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Valeria Bruni Tedeschi / 2019

Les Estivants


>> Geneviève Sellier / samedi 9 février 2019

Les malheurs dérisoires des "people"


Le dernier film de Valeria Bruni Tedeschi est à l’image de ce qu’est trop souvent le cinéma d’auteur/trice français : un ghetto pour riches dont on se demande ce qui justifie qu’on nous raconte une fois de plus les situations aussi dérisoires que terriblement répétitives qui s’y passent… En ces temps de « gilets jaunes », la sortie de ce film confine à l’obscénité.

Naguère, dans Actrices (2007), la cinéaste avait su décrire de façon lucide les rapports de domination dans le monde du spectacle : on y voyait une scène hallucinante de viol par un metteur en scène homosexuel de son actrice pour la mettre au pas…

Mais ces trois autres films que VBT a réalisés à ce jour se contentent de raconter plus ou moins complaisamment les états d’âme d’une pauvre petite fille riche, dont on sait qu’ils sont largement autobiographiques. Le fait que son public se rétrécisse à chaque film n’a pas l’air de l’empêcher de continuer à trouver des financements (son origine sociale y est sans doute pour quelque chose…). En effet si son premier opus, Il est plus facile pour un chameau (2003) avait fait environ 420 000 entrées, le second, Actrices, n’en a fait que 300 000, le troisième Un château en Italie, 240 000, on peut augurer que le dernier suivra cette pente. Si elle garde de fervents supporters dans la critique cinéphilique (Thomas Sotinel au Monde, Anne Dessuant à Télérama), mais certains comme Libération (Élisabeth Franck-Dumas qui titre « Les Estivants, ronde d’ennui ») commencent à la lâcher…

Les Estivants est à la fois une variation sur la pièce de Tchékhov Les Trois Sœurs que la cinéaste a filmée en 2015 pour Arte avec des acteurs de la Comédie française (deux d’entre eux, Bruno Raffaelli et Laurent Stocker, se retrouvent dans la distribution des Estivants) et une énième variation sur sa vie familiale et sentimentale. Les sœurs ne sont plus que deux, on est passé d’un château en Italie à une villa cossue sur la Côte d’azur, et l’intrigue tisse cette fois-ci le souvenir du frère mort du sida avec la rupture de la cinéaste avec son compagnon de l’époque (les spectateurs/trices bien informé·e·s savent qu’il s’agit de Louis Garrel qui l’a quittée pour l’actrice-mannequin Laetitia Casta, avec laquelle il vient de faire un film – L’Homme fidèle (voir la critique sur notre site https://www.genre-ecran.net/spip.php?article294) – où c’est elle qui le trompe, bien sûr [1])…

Le film s’ouvre sur une scène dans un café où son compagnon Luca (Riccard Scamarcio) annonce à Anna (Valeria Bruni Tedeschi) qu’il la quitte alors même qu’elle s’apprête à aller défendre son scénario à la commission d’avance sur recettes, accompagnée de son producteur (Xavier Beauvois). Bouleversée, elle s’effondre devant la commission alors qu’un des membres lui fait remarquer que son nouveau scénario reprend beaucoup d’éléments déjà traités dans ses films précédents… Cette scène peut être perçue comme extrêmement provocatrice pour tous/tes les candidat.e.s malheureux/ses à cette manne, dans la mesure où, en dépit de cette contre-performance de la cinéaste, le film a effectivement reçu l’avance sur recettes, après avoir reçu l’aide au développement de projets de long métrage [2] : on ne prête qu’aux riches !

Mais pour une féministe, le plus irritant est sans doute la complaisance avec laquelle la cinéaste se dépeint comme une femme totalement détruite par cette rupture : elle passe constamment du rire aux larmes pour essayer de retenir, en lui laissant des messages téléphoniques interminables et contradictoires, l’homme qui lui a annoncé qu’il partait avec une autre femme… Puis, quand il vient en coup de vent pour confirmer la rupture, la scène sur le quai de la gare où elle s’accroche à lui hystériquement en prenant à partie le chef de gare est particulièrement pénible.

On la voit errer dans la propriété, incapable de rien faire, alors que sa co-scénariste (Noémie Lvovsky) est venue exprès pour travailler au scénario du film qui se tournera effectivement (par quel miracle ?) dans l’épilogue des Estivants.

Le personnage de la sœur n’est pas mieux loti (il s’agit dans la « vraie vie » de Carla Bruni, comme nul ne l’ignore…) : Elena (Valeria Golino) est l’épouse d’un industriel voyou, incarné par Pierre Arditi avec un tranquille cynisme ; ce couple classiquement « incestueux » (le mari a l’âge d’être le père de sa femme) est tout à fait dérisoire, et Elena qu’on voit danser dans les grandes pièces vides de la villa, puis se plaindre d’avoir dû avorter de l’enfant qu’elle attendait quand elle n’était encore que la maîtresse de son mari, est une autre variante de femme enfant qui n’attire pas plus l’empathie que sa sœur.

Les personnages secondaires ont plus d’épaisseur mais on se demande ce qu’ils/elles sont venu.e.s faire dans cette galère. Noémie Lvovsky, une des deux co-scénaristes du film, joue son propre personnage, sauf qu’elle repart sans avoir pu travailler avec la cinéaste, trop absorbée par son échec sentimental. Mal à l’aise dans cette maison à la dérive, elle a une brève aventure avec le cuisinier (François Négret), pendant que Yolande Moreau, la gouvernante, affublée d’un mari libidineux qu’elle menace de placer dans une maison de retraite, se console avec un gardien de la propriété.

Le motif éculé du « film sur le film en train de se faire » atteint ses limites, y compris parce que tout semble réuni ici pour que le film ne puisse pas se faire : les réserves de la commission, la dépression amoureuse de la cinéaste, le fantôme de son frère qui surgit pour lui interdire de parler de lui, les tentatives vouées à l’échec pour écrire le scénario…

Pourtant le film se termine par le tournage du film, noyé dans une brume artificielle : une métaphore du brouillard qu’il y a dans la tête de la cinéaste ?


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[1Pour la petite histoire people, Louis Garrel qui a 20 ans de moins que Valeria Bruni Tedeschi, l’a quittée pour Laetitia Casta qui a 15 ans de moins que la précédente. On peut faire le pari qu’il la quittera bientôt pour un plus jeune tendron… Sauf bien sûr que dans le film que ledit Garrel vient de faire avec sa nouvelle compagne, c’est Laetitia Casta qui le quitte, et c’est Lily-Rose Depp (qui a 15 ans de moins que lui) qui cherche et parvient à le séduire… les films servent aussi à réécrire l’histoire de façon plus édifiante pour leur auteur…

[2Pour être exacte, elle a même obtenu 4 aides du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Aides à la création de musiques originales, Aide à l’édition en vidéo physique https://www.cnc.fr/cinema/le-cnc-aide/les-estivants_919839