vierge et de la putain. Elizabeth, la « Reine Vierge », refuse de se marier pour protéger sa couronne et conserver son indépendance ; Mary, la « pute de Babylone », se marie par goût pour son cousin (qui n’est pas l’époux qui lui était réservé). Cependant le film montre que ce binarisme est la création des hommes, leur point de vue sur les deux femmes. Au lendemain du mariage forcé de Mary avec le comte de Bothwell, John Knox l’accuse d’être « une pute de Babylone qui défie les liens sacrés du mariage ». Le film critique cette vision manichéenne. Par exemple, en dépit des rumeurs sur sa virginité, Elizabeth entretient une relation amoureuse avec Robert Dudley – qui nous est montrée chaste. Il lui jure fidélité alors que la reine ne peut rien lui promettre en retour.

Le portrait de Mary transgresse deux tabous. Lors d’une première scène, la reine et ses courtisanes discutent de leurs relations avec les hommes. Ses courtisanes la déshabillent et l’une d’elle découvre une tache de sang sur sa chemise de nuit. Elle remarque sobrement que la reine « est en avance ». La caméra placée en gros plan entre les jambes de la reine, nous montre la courtisane lui laver les cuisses, puis, toujours en gros plan, essorer le tissu dans une bassine d’eau qui rougit de sang. Le film souligne ainsi l’importance politique des règles pour la reine – leur présence indique qu’elle n’est pas enceinte. Plus tard, son rapprochement avec Lord Darnley transgresse un autre tabou. Le film montre une scène de cunnilingus uniquement centré sur le plaisir de Mary – son prétendant ne lui demande rien en retour.
La maternité est également montrée comme un enjeu de pouvoir [3]. Le film montre la dimension tragique du choix que doivent faire les deux reines : se marier et avoir un héritier, mais prendre le risque de voir usurper son pouvoir par son époux ; rester célibataire, maintenir son indépendance, mais prendre le risque de mettre fin à sa lignée. Elizabeth explique à William Cecil son refus de se marier non par peur d’être sentimentalement déçue, mais par peur d’être manipulée par un homme jaloux du pouvoir de sa femme. Au contraire, Mary aspire à la maternité : « Je serai la femme qu’elle n’est pas. J’aurai un héritier contrairement à cette femme stérile. » Le film montre l’opposition entre les deux femmes lors de l’accouchement de Mary. Un montage parallèle montre Mary souffrir en couches, les jambes écartées ; et dans la même position, Elizabeth, occupée à créer un bouquet de fleurs en papiers, entre ses jambes écartées.

On peut cependant regretter que le film insiste sur la frustration d’Elizabeth de ne pas avoir d’héritier. Dans l’écurie royale, elle retrousse sa robe autour de son ventre et s’imagine enceinte en regardant son ombre portée au sol. Face à elle, Mary est présentée comme incarnant l’instinct maternel. Elle est douce et protectrice avec son fils. Cette opposition maintient une image dépréciative des femmes sans enfant et invite à ressentir de la pitié pour Elizabeth. Elle suggère également que le succès ou le bonheur d’une femme n’est jamais complet sans l’assouvissement du désir de maternité.

Mary, Reine d’Ecosse et La Favorite [4], sortis à quelques mois d’intervalle, proposent deux portraits du pouvoir royal féminin sous la dynastie des Stuart. Ils revisitent sous un angle moderne la sexualité féminine. Mais, contrairement à Mary, Reine d’Écosse qui met l’accent sur un pouvoir masculin oppressant, les hommes politiques sont tournés en dérision dans La Favorite. Et si Mary, Reine d’Écosse montre l’échec des tentatives de sororité entre les deux reines, les courtisanes de La Favorite se perdent dans des rivalités sans fin. Le point de vue de Josie Rourke est empathique alors que celui de Yorgos Lanthimos est cynique.


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[1On recommandera trois biographies, celle de Stefan Zweig, Marie Stuart (1935), d’Antonia Fraser, Marie Stuart, reine de France et d’Écosse (1969) et l’ouvrage de John Guy dont est adapté le film, Queen of Scots : The True Life of Mary Stuart (2004).

[2On appréciera également la diversité présente dans le film. On note que de nombreux personnages, y compris des nobles, sont noirs. L’un des proches de Mary, David Rizzio, est un italien homosexuel à la peau brune qui se travestit pour la reine et ses courtisanes. « Tu peux être qui tu désires être », le rassure Mary. Lord Darnley, l’époux de la reine, a lui aussi des relations sexuelles avec des hommes dont Rizzio.

[3Mary Stuart et Elizabeth Tudor sont bien placées pour le savoir. L’histoire de leurs deux familles est minée par les infidélités des rois, les enfants illégitimes et les reines sans enfant. Mary est une reine légitime (contrairement à son frère James) alors qu’Elizabeth est issue du deuxième mariage de son père, qui n’a pas été reconnu par Rome, raison pour laquelle a eu lieu le schisme anglican.

[4Voir les deux articles publiés sur ce site -1- / -2/-