Passons sur le hasard un peu « miraculeux » qui donne à Notre Dame un statut à part : c’est le dernier film à avoir utilisé la cathédrale de Paris comme décor avant l’incendie… Il est vraisemblable qu’une partie du public y verra une raison suffisante pour aller voir le film de Valérie Donzelli. La critique [1] a diversement apprécié les qualités de cette comédie à la fois légère et dans l’air du temps.
Maud Crayon (incarnée par la réalisatrice elle-même), architecte, mère de deux enfants et séparée de leur père, est exploitée comme petite main dans une agence. Par une opération magique (bien commode quand on se soucie peu de la vraisemblance de son scénario) qui la transporte jusque dans les locaux de la mairie de Paris, sa maquette pour un espace de jeux d’enfants se retrouve parmi les concurrents pour le réaménagement du parvis de Notre Dame, et le coup de cœur de la maire de Paris fait le reste. Elle gagne le concours et se retrouve à la tête d’un énorme budget et de multiples collaborateurs. Par ailleurs, le père de ses enfants (Thomas Scimeca), « un hurluberlu infantile » (dixit Le Monde), squatte chez elle quand sa nouvelle compagne le met dehors (ce qui arrive souvent) et comme il n’arrive pas à dormir sur le divan du salon, ils recouchent ensemble et elle se retrouve enceinte au moment où elle doit diriger le chantier du parvis… Au même moment, elle rencontre son amour de jeunesse (Pierre Deladonchamps) qui ne la quittera plus, sous prétexte de filmer l’avancée du chantier.
Les interventions des divers techniciens du bâtiment sur son projet transforment le toboggan initial en un énorme phallus flanqué de deux couilles, ce qui déclenche un scandale parmi les fidèles de Notre Dame qui bloquent le chantier. Un procès s’ensuit qu’elle perdra… Tout ceci se passe dans un monde pré-apocalyptique rythmé par des informations catastrophiques (inondations, tempêtes, sècheresse, incendies, etc.) et la banalisation des agressions de rue (la gifle est l’interaction la plus ordinaire entre les gens dans l’espace public).
La caractéristique principale du personnage féminin incarné par la réalisatrice est son incapacité totale à maîtriser sa vie, à prendre des décisions ou à les faire respecter. Tyrannisée par son patron, exploitée par son ex, elle continue à se laisser imposer des décisions quand elle se retrouve à la tête de cet énorme chantier.
Certains éléments sont particulièrement problématiques : elle se retrouve enceinte de son ex, ce dont elle ne s’aperçoit qu’au 4e mois, ce qui rend l’avortement impossible, comme le lui dit sa sœur gynéco… Et la transformation de son projet en énorme phallus ne suscite aucune protestation de sa part, elle va même accepter de le défendre au nom de la liberté de création !
La protagoniste est entourée de figures féminines parfaitement caricaturales, depuis la maire de Paris (Isabelle Candelier), sosie d’Anne Hidalgo, aussi incompétente que narcissique [2], jusqu’à l’avocate (Claude Perron), totalement incapable, et qui ne trouve rien de mieux que de tomber raide morte au moment de faire sa plaidoirie. L’argument de la défense (le précédent des colonnes de Burren dans la cour du Palais royal) est d’ailleurs trouvé par l’amoureux transi, qui s’improvisera avocat pour remplacer la morte…
Et l’on retrouve dans ce film un nouvel avatar d’une figure dont la fréquence dans la fiction audiovisuelle française dénote une complaisance inquiétante : la figure du père-ex-compagnon parasite et infantile, qui est censé faire rire à force d’irresponsabilité…
Par exemple, Irresponsable [3] est le titre d’une série proposée par OCS qui en est à sa troisième saison et que la critique du Monde trouve « jubilatoire et touchante » sur un « adulescent » incarné par Sébastien Chassagne, « irresponsable mais jamais coupable » (c’est le pitch de la série). Entretenu par sa mère, il se découvre un fils adolescent avec lequel il multiplie les frasques…
C’est une variante du même type qu’on trouve dans Temps de chien !, téléfilm d’Arte récompensé au festival de la Rochelle.
Et chaque fois, cette figure de parasite social et de père irresponsable est construite comme un personnage « touchant et jubilatoire », avec l’approbation de la critique.
Le fait que ce stéréotype soit repris avec la même complaisance dans un film écrit et réalisé par une femme ne rend pas très optimiste sur l’évolution des assignations genrées, en particulier dans les rôles parentaux… D’autant plus que Valérie Donzelli n’est pas la seule à proposer cette figure : récemment, Audrey Diwan avec Mais vous êtes fou, Romane Borhinger avec L’Amour flou nous ont offert une même vision attendrie d’un père irresponsable…
Enfin, la figure de l’amoureux transi, amour de jeunesse qui resurgit opportunément pour transformer le film en comédie romantique, achève de confirmer le caractère conservateur de ce film du point de vue des rapports sociaux de sexe. Qu’il s’agisse d’une comédie ne dédouane pas l’autrice de ce dont elle choisit de nous faire rire…
Polémiquons.
1. Notre Dame, 26 décembre 2019, 03:13, par Gege
Comment est-il encore possible en (presque) 2020 d’écrire une critique en racontant tout le film !?
Le mépris pour le lecteur/spectateur est à la hauteur de la nullité des relations de genre décrites.
1. Notre Dame, 4 janvier 2020, 13:08, par Geneviève Sellier
Le principe du site Le Genre & l’écran n’est pas de faire de la critique-promotion comme en fait la presse, mais de proposer des analyses informées par les approches critiques du point de vue des questions de genre, de classe et de race. Dans cette perspective, on ne peut pas comprendre le sens d’un film sans le prendre dans sa totalité.
La rédaction.
2. Notre Dame, 7 janvier 2020, 11:20, par Ginette Vincendeau
Je voudrais ajouter mon grain de sel à cette discussion parce que j’ai trouvé le film aussi charmant qu’exaspérant. Charmant et amusant dans sa dimension fantaisiste assumée, y compris le transport ’magique’ du projet de la protagoniste à la Mairie de Paris et l’utilisation des couleurs pastel. Et la comédie utilise forcément les stéréotypes. En même temps, la figure de l’ex irresponsable censé être touchant (pour moi, absolument pas) et drôle (encore moins) m’est restée en travers de la gorge, semblable comme le fait remarquer Geneviève Sellier à l’ex compagnon de L’Amour flou. Cette figure récurrente - on pourrait trouver d’autres exemples – en dit long sur la peur des femmes à s’affirmer sans passer pour des harpies castratrices, que ce soit dans la vie ou au cinéma. Quant à la nécessité pour la critique de raconter de quoi il s’agit dans un film, eh bien oui, il le faut. En fait, la façon qu’a la critique ’classique’ de ne pas dire clairement ce qui se passe dans un film sert souvent à occulter justement de quoi il s’agit en réalité.