pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Archives > Année 2021 > Freda

Gessica Généus / 2021

Freda


par Geneviève Sellier / lundi 29 novembre 2021

Haïti: l'enfer des femmes


Freda, c’est l’histoire d’une jeune Haïtienne qui habite un quartier populaire de Port-au-Prince, avec sa mère Jeannette qui fait tourner une petite épicerie, sa sœur Esther qui se blanchit la peau et rêve d’un homme riche, et son frère Moïse qui se prépare à quitter Haïti. Freda elle aussi se demande si elle va suivre son amoureux à Saint-Domingue.

La réalisatrice, Gessica Généus, est une comédienne dont c’est le premier long-métrage, qu’elle revendique comme autobiographique, après un documentaire sur sa mère qui a obtenu de multiples récompenses. Son projet est explicitement féministe :
« Je voulais avant tout faire exister un point de vue féminin sur la société haïtienne… l’analyse de la situation de notre pays est monopolisée par les hommes… Dans une société aussi patriarcale que la nôtre, les femmes ne sont pas en haut de l’échelle. Il y a donc un silence qui leur est imposé tant au niveau de la sphère publique que dans le quotidien. Mon film fait écho à ce que j’ai vécu en tant que jeune femme dans ce pays… Les hommes disparaissent et ont le droit de le faire. Ils ont le droit d’aller ailleurs, d’exister ailleurs. Alors que la femme est comme dans un étau et doit vivre là. »

Le film s’ouvre sur des images subjectives d’agression sexuelle en noir et blanc, dont on ne comprendra la signification que vers la fin du film (attention : divulgâchage) : le cauchemar (récurrent ?) que fait Freda suite au viol qu’elle a subi de la part d’un compagnon de sa mère.
Sur fond de manifestations contre la corruption et de fusillades, cette famille sans père (il fait une apparition dans une grosse voiture avant de disparaître) survit tant bien que mal autour d’une mère tour à tour affectueuse et cynique, agressive et désarmée. Elle se réfugie dans un culte évangélique orchestré par un pasteur blanc qui a tout d’un charlatan. Elle pousse sa fille aînée Esther à utiliser sa beauté et sa peau plus claire pour fréquenter des hommes riches avec l’objectif du mariage. Jeannette voit d’un mauvais œil sa cadette fréquenter l’université au lieu de ramener de l’argent en faisant le ménage chez les riches. Elle met de l’argent de côté pour permettre à son fils Moïse de partir pour le Brésil. Elle disparaîtra vers la fin du film, à la suite d’une énième dispute avec Freda et reparaîtra sans explication (épisode autobiographique à l’origine du documentaire de Gessica Généus sur sa mère). Cette mère à la fois bonne et mauvaise incarne l’impossibilité pour les femmes haïtiennes de vivre dignement dans cette société caricaturalement patriarcale, corrompue et raciste : plus on est clair de peau, et plus on peut accéder au pouvoir et à l’argent.

C’est à travers le point de vue de Freda, l’étudiante en anthropologie, que cette histoire nous est racontée. Son regard critique sur sa famille et sa société ne l’empêchent pas de manifester son attachement à sa mère, à sa sœur, à son fiancé qui revient de Saint-Domingue où il a été soigné après avoir été victime d’une balle perdue. Il veut la persuader de repartir avec lui. Après avoir hésité, elle refusera de quitter Haïti et sa famille « qui a besoin d’elle ».

C’est une sorte de « fille courage » sans doute un peu trop héroïque et la réalisatrice raconte qu’à sa grande surprise, les spectateurs haïtiens ont davantage apprécié la jolie Esther qui aime s’amuser, fréquente les boîtes où se pratique un rap endiablé, mais n’hésite pas à sacrifier le rappeur qui est son petit ami, pour faire un riche mariage. Bien mal lui en a pris ! Elle s’apercevra un peu tard que son riche mari est d’une jalousie féroce et n’hésite pas à la « corriger » quand elle sort sans sa permission. Le visage tuméfié, elle se réfugie chez sa mère et refuse que celle-ci « arrange les choses » avec son mari.

Quant au frère, il est comme un coq en pâte entre ces trois femmes et ne paraît soumis qu’à son propre désir, tout en comptant sur sa mère pour lui payer le voyage vers le Brésil où ses copains l’attendent.
Leur cousine qui fait le ménage chez des riches métisses, se laisse séduire par le fils de la maison et se retrouve enceinte et larguée. Ce qui provoque chez Jeannette un immense éclat de rire : que sa nièce ait pu croire à un mariage entre une noire et un métisse !

Les barrières sociales paraissent dignes du XIXe siècle dans la société haïtienne… et se focalisent obsessionnellement sur la couleur de peau.
Le style documentaire du film est en harmonie avec son propos : un film pauvre sur la pauvreté, où la caméra est toujours à hauteur d’épaule pour accompagner Freda. On peut regretter parfois la longueur excessive de gros plans muets, qu’aucun dialogue ne vient expliquer pour un public qui ignore tout des réalités haïtiennes. Ces coquetteries « d’auteur » s’expliquent peut-être par l’apprentissage du cinéma que Géssica Généus a fait en France et par le fait que son film est largement financé par des organismes français.

Mais il nous propose une vue de l’intérieur et du côté des femmes de la société haïtienne, ce qui lui donne toute sa valeur.


générique


Polémiquons.

  • Frida est un film qui s’inscrit dans la lignée des films féminins voire féministes qui mettent en exergue la condition de la femme dans une société donnée.
    Souscrivant aux propos tenus ci-dessus ; compte tenu de notre méconnaissance de la société haïtienne, il faut voir ce film pour apercevoir, même partiellement, l’expression du patriarcat, des différences de classes, du racisme au sein de ce pays.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.