La mini-série en 8 épisodes Pam & Tommy vient s’ajouter à une liste de productions qui commencent à former un nouveau canon, celui des icônes féminines bafouées des années 1990-2000 revisitées sous un angle (pseudo-)féministe : le film I, Tonya (Craig Gillespie, 2017) propose le point de vue de la patineuse Tonya Harding ; la série documentaire Lorena (2019, Amazon Prime Video, 4 épisodes) se penche sur l’agression et le procès de John et Lorena Bobbit ; Impeachment : American Crime Story (2021, FX, 10 épisodes) relate l’affaire Clinton-Lewinsky ; et les documentaires sur Britney Spears, méga-star de la pop, Framing Britney Spears (Samantha Stark, 2021, Hulu) et Britney vs Spears (Erin Lee Carr, 2021, Netflix).
L’idée est relativement identique : dans une ère post #MeToo, ces productions culturelles proposent de réévaluer la façon dont les médias et les publics ont maltraité et injustement jugé des femmes célèbres. Ces femmes sont le plus souvent blanches – deux exceptions notables : le film Confirmation (Rick Famuyiwa, 2016, HBO), sur la controverse qui a éclaté lors les auditions de Clarence Thomas en vue de sa nomination à la Cour Suprême des Etats-Unis, lorsque Anita Hill (brillamment interprétée par Kerry Washington) a affirmé qu’il l’avait harcelée sexuellement ; la série documentaire Janet Jackson (2022, Lifetime, 4 épisodes), notamment le dernier épisode qui relate les suites du fameux moment au cours du spectacle du Super Bowl en 2004 où sa poitrine a été brièvement exposée par le chanteur Justin Timberlake – elle fut complètement ostracisée, quand sa carrière à lui n’en a subi aucune conséquence, au contraire.
Pam & Tommy relate le moment à la fin des années 1990 où le couple de stars Pamela Anderson (l’actrice anglaise Lily James, méconnaissable) et Tommy Lee (Sebastian Stan) se font dérober une « sex tape » (une vidéo à caractère sexuel) à leur domicile, qui est ensuite rendue publique grâce à Internet émergent. C’est la violation de l’intimité du couple et les répercussions de ces évènements sur la carrière d’Anderson que la série entend dénoncer (ce qui ne l’a pas du tout été à l’époque, à part par le couple lui-même) et particulièrement l’inégalité de traitement entre d’un côté Pamela, jeune actrice plébiscitée (la série Baywatch / Alerte à Malibu en a fait un sex-symbol international), et de l’autre, Tommy, rockeur bad boy à la réputation sulfureuse.
Pam & Tommy se distingue donc plutôt par les sources utilisées et l’angle par lequel la série aborde ce moment de pop culture. La série se base en effet sur un reportage-enquête mené en 2014 par la journaliste Amanda Chicago Lewis pour le magazine Rolling Stone sur un ouvrier, Rand Gauthier, qui, mécontent de ce qu’il prétendait être des salaires impayés, a volé le coffre-fort de Lee en 1995. Ce coffre contenait une sex tape que Lee et Anderson avaient réalisée durant leur lune de miel, que Gaultier a vendue et qui a enflammé Internet qui en était alors à ses balbutiements. La série montre Gaultier employé par Lee pour aménager une chambre dans la grande maison californienne qu’il partage avec sa nouvelle épouse. Lee, insupportable de vantardise, se montre particulièrement grossier envers les ouvriers. On comprend donc que, outre les salaires impayés, c’est également la puissante position sociale, les privilèges de la célébrité et la masculinité arrogante de Lee qui parade souvent quasi nu, que Gaultier décide d’attaquer. Ce type un peu naïf a agi par vengeance personnelle sans imaginer l’ampleur de ce qu’il déclenchait – et notamment les conséquences sur la carrière et la vie personnelle d’Anderson. Or, son acte participe à propulser la culture occidentale dans une autre dimension, celle où les limites entre les vies publique et privée des célébrités sont brouillées, où l’intimité est partagée et consommée à outrance en raison d’un appétit médiatique vorace pour le voyeurisme, sans égard pour la protection de la vie privée des personnes concernées et sans leur consentement. Cette vidéo a contribué à créer un marché au moment même où Internet se développait et s’est avéré être le meilleur outil pour alimenter ce marché. En 2004, une sex tape de Paris Hilton diffusée sans son consentement la fit accuser de profiter de la meilleure publicité gratuite, alors qu’aujourd’hui c’est considéré comme du revenge porn (ou « pornodivulgation », c’est-à-dire la divulgation, dans le but de nuire à une personne et sans son consentement, un enregistrement ou tout autre document à caractère sexuel la concernant, que celui-ci ait été ou non réalisé avec son accord). Kim Kardashian a vécu une situation similaire en 2006.
Les premiers épisodes de la série sont prometteurs, drôles et surfent sur une esthétique californienne trashy-chic empreinte de la nostalgie des années 1990 avec une bande-son composée des grands tubes de l’époque. La série satirise la relation du couple de stars : ils tombent très vite et intensément amoureux, se marient quelques jours seulement après leur rencontre, se touchent en permanence et communiquent surtout physiquement. Nous ne voyons jamais vraiment la sex tape en question : la série, dans une tentative d’éviter toute consommation et exploitation de la vidéo, ne fait allusion à son contenu que par les réactions des personnages et par des extraits sonores.
Malgré une impressionnante reconstitution, le sentiment d’anachronisme est persistant. L’objectif de la série est révisionniste : en soulignant, assez lourdement d’ailleurs, le traitement injuste infligé à Anderson, Pam & Tommy suggère inversement la façon dont elle aurait dû être traitée. Ce faisant, la série tombe dans l’écueil de ce que font bon nombre des productions culturelles actuelles citées plus haut : en placardant une vision contemporaine des politiques de genre, elles réduisent des histoires éminemment complexes à des simples allégories de la misogynie et réduisent la vie d’une femme à sa pire expérience.
L’ironie est que cette série sur la violation du consentement s’est faite sans le consentement de la principale intéressée. Le préambule de la série est un flash-forward qui résume toute la démarche de la production. Alors qu’Anderson est invitée sur le plateau du Tonight Show with Jay Leno, l’animateur l’interroge de façon assez indélicate sur ce qu’elle ressent d’avoir été ainsi « exposée » suite à la large diffusion de sa sex tape. Cette scène prémonitoire, pratiquement identique à l’interview réelle, souligne l’intérêt que Pam & Tommy porte à l’intériorité d’Anderson, dont la célébrité repose encore principalement sur sa blondeur et son physique de « bimbo ». Mais nous n’aurons pas sa réponse car l’écran passe alors au noir. On ne peut être que critique face à telle entreprise car, si la série met l’accent sur la notion de consentement, Anderson elle-même n’a pas donné son accord et a refusé de participer à la production, en raison sans doute – on ne peut que le supposer car elle observe un silence strict à ce propos – du traumatisme qu’elle a vécu à l’époque. Pam & Tommy cherche davantage à allier divertissement et gain financier, quitte à porter préjudice à la protagoniste une seconde fois.
La série n’est anticonformiste qu’en surface : le personnage d’Anderson est écrit exclusivement à travers le filtre de l’empathie et de la passivité. Elle est une actrice brillante et ingénue en devenir, piégée par sa beauté et son passé de mannequin (« playmate ») pour Playboy. Au moment de créer la narration marketing à la sortie de l’un de ses films, Anderson déclare que Jane Fonda est son idole, mais la série ne poursuit pas du tout cette idée – or on sait qu’Anderson, comme Fonda, s’engagera dans une voie militante, principalement la défense animale (son intervention à l’Assemblée nationale en 2016, à l’invitation de la députée écologiste Laurence Abeille, fut scandaleusement raillée). La série veut clairement nous montrer qu’Anderson est plus intelligente que ne le pense le grand public (il existe une longue histoire qui associe les femmes au physique séduisant, et surtout les blondes, à la bêtise), en lui attribuant des valeurs féministes – ce que la vraie Anderson s’est pourtant toujours défendue de revendiquer. Elle tente d’expliquer à leurs avocats en quoi sa situation est impactée par son genre, quand elle subit les attaques de plus en plus violentes de Lee à son égard car il ne comprend pas pourquoi la diffusion de la vidéo l’affecte autant ; le stress lui provoquera une fausse couche. Il y a notamment un moment intéressant où l’ex-épouse de Gaultier tente de lui faire comprendre que la fameuse vidéo est hypnotique à cause de son authenticité, en particulier pour un public féminin : Anderson tient parfois elle-même la caméra, elle est donc en pleine possession du regard, et c’est alors qu’elle décide de filmer le visage de son mari et non son sexe, comme c’est communément le cas dans les vidéos pornographiques, mais cette idée n’est pas explorée par la série. En revanche, la série est convaincante quand elle traite de la notion de consentement : certains soutenaient à l’époque que parce que la vie sexuelle de Lee et Anderson était déjà exhibée dans les tabloïds et qu’Anderson avait posé de nombreuses fois nue dans Playboy, il y avait un droit du public d’accéder à leur vie privée. Ceci a même constitué un argument légal : un avocat a soutenu que, puisque Anderson avait posé plusieurs fois nue et qu’elle et Tommy Lee avaient discuté de leur vie sexuelle dans des interviews, le couple avait ainsi renoncé à son droit à la vie privée. Des photos du mariage du couple prises par des paparazzi avaient été publiées avant même que la vidéo soit volée et diffusée, argument utilisé à nouveau pour dénier leur droit à une vie privée. L’autrice féministe Roxane Gay – dont l’essai Bad Feminist a été publié en français en 2018 – évoque ce problème dans The Guardian (30/09/2014) du point de vue de la femme : « Il existe une curiosité insatiable pour le corps nu d’une femme célèbre. Elle s’expose aux yeux du public et, en retour, nous avons le droit de voir autant d’elle que nous le désirons, ou du moins c’est ainsi que nous le justifions ».
Pam & Tommy est une repentance insuffisante et dérisoire de la part d’Hollywood, comme une tentative tardive et désespérée de se placer du bon côté de l’histoire de la pop culture. Ce que l’on pensait être une critique incisive des médias à l’égard d’une de ses idoles, se révèle être une entreprise affairiste de récupération qui participe à poursuivre l’exploitation de l’intimité volée de Pamela Anderson.