Shimu travaille dans un atelier de confection de vêtements à Dacca, capitale du Bangladesh. Le film s’ouvre sur un incendie qui coûte la vie à une de ses collègues. Peu de temps après, le travail reprend comme si de rien n’était, avec en prime un retard de paiement des salaires.
Shimu et ses collègues ne sont pas en mesure de protester, car ce travail mal payé est le dernier rempart qu’elles opposent à leur famille pour repousser l’échéance du mariage. Comme dans beaucoup de sociétés patriarcales, les femmes au Bangladesh dépendent financièrement de leur père ou de leur mari, donc une fois mariées, elles ne sont plus une charge pour leurs parents.
Au cours d’une discussion informelle, une des collègues et amies de Shimu déclare qu’elle se résigne à se marier plutôt qu’à continuer de risquer sa vie en travaillant dans des conditions aussi dangereuses.
Voilà en somme le choix qui s’offre à ces femmes : se ranger sous l’ordre patriarcal ou sous celui du capitalisme néo-libéral affranchi de toute préoccupation pour leur santé. Mais ces deux systèmes sont-il si différents l’un de l’autre ? Les patrons de Shimu sont des hommes, qui exercent leur pouvoir notamment à travers des abus : le directeur de l’atelier renvoie les employées de façon arbitraire et illégale ; son second entretient une relation sexuelle avec une jeune employée avant de l’accuser de l’avoir séduit et débauché, pour ne pas mettre à mal sa réputation d’homme marié.
Les clients occidentaux qui viennent visiter l’atelier sont des hommes également. Ils critiquent la sécurité des travailleuses, manifestement rudimentaire, mais ça ne les empêche pas de négocier à la baisse le prix de la commande qu’ils s’apprêtent à passer.
C’est ce système patriarco-capitaliste contre lequel s’élève Shimu lorsqu’elle décide de monter un syndicat afin de défendre ses droits et ceux de ses collègues.
Car ces femmes arrivent au bout de la chaîne de l’exploitation outrancière de la planète et de ses ressources matérielles et humaines : elles sont les plus petits poissons qui sont avalés successivement par des prédateurs de plus en plus gros.
Opprimées dans leur sphère sociale et familiale, elles sont également écrasées par un système économique globalisé qui profite d’une main d’œuvre très bon marché dans certains pays « en voie de développement ». Shimu est l’une des petites mains invisibles qui fabriquent ce qui se retrouve dans nos grandes surfaces pour notre insatiable consommation.
Le film de Rubaiyat Hossein ré-humanise le vécu de ces personnes qu’on traite souvent avec un point de vue misérabiliste, avec le regard surplombant du privilégié qui culpabilise l’espace d’un instant mais sans réel intérêt pour les trajectoires complexes des humain.es concerné.es. Dans Made in Bangladesh, Shimu est une femme déterminée, malgré les forces qui tentent de l’écraser.
Elle et ses collègues sont évidemment sujettes aux différentes oppressions qui conditionnent leur existence, mais elles ne sont pas pour autant passives devant ces déterminismes sociaux, elles développent des stratégies pour tenter malgré tout d’opérer des choix conscients.
Néanmoins, le film nous montre que leur choix est restreint : se marier avec un homme qu’elles n’ont pas choisi ou accepter un travail où elles risquent leur santé et parfois leur vie. Comme ce fut le cas dans l’effondrement du Rana Plazza en 2015 à Dacca auquel Made in Bangladesh fait évidemment référence, et qui a coûté la vie à plus d’un millier d’employé.es, des femmes en grande majorité.
On saisit parfaitement dans la scène de la visite des clients occidentaux que ce sont des exigences de compétitivité qui sont responsables des conditions de travail des employées. Alors que les femmes sont à la fois observées et invisibles pour les hommes qui traversent la pièce (ils commentent leur activité comme si elles n’étaient pas là), Shimu renverse le rapport de pouvoir en filmant discrètement la scène. Alors que les clients et le directeur sortent du champ, elle est soudainement au centre de l’image : Shimu devient celle qui observe. Mieux : elle enregistre des preuves pour mener à bien son combat.
La vie dont s’inspire Made in Bangladesh est celle de Daliya Akter, une jeune femme de vingt-cinq ans qui, après avoir subi et observé plusieurs manquements et abus, a mobilisé ses collègues pour créer une section syndicale dans l’usine où elle travaille depuis six ans.
Bien que Daliya ait témoigné de la pollution engendrée par la confection massive de vêtements, elle considère que l’implantation d’usines est une chance pour le Bangladesh notamment pour de nombreuses femmes qui ont pu conquérir une certaine indépendance grâce à leur salaire.
C’est le propos qui prime dans le film de Rubiyat Hossein. Mais rappelons tout de même que l’industrie textile est une des plus polluantes au monde avec 3 à 10% des émissions mondiales de carbone. Vandana Shiva, une militante indienne qui se réclame de l’écoféminisme, considère que l’exploitation des femmes dans ces usines relève de mécanismes similaires à ceux qui président à l’exploitation de la nature. Les femmes que l’on retrouve au dernier échelon de l’exploitation, sont bien souvent victimes à la fois de violences économiques, sexuelles et patriarcales.
Cependant Made in Bangladesh met en avant la dignité de ces femmes en montrant à la fois les oppressions qu’elles subissent et leur solidarité, comme dans cette scène où Shimu et ses collègues, réunies dans sa chambre, parlent de leur stratégie en grignotant et en plaisantant.
Polémiquons.
1. Made in Bangladesh, 16 mai 2020, 16:13, par Amélie
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