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Stéphane Demoustier

La Fille au bracelet


>> Delphine Chedaleux / mercredi 19 février 2020

Un universel blanc et bourgeois


La Fille au bracelet s’ouvre sur une plage : de loin, on observe des gendarmes interpeller une adolescente qui joue avec son petit frère, sous le regard médusé des parents. La suite du récit nous fait vivre, deux ans plus tard, le procès de l’adolescente, accusée d’avoir tué sa meilleure amie dans son lit, le matin précédent son interpellation. L’a-t-elle tuée ? Pour quelle raison ? Sera-t-elle condamnée ? Le mutisme de la jeune fille (Mélissa Guers), énigmatique jusqu’au bout, maintient habilement le suspense dans le huis clos du prétoire comme au sein du domicile familial, zone de liberté surveillée où l’on devine le doute, indicible, sous les visages tirés et les regards soucieux des parents (Roschdy Zem et Chiara Mastroianni).

Mais l’enjeu du film ne réside pas uniquement dans la vérité sur le meurtre ; le procès est aussi le lieu du dévoilement progressif de la vie sexuelle de Lise et de son groupe d’ami.e.s. Il est prétexte à évoquer la sexualité des adolescent.e.s, en particulier à l’heure d’internet et du revenge porn. Le personnage le plus intéressant, une avocate à la voix rauque hantée par les clopes et le MLF (Annie Mercier), plaide avec brio le droit à l’absolue liberté sexuelle des adolescent.e.s face à la jeune procureure réac’ (Anaïs Demoustier) dont la voix trop haute fleure plutôt les sorties de messe et la Manif pour tous.

Or le propos du film sur la société contemporaine s’arrête là. Pour le reste, les partis pris esthétiques et narratifs pourraient se résumer comme suit : ni psychologie, ni sociologie. On ne saura rien sur rien. Rien sur cette famille, son histoire, son ancrage social, la place de chacun.e, leurs rapports intimes. Personne ne parle, ne se touche, ne réagit, ne manifeste la moindre émotion. On comprend facilement le message : l’accusation de Lise a tout suspendu, la joie, les rires mais aussi les conflits, bref, la vie. Mais une fois qu’on a compris ça (c’est-à-dire assez rapidement), l’austérité de la mise en scène apparaît pour ce qu’elle est : un geste esthétique. Et c’est long pour qui ne goûte guère à la contemplation. Aucune émotion ne se dégage du jeu des acteurs : visages impassibles, textes récités à la Brecht, corps figés dans des vêtements sombres. Pas de psychologie donc.

Pas de sociologie non plus : qui sont-ils et elles ? Quels métiers exercent les parents ? (on sait juste qu’ils l’exercent de manière libérale). Quelle est la sociologie du quartier nantais où le drame a eu lieu ? On évoque rapidement les Dervallières (qui jouxte le quartier où réside la famille ? on ne sait pas trop) mais sans rien en dire (des émeutes avaient éclaté dans ce quartier populaire à l’été 2018 après le meurtre d’Aboubakar Fofana par un policier suite à un contrôle). Comment cette géographie et les rapports sociaux qu’elle dessine affectent les relations entre adolescents ? Et pourquoi ancrer l’histoire dans un territoire particulier (l’ouest nantais et sa côte – la Bernerie-en-Retz, où une autre adolescente, Laetitia Perret, avait été sauvagement assassinée en janvier 2011 [1] si ce n’est pour rien en dire, comme s’il n’y avait rien à en dire ?

Bien entendu, je fais semblant de ne pas comprendre le sens de ces choix : le drame (de la mort, de l’adolescence…) est universel. Sauf que l’universalité, ça n’existe pas. En l’occurrence, elle prend ici la forme d’un milieu très favorisé sur le plan économique et culturel (la famille possède une grande maison principale toute de bois et de verre et dépourvu de tout effet personnel, ainsi qu’une maison secondaire face à la mer avec accès privatif à la plage) et de la blanchité : le père a beau être joué par Roschdy Zem, il s’appelle Bruno Bataille... Pas de doute : on est bien au pays de la fameuse exception culturelle où le cinéma, pour être respectable, doit être aussi déconnecté que possible du social et où la République lave plus blanc que blanc.


>> générique


Polémiquons.

  • J’ajouterai que dans cet univers bourgeois et blanc, le père est attentionné alors que la mère garde ses distances, à la limite de l’indifférence (Chiara Mastroianni est aussi chic qu’invraisemblable) et la jeune procureuse fait du zèle pour prouver son attachement aux valeurs les plus répressives de la société patriarcale...
    Une fois de plus, l’universel masculin (celui que promeut sous prétexte de constat Stéphane Dumoustier) est misogyne. Le seul personnage féminin intéressant (et qui sort des normes physiques du féminin) est l’avocate...

  • J’ai regardé ce film du fait des critiques bienveillantes. Je suis sorti de la salle de projection aussi "froid" que les personnages ! Quel est le "message subliminal" du réalisateur scénariste ? Au regard du scénario et de la froideur des personnages principaux (seul le jeune frère, enfant, semble "vivant") sous-entend -t- il la déshumanisation des êtres humains, même au sein d’une famille nucléaire, du fait de l’évolution de la société ? Ou du fait de la survenue d’un drame ? Ou du fait de la sexualité ? Ou du fait .... de quoi d’ailleurs ? Et comme par miracle, toutes les zones d’ombre de l’enquête policière s’éclairent au fur et à mesure du déroulement du procès .... Le seul aspect bénéfique de ce film c’est d’échapper à l’appartement bourgeois parisien et d’apercevoir de loin la mer .... nous pouvons rêver un peu !
    Nota : cette partie peut être supprimée
    Ce jour, le 21/02/20, sur France Culture, de 10h à 11h, Geneviève Fraisse, philosophe féministe, évoque, entre autres, Polanski et le "j’accuse", renforçant les analyses publiées .......

  • Bonjour,

    Pas du tout d’accord avec ces critiques, j’ai au contraire été très touchée par ce film qui parle selon moi, de la présomption d’innocence : comment, alors que beaucoup d’éléments accusent une personne (et d’autant plus une femme, avec des pratiques sexuelles libres) mais sans aucune preuve tangible, l’avis d’une cour peut basculer d’un côté ou d’un autre, et pourquoi ? Ce que l’avocate réussit à faire lors de son discours, c’est mettre à jour les mécanismes des préjugés qui pourront porter préjudice à sa cliente car elle sait que sans preuves, il s’agit de fait d’un procès d’intention.

    Durant le film, toutes les relations au sein de la famille sont passées au crible (notamment : la mère est accusée de froideur du fait de son absence alors que prendre du recul me semble un droit légitime), c’est l’analyse incessante de cette "vie familiale" qui la tue. Pour moi ce film parle du basculement de point de vue : que se passe-t-il quand des faits de la vie "normale", "courante", sont observés à travers une grille de lecture judiciaire ? comment nos gestes sont passés au laser pour essayer d’en retirer la moelle, notre intention première ? A partir de là, tout le film est le constat d’une impossibilité : les intentions profondes d’autrui sont aussi opaques que le jeu de Melissa Guers et on ne pourra jamais, retracer la réalité d’une action passée. Personnellement, je trouve ça tout sauf vide, mais c’est un point de vue personnel évidemment :)

  • Bonsoir,
    Je suis moi aussi en désaccord avec l’analyse, notamment sur l’aspect psychologique ou sociologique du film. A mon avis ce n’est pas du tout le sujet, il ne s’agit pas de dresser un portrait de la France ou d’un universel (blanc ???) bourgeois. Je pense plutôt qu’il s’agit de filmer un procès, et de comment il chamboule la vie des proches et des protagonistes. Au premier degré d’abord, les émotions que l’on ressent au moment de le vivre : l’accusée qui se réfugie dans le mystère et le silence au procès mais qui voit ce garçon en dehors, le père sur-protecteur et toujours présent, la mère qui n’aspire qu’à vivre autre chose que le procès ("que la vie continue"), le petit frère encore protégé dans une bulle d’innocence...
    Puis aussi au second degré, comment un procès pose des questions qui n’ont pas toujours lieu d’être dans une vie sans accusation : l’intimité des rapports parents-enfants, la complexité de la relation entre Lise et Flora, mais aussi (et c’est peut-être ce qui intéresse le plus les lecteurs-rices de ce blog) la fluidité de la sexualité de Lise. Elle semble à l’aise avec, le prend juste pour ce que c’est (juste du sexe, juste pour "se faire du bien"). Il n’y a pas vraiment de message politique derrière, c’est juste sa vie. C’est pourquoi je ne comprends pas vraiment cette critique ici, qui dit que l’avocate serait proche du MLF quand le ministère public serait proche de La Manif pour tous. On ne voit les avocates uniquement dans la salle d’audience, leurs parcours personnels ne sont jamais évoqués parce que ce n’est pas le sujet, qu’elles sont des actrices de la justice et qu’elles sont là pour faire leur travail (et non pour défendre une ligne politique).
    Ce film aurait plutôt tendance à nous positionner en tant que jurés, à assister au procès sans prendre la parole, à suivre les joutes verbales pour déterminer si, oui ou non, Lise est coupable du meurtre dont elle est accusée. Pour cela, nous devons nous interroger sur sa vie, avec laquelle on peut avoir du mal à s’identifier. Mais la seule question qui compte est celle de sa responsabilité dans la mort de son amie.

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