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Fisher Stevens / 2023

Beckham


par @touslesgouts / dimanche 15 octobre 2023

Beckham ou le pur produit de la masculinité toxique

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Vous avez sans doute vu passer sur Internet, une vidéo dans laquelle Victoria Beckham, ancienne Spice Girls, girls band emblématique des années 1990, raconte qu’elle vient de la classe ouvrière. Elle est reprise par son mari, David Beckham, qui pose des questions avec une méthode de détective pour lui faire avouer que son père la conduisait à l’école en Rolls Royce dans les années 1980. Ce passage a provoqué une hilarité générale sur les réseaux sociaux. David Beckham est comparé à Elise Lucet, journaliste du service public connue pour ses méthodes d’investigation. Cette vidéo devenue virale en quelques heures est extraite de la mini-série documentaire Beckham, diffusée depuis le 4 octobre dernier sur Netflix.

Les quatre épisodes retracent la vie de l’ancien milieu de terrain de Manchester United à travers les étapes clés de sa carrière racontées par de nombreux témoins, notamment « Sir » Alex Ferguson, entraineur de Manchester United de 1986 à 2013, Ted et Sandra Beckham, les parents du footballeur et Victoria Beckham, sa femme.

Comme beaucoup de sportifs de haut niveau, David Beckham est repéré très jeune. Dès l’âge de quinze ans il quitte le domicile familial pour le club junior de Manchester United à plus de trois cents km de chez lui. Sa mère raconte les difficultés de la séparation, notamment les appels de David à la maison prétendant avoir mal aux dents pour que ses parents viennent le chercher. Pendant cette période, éloigné de sa famille, il développe une relation étroite avec son coach ; “Alex Ferguson était une figure paternelle”, confie t-il dans le premier épisode.

Dans le documentaire, réalisé par Fisher Stevens, Ferguson est montré comme ayant cherché à protéger Beckham du star-système, alors même qu’il devient la coqueluche des médias et des marques. Sa rencontre avec Victoria Davis, connue à cette époque sous le pseudo de Posh Spice, accélèrera encore cette célébrité. Le couple deviendra iconique en Angleterre. Gary Neville, ancien coéquipier du footballeur, remarque : « ils étaient comme le couple royal, ils étaient autant suivis que Charles et Diana. » Il ajoute que jamais les incartades de David au règlement pour être avec Victoria n’affecteront ses prestations sur le terrain.

Mais Ferguson voit cette relation d’un très mauvais œil. Il considère que tout ce qui se passe en dehors des terrains n’est que diversion. Victoria Beckham raconte dans son autobiographie Learning to Fly qu’en quatre ans, l’entraîneur ne lui a rien dit d’autre que bonjour. « Il me paraissait évident qu’il ne m’appréciait pas », ajoute-t-elle. « Il me voyait comme une distraction, un risque pour la carrière de David. » Fergie, comme le surnomme ironiquement Victoria Beckham, punira de nombreuses fois David pour des comportements qu’il juge inappropriés, comme choisir un autre agent que celui recommandé par son entraîneur, aller à Londres voir Victoria et passer des heures au téléphone avec elle la veille de matchs importants. Les mesures de rétorsion : le silence, l’ignorance totale de Victoria Davis, la mise au banc, les violences verbales qui iront parfois jusqu’à la violence physique. Lors d’un débrief dans les vestiaires après un match perdu, Ferguson perd son calme, hurle et finit par jeter une chaussure à la tête de David qui est légèrement blessé. Ultime humiliation : Manchester United décide sans en avertir le joueur de le vendre. Quand David apprend la nouvelle, il essaie de joindre le coach qui ne daignera jamais lui répondre.

En 2013, soit plus de vingt ans après avoir repéré son protégé, alors qu’il prend sa retraite, Alex Ferguson se confie dans une longue interview et évoque le cas Beckham : « Sa vie a changé quand il s’est marié avec cette fille [Victoria Adams] des Spice Girls. Et son envie a aussi changé. [...] Il a été happé par son statut de personnage public, vous savez. Il a perdu sa concentration. Et quand nous l’avons vendu au Real Madrid [en 2003], nous avons bien fait. »

On apprend aussi dans la série que Ted Beckham, fan inconditionnel de Manchester United, a entraîné David depuis son plus jeune âge. David explique que s’il a réussi à faire face à l’agressivité des supporters anglais dans les moments difficiles de sa carrière, c’est qu’il avait subi le même traitement de la part de son père toute son enfance. « Sa présence m’intimidait. Je savais qu’au moindre pas de travers, il me le ferait savoir. Et il le faisait toujours. » Jamais un mot gentil ni affectueux, jamais une démonstration de fierté quand il gagnait un match. Et tous ces hommes très fiers de nous expliquer que c’est comme ça qu’on crée de la graine de champion. Quand le réalisateur demande à Ted s’il ne pense pas avoir été trop dur avec son fils, il répond simplement : « Si je lui avais dit à quel point il était bon, il n’aurait pas progressé. Mais on dirait que l’histoire m’a donné raison. »

Or, les comportements décrits et pratiqués notamment par les entraîneurs successifs de David Beckham et par son père sont violents et abusifs.

Vous pourriez rétorquer : finalement cela fonctionne. Grâce à tout cet environnement toxique et malveillant, David est devenu une star et un des plus grands joueurs de foot de sa génération. Certes. Mais à quel prix ? Il n’y a qu’à écouter les femmes dans cette histoire. La mère de David Beckham évoquant plusieurs fois très émue la dureté des comportements de son mari et les nombreux désaccords qu’ils pouvaient avoir sur la manière de traiter David. « Je le trouvais trop strict. J’étais furieuse qu’il le fasse pleurer. » Victoria Beckham racontant son traitement par les médias, les supporters et les entraîneurs, la rendant coresponsable des piètres résultats de son mari dès qu’ils en avaient l’occasion. Lors de sa première grossesse, elle doit accoucher par césarienne et la presse anglaise titre : « Too posh to push » (trop snob pour pousser). Entre 1998 et 2002, David Beckham est pris en grippe par les supporters anglais à cause d’une erreur commise lors d’un match contre l’Argentine où le joueur écopera d’un carton rouge et laissera ses coéquipiers à dix sur le terrain. Victoria raconte : « J’allais au match avec Brooklyn (leur premier fils). Et la violence était inconcevable. 75000 personnes chantaient en chœur : “Posh Spice se la prend dans le cul”. C’était humiliant et vexant. »

Côté humiliation, David n’est pas en reste. Il la force à déménager du jour au lendemain à Madrid, puis à Los Angeles pour finalement décider quelques mois plus tard de retourner jouer en Europe pour le Milan AC, abandonnant femme et enfants pour poursuivre ses rêves. « J’allais une nouvelle fois rester seule à la maison avec les enfants. Je n’en pouvais plus, j’étais furieuse. Et il est parti », déclare Victoria à propos du prêt de Beckham à Milan AC par son club américain.

Est-ce que cette « éducation » construit de grands athlètes ? On peut sérieusement en douter. En revanche, elle perpétue un système dans lequel les femmes et les enfants vivent au gré des décisions et des humeurs des pères, des maris et des entraîneurs. Un système qui alimente des comportements et des pratiques toxiques, misogynes, homophobes et racistes, aussi bien du côté des clubs, des supporters que des entraîneurs et des joueurs.


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