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Maggie Gyllenhaal / 2022

The Lost Daughter


par Ginette Vincendeau / dimanche 31 juillet 2022

Fille perdue, mère paumée, film culpabilisant


On ne peut que se réjouir, en tant que féministe, lorsqu’un nouveau film traite du sujet toujours tabou de la maternité mal vécue par certaines femmes et des problèmes qu’elles peuvent rencontrer lorsqu’elles tentent de concilier enfants et travail rémunéré. Et ceci d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un film de premier plan au casting prestigieux, œuvre d’une équipe en majorité féminine. Le résultat hélas ne répond pas à ces promesses.

The Lost Daughter est le premier film réalisé par l’actrice étasunienne Maggie Gyllenhaal, d’après un roman de la célèbre (et mystérieuse) autrice italienne Elena Ferrante connue pour la saga de L’Amie prodigieuse au succès planétaire. Olivia Colman et Jessie Buckley, deux des actrices les plus brillantes du cinéma et de la télévision britanniques actuels, jouent le personnage principal de Leda à des âges différents. Colman incarne dans sa maturité (48 ans) une universitaire qui vit aux USA et prend des vacances « studieuses » dans une île grecque ; Buckley l’interprète en jeune mère 20 ans plus tôt dans une série de flashbacks. La tranquillité de Leda est perturbée lorsque la plage où elle vient travailler est envahie par un groupe de touristes américains bruyants, parmi lequel elle remarque une jeune femme ravissante, Nina (Dakota Johnson) qui semble débordée par le comportement de sa fille Elena, âgée de 5 ou 6 ans. C’est à la vue de ces rapports mère-fille difficiles que des souvenirs traumatiques pour Leda remontent à la surface. Lorsque la petite Elena disparaît, Leda la retrouve et la ramène à sa famille, mais elle subtilise, apparemment sans raison, la poupée de la fillette qui reste inconsolable. Le reste du film montre en parallèle, d’une part les relations malaisées que Leda entretient avec Nina et sa famille, ainsi qu’avec le gérant de sa location, Lyle (Ed Harris) et le jeune plagiste Will (Paul Mescal), et d’autre part, en flashback, sa fatigue et ses frustrations de jeune mère, la rupture avec son mari et sa « fuite » de 3 ans durant lesquelles elle a laissé ses enfants à leur père.

J’avoue que j’ai du mal à comprendre l’engouement de la critique pour The Lost Daughter, qui a reçu, selon IMDb, 103 nominations et 37 victoires dans les festivals du monde entier. Même en faisant preuve d’indulgence pour les maladresses d’un premier film, plusieurs aspects de la mise-en-scène sont gênants. D’abord l’abus des très gros plans dès que la jeune Leda est filmée avec ses fillettes, qui a pour double conséquence de nous priver du contexte social dans lequel se déroulent ces scènes et nous empêche d’apprécier le jeu de Jessie Buckley (au début on a même du mal à la reconnaître). Deuxièmement, toutes ces scènes sont jouées sur un mode hyperbolique – les fillettes sont littéralement collées à leur mère, elles poussent sans arrêt des cris ; la jeune Leda elle-même semble passer constamment du rire hystérique aux larmes. Manière peu subtile de nous faire comprendre que la maternité étouffe les femmes. En contraste absolu, les scènes situées dans le présent utilisent des plans plus larges (il faut bien montrer les beaux paysages grecs), construisent le personnage de Leda comme cruelle et calculatrice et établissent un climat bizarre et inquiétant : une pomme de pin qui tombe, une cigale sur un oreiller deviennent menaçantes ; surtout, la poupée dérobée est digne d’un film d’horreur, en raison de sa laideur kitsch puis du liquide noir et du long ver qui sortent par sa bouche – là aussi la symbolique (secrets inavouables qui refont surface) est un peu trop appuyée. Il est donc difficile pour la spectatrice de réconcilier la Leda du présent et celle du passé et surtout d’avoir une quelconque empathie avec le personnage puisque la manière dont il est construit est dissonante et dans les deux cas (présent et passé) aliénante.

La déception majeure tient au traitement des contradictions entre travail et maternité, cœur de l’histoire et sujet crucial pour les femmes. Que Clarisse Fabre, la critique du Monde, qui voit le film « souvent guetté par un discours féministe sous-jacent » se rassure, c’est plutôt le contraire. Le film ne s’embête pas à nous montrer le casse-tête des emplois du temps, des courses, des gardes d’enfants, etc. qui plombent la vie de la majorité des femmes dans cette situation. En dehors d’une brève scène où l’on voit la jeune Leda essayant de travailler avec ses filles qui la harcèlent et le mari qui ne l’aide pas, les flashbacks se concentrent sur un bon vieux poncif : une liaison. Passons sur la description fantaisiste d’un colloque de littérature comparée où Leda est invitée par son directeur de thèse sans y intervenir. Cependant, son travail est cité comme génial précurseur du philosophe Paul Ricoeur par la star du colloque, le Professeur Henry (Peter Sarsgaard). On comprend qu’elle est brillante (Leda au présent est professeure dans une université étatsunienne prestigieuse puisqu’elle est « à Cambridge, près de Boston », c’est-à-dire Harvard ou MIT), mais le seul aspect de sa « carrière » qu’on voit à l’écran, c’est sa liaison avec Henry, à la suite de quoi elle « abandonne » ses enfants pendant 3 ans. Il y aurait bien entendu beaucoup à dire sur le fait qu’une femme qui laisse ses enfants à la garde de son mari les « abandonne » alors que le contraire, la norme, ne gêne personne, mais le film ne s’engage pas dans cette voie. Ce qu’il nous montre, comme dans les mélodrames hollywoodiens des années 1940 ou 1950, c’est que la sexualité « débridée » d’une femme est néfaste à ses enfants – on a même droit au coup de fil qui lui apprend qu’une de ses filles est malade alors qu’elle est avec son amant. On comprend rétrospectivement la scène où elle se masturbe (tandis que ses filles jouent à côté) et la seule scène de sexe avec son mari où il est impuissant – ces scènes sont destinées à nous démontrer que la sexualité de Leda est à la fois excessive et génératrice de névroses, notamment en ce qui concerne son identité de mère. On pourra objecter que Leda en fin de compte se réconcilie avec ses filles adultes, ce qu’on apprend par le coup de fil à la fin du film où elle git sur la plage, après avoir été blessée par Nina enragée lorsqu’elle découvre le vol de la poupée (fin différente du livre de Ferrante, où Leda meurt de cette blessure). Mais que vaut ce coup de fil comparé au malaise entretenu tout au long des scènes en Grèce – les moments où la mise en scène joue avec les codes du film d’horreur, les regards appuyés de Leda sur la très sexy Nina en mini bikini (Dakota Johnson est célèbre pour la série de films adaptés des romans Cinquante Nuances de gris) semblent aller au-delà de la thématique des rapports mère-fille. Et que dire de son dîner avec le jeune plagiste où elle se complait en détails sur la taille de ses seins et de ceux de ses filles (Paul Mescal bénéficie aussi d’une aura sexy depuis son rôle dans la série Normal People) ? Malgré son sujet prometteur, The Lost Daughter privilégie finalement des lieux communs sexistes en faisant le portrait d’une femme « d’un certain âge » sexuellement frustrée et névrosée du fait de son « échec » maternel – elle déclare à Nina qu’elle n’est pas une « mère naturelle ». C’est peut-être, malheureusement, ce qui explique le succès du film. Il faut bien le talent exceptionnel d’Olivia Colman et de Jessie Buckley pour regarder The Lost Daughter jusqu’au bout.


générique


Polémiquons.

  • Bonjour,
    cet article démonte un film qui tente selon moi de montrer que les alternatives à la postures féministes sont difficiles, car en embrassant une carrière académique le personnage de Léda suit une formation qui fait d’elle un pilier de la tradition du savoir, patriarchal. Elle est professeure à Harvard l’université emblématique étatsunienne. Bien sûr Elena ferrante a écrit un livre Italien, et les relations mères -filles ont quelques choses d’hystériques, il s’agit d’un amour/haine, un cliché certes, mais aussi une métaphore de la position d’une femme intellectuelle dans un monde formaté par et pour les hommes.
    Ce film met en scène une femme aux prises avec elle-même, d’ailleurs tout n’est-il pas filmé de son point de vue ? La position de la réalisatrice concerne davantage la question du "faire-avec". Nina fait avec la pression de la famille, Leda fait avec le besoin d’entendre ou de revoir ses enfants, le film n’est pas un manifeste mais plutôt un constat, celui de l’impasse : la maternité n’est ni une bénédiction comme le voudrait Callie, ni une malédiction comme le penserait Nina ou Léda jeune.

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