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Thomas Kruithof / 2022

Les promesses


Par Geneviève Sellier / lundi 31 janvier 2022

Dommage que les personnages féminins soient si creux!

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Une maire de Seine-Saint-Denis en fin de mandat s’efforce, avant de quitter ses fonctions, d’obtenir la réhabilitation d’une cité particulièrement dégradée de sa ville. Elle est secondée par un efficace directeur de cabinet originaire de cette cité, mais qui a l’ambition d’en sortir. Ils vont se heurter à l’incrédulité des habitants qui crient dans le désert depuis vingt ans, aux manipulations d’un marchand de sommeil qui rachète les appartements dégradés pour les louer à des immigrés plus ou moins clandestins, et aux divers rouages de l’administration centrale qui fait les arbitrages.

Voilà un film qui prend à bras le corps des enjeux sociaux qui intéressent le plus grand nombre, puisque c’est à l’échelle de la ville que la plupart des gens vivent leurs espoirs et leurs frustrations dans l’organisation quotidienne de leur vie. Les premières séquences nous plongent en pleine catastrophe : les habitants d’un immeuble luttent avec tout ce qui leur tombe sous la main pour faire face à l’inondation provoquée par un tuyau crevé. La solidarité s’organise mais c’est la goutte d’eau (sic) qui fait déborder le vase : un associatif organise la grève du paiement des charges (abusivement élevées) jusqu’à ce que les réparations soient faites. Au même moment, la maire et son dir. cab. participent à une réunion au sommet pour faire valider leur projet de réhabilitation de la cité, qu’ils pensent acquis. Mais la pétition annonçant le non-paiement des charges parvenue au haut fonctionnaire responsable de l’arbitrage, fait pencher la balance du mauvais côté. Les bureaucrates n’aiment pas les rebelles !

Le scénario est construit sur un montage alterné de plus en plus haletant entre ce qui se passe dans la cité, les démarches de la maire et les salons de la République où se prennent les décisions. Le premier tiers du film plante très efficacement les décors et les personnages, sans caricature ni angélisme, avec au centre la maire, Clémence (Isabelle Huppert), et son directeur de cabinet Yazid (Reda Kateb), et on peut porter au crédit du film de nous épargner des intrigues amoureuses annexes, comme le font trop souvent les films américains quand ils traitent du monde politique (voir l’exemple récent de Don’t look up).
De même les acteur/rices issu·es des minorités ne sont pas cantonné·es à des rôles stéréotypés et subalternes : Reda Kateb crève l’écran, confirmant qu’il a plus d’une corde à son arc, après le film Hippocrate et la série En thérapie. En revanche on peut regretter que Naidra Ayadi, qui incarne la première adjointe, ait si peu de consistance. C’est en effet du côté des personnages féminins que le film, écrit par deux hommes (Thomas Kruithof et Jean-Baptiste Delafon, le co-créateur de Baron noir) montre des faiblesses, en particulier dans la cohérence du personnage incarné par Isabelle Huppert.

Les auteurs semblent s’être contentés de s’appuyer sur l’aura de la star. On a beaucoup de mal à suivre le parcours de cette femme qui nous est d’abord présentée comme toute dévouée à son rôle de maire et à ses administrés, dans une relation franche et loyale avec son jeune directeur de cabinet dont elle n’ignore pas les ambitions, prête à céder la place à sa jeune adjointe après avoir fait deux mandats (on sait que les femmes élues sont moins accrochées à leur pouvoir que leurs collègues masculins), et qui opère tout à coup un revirement à 180 degrés, après que la perspective de devenir ministre (qui arrive dans le scénario comme un cheveu sur la soupe) est tombée à l’eau sans qu’on lui explique pourquoi.

Remâchant ce qu’elle vit comme une humiliation, elle décide de rempiler comme maire, au grand dam de son adjointe, de son directeur de cabinet et du chef de son parti. Elle devient alors un personnage repoussoir, et c’est Yazid qui va se battre seul pour faire aboutir le fameux projet, imitation assez maladroite du point de vue de la vraisemblance, de James Stewart dans les films de Franck Capra (Mister Smith au Sénat 1939 ; La vie est belle 1946). Cette séquence de « sauvetage à la dernière minute » où l’on voit Yazid récupérer dans la nuit les chèques des habitants de la cité réglant les charges, en courant d’un escalier à l’autre jusqu’au petit matin, puis mettant lui-même la main à la poche, pour apporter à Matignon cette preuve de bonne volonté censée emporter le morceau pour la réhabilitation de la cité, est totalement invraisemblable quand on connaît le fonctionnement bureaucratique des rouages de l’État en France. Et dans cette dernière partie, Clémence est totalement marginalisée, sauvant l’honneur à la dernière minute en renonçant à un 3e mandat en échange de l’appui de son parti au projet de réhabilitation.

Il aurait sans doute fallu un peu plus de temps pour imaginer des péripéties vraisemblables et donner au personnage féminin une cohérence plus en phase avec la place des femmes dans la vie publique aujourd’hui. Peut-être faire appel à une femme scénariste ?


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