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Alain Tasma / 2017

Le viol


Hommage à Gisèle Halimi / mardi 28 juillet 2020

Gisèle Halimi vient de nous quitter à 93 ans. Avocate, elle a défendu avec un courage sans failles d’abord les militants du FLN pendant la guerre d’Algérie, puis les femmes victimes de viol ou de toute forme de violence sexiste et sexuelle.
La télévision française lui a rendu hommage à deux reprises : avec Le Procès de Bobigny (François Luciani, 2006), procès où elle fit acquitter une jeune fille qui avait avorté suite à un viol, et avec Le Viol (Alain Tasma, 2017) qui relate le viol collectif que subirent deux jeunes lesbiennes belges en vacances en France et le procès où Gisèle Halimi les défendit. Deux moments forts de sa bataille contre les violences faites aux femmes, qui ont amené un changement de la législation.

Geneviève Sellier
28 juillet 2020


Le Viol, téléfilm d’Alain Tasma, avec Clotilde Courau, Hippolyte Girardot, Sam Karmann, Patrick Catalifo, Romane Bohringer…


Le 21 août 1974, dans les calanques de Marseille, deux jeunes touristes belges venues passer quelques jours de vacances en France sont agressées et violées par trois hommes. Pendant quatre années, alors que leur entourage leur suggère d’oublier cet incident, ces deux jeunes femmes et leurs avocates vont se battre pour amener leurs agresseurs devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence…

Rien n’est plus difficile que de trouver une forme adéquate pour raconter un viol. On se souvient du film de Yannick Bellon, L’Amour violé (1978), qui montrait frontalement et pour la première fois l’horreur d’un viol et ses conséquences sans ménager les spectateurs.

Quarante ans après le procès qui amènera un changement de la loi [1], Alain Tasma qui a fait ses preuves depuis longtemps dans des fictions centrées sur des femmes (Par Amour en 2003, avec Marthe Keller, sur les prisons de femmes ; Mata Hari, la vraie histoire, avec Maruschka Detmers, la même année ; Harkis, en 2006 ; La Surprise en 2007…) a adapté le récit du procès avec la scénariste Natalie Carter.

Ils ont choisi de mettre l’accent sur le contexte social de la France des années 1970, en racontant d’abord la façon dont les institutions et la société dans son ensemble ont réagi à ce crime. On passe d’une première séquence idyllique où deux jeunes femmes installent leur tente sur la plage d’une calanque un jour d’été, à l’arrestation des trois jeunes gens par des gendarmes peu complaisants. On comprendra ensuite qu’elles ont déposé plainte, suite à la nuit d’horreur qu’elles ont vécue.

Nous suivrons désormais les deux jeunes femmes dans le long calvaire qui va suivre, face à un chef de clinique qui les traite comme des objets, face à une juge d’instruction qui semble leur reprocher de n’être pas mortes pour se défendre, face à des avocates résignées à se contenter de la correctionnelle, face à leurs ami.e.s qui trouvent qu’elles « ressassent ». Quand elles rencontrent enfin en Gisèle Halimi qui est décidée à leur obtenir un procès d’assises, ce qui suppose que leur viol soit médiatisé, celle qui est professeur est mutée sous la pression de ses collègues et des parents d’élèves suite à la révélation de son homosexualité.

On les voit passer alternativement par des phases de découragement et de désespoir, mais réussir malgré tout à rester ensemble et à se battre.

Enfin, le procès d’assises qui a lieu quatre ans plus tard à Aix en Provence, c’est-à-dire dans la région où vivent les accusés, donne lieu à un récit qui privilégie aussi la complexité : c’est à ce moment-là que quelques flash-backs sur la nuit du viol, viennent illustrer les témoignages des victimes, mais l’essentiel est dans la restitution du climat et du comportement des protagonistes : le président (incarné par Hippolyte Girardot) n’est ni idéalisé, ni caricaturé, et on voit toute la difficulté que les victimes éprouvent à faire comprendre leur comportement cette nuit-là, d’abord résistant physiquement à leurs agresseurs, puis renonçant à se défendre par peur de mourir. La plaidoirie de Gisèle Halimi (incarnée sobrement par Clotilde Coureau) sur la question du consentement est d’une grande valeur pédagogique, y compris bien sûr pour les téléspectateurs d’aujourd’hui. Et on n’est pas très étonné de voir l’avocat de la défense, Gilbert Collard, aujourd’hui député FN du Gard… plaider la « méprise culturelle » pour ses clients, qui auraient mal interprété le comportement « libéré » de ces deux lesbiennes, qui plus est naturistes…

Si ce téléfilm restitue de façon très documentée le climat des années 70, où l’émancipation des femmes provoque des réactions masculines d’une violence inouïe, il nous fait prendre conscience que les choses n’ont pas fondamentalement changé à la période actuelle, où 10% seulement des femmes violées portent plainte…

Il devient si rare que le service public propose des œuvres d’une telle qualité qu’il faut saluer cette initiative et utiliser le replay pour ceux et celles qui ont raté la diffusion sur France 3.


En replay jusqu’au 26/09


>> générique

Polémiquons.

  • Merci de l’avoir signalé ! (vu sur rezo.net) . Vu au replay. Et merci à toute votre présentation.

  • Film à voir et faire voir, bravo pour la démarche de faciliter l’accès au replay.
    Ce document très bien réalisé est très représentatif de toute l’émotion, l’intérêt, l’engagement qu’on a éprouvé en suivant à l’époque cette affaire terrible. Compacter ces quatre ans en un film n’a pas été une mince affaire. C’est pourtant réussi en conservant la complexité dans laquelle ce combat a été mené. L’écueil du film "judiciaire" avec prestation virtuose d’avocat retournant une situation a été évité, pour mettre en évidence une argumentation fondée sur des faits, un raisonnement, des valeurs et la nécessité de la justice, sans entourloupe. Il s’agit d’un document historique, et non d’une fiction... On mesure donc là combien nous avons eu de la chance que ces deux jeunes femmes aient eu la force, la volonté, la vision claire qui leur a fait choisir dès le début une voie juste et ensuite s’y tenir, avec pourtant des coûts personnels énormes. Il y a d’autres films à faire sur ce sujet car la modification de la loi a sans doute un impact social, culturel, juridique et pragmatique énorme... Mais la réalité massive du viol est toujours trop largement invisible et inconnue... Il faudrait sans doute faire aussi des films à propos de toutes celles qui ne recourent pas à la justice ... Puisque c’est aussi cela le fait, massivement.

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[1La loi de 1980 définit le viol comme un crime : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, par le doigt, par un objet.