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Charlotte Silvera / 1984

Louise l’insoumise


Par Geneviève Sellier / mercredi 2 mars 2022

Une fillette rebelle dans une famille juive sépharade au tournant des années 60

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Sorti en 1984, lauréat du prix Georges Sadoul, le premier film de fiction de Charlotte Silvera, Louise l’insoumise, a été restauré et est maintenant disponible sur plusieurs plates-formes. Largement autobiographique, il raconte la vie quotidienne d’une famille de juifs tunisiens récemment installés en France, sans doute depuis l’indépendance (nous sommes en 1961).

La première originalité du film est dans le point de vue qu’il construit, celui de Louise, la fillette pré-adolescente, coincée entre une sœur plus âgée et une sœur plus jeune : on voit le monde à travers elle, jeune collégienne pour qui l’école (non mixte) est un territoire de liberté, où elle peut échapper aux injonctions (et aux coups) de sa mère, chez qui se mêlent une soumission à la religion juive dans sa forme la plus archaïque, et une soumission au mari-père, pleine de rancœur et de frustration.

Ce carcan familial est renforcé par leur situation d’« étrangers » dans la France en voie de modernisation rapide des Trente glorieuses où les femmes travaillent, fument, sortent et où les filles font des études supérieures. Au contraire la mère, remarquablement interprétée par Catherine Rouvel, est enfermée dans son foyer – lequel est réduit à un appartement dans une cité –, à faire des robes à ses filles, à accomplir obsessionnellement les tâches domestiques, à contrôler l’observation tatillonne des rituels religieux et à surveiller tyranniquement ses filles.

Elle incarne superlativement l’aliénation des femmes sous le patriarcat, alors que son mari (Roland Bertin) petit employé mal payé, compense son statut social subalterne par un comportement de despote oriental à la maison, servi par sa femme et ses filles (quand il rentre le soir, il attend, debout comme la statue du commandeur, qu’une de ses filles vienne lui enlever ses chaussures et lui enfiler ses babouches). Louise essaie constamment de transgresser les multiples interdits maternels et refuse le câlin tarifé du dimanche que le père impose à ses filles en échange de quelques pièces. Le piédestal paternel achève de s’écrouler quand elle découvre, cachès dans la voiture, des magazines de femmes nues… Le comportement ambigu de ce père avec ses filles devient du harcèlement chez l’oncle qui oblige sa fille à ouvrir son corsage pour montrer son premier soutien-gorge, sous l’œil gêné des cousines.

La deuxième qualité du film est l’extrême précision visuelle et sonore des détails concrets de la vie de cette famille, tant dans les objets que dans les comportements : le réveil que la mère branche au compteur pour que l’électricité s’éteigne automatiquement à l’heure exacte où commence le shabbat (on sait que chez les juifs orthodoxes, il est interdit même d’appuyer sur un bouton pendant ce temps consacré à la prière) ; les « robes de la maison » que les fillettes doivent enfiler dès qu’elles rentrent, pour marquer la frontière étanche avec le monde extérieur ; l’interdit absolu de fréquenter d’autres familles, considérées comme « étrangères » ; la télévision allumée pendant les repas, fenêtre ouverte sur le monde extérieur que les parents ne semblent voir que lorsqu’on y parle de la Tunisie (Bourguiba est en visite officielle) ou de l’Algérie (l’évasion spectaculaire de la prison de la Roquette des cinq femmes condamnées pour complicité avec le FLN). En fait, c’est surtout Louise, cachée sous la table, qui la regarde sans en perdre une miette, quand elle ne subtilise pas la radio familiale pour l’écouter en cachette.

Formidablement incarnée par la jeune Myriam Stern, Louise incarne en effet l’insoumission, c’est-à-dire le refus d’obéir aux interdits et aux injonctions maternelles quand elle ne les comprend pas. Elle encaisse les coups et invente toutes sortes de ruses pour contourner les interdits, aussi bien manger de la choucroute et du jambon qu’aller chez ses copines de classe.

C’est à la faveur d’une de ses visites clandestines qu’elle découvre avec stupéfaction chez la mère de l’une d’entre elles (incarnée par Marie-Christine Barrault) les mêmes signes religieux que chez elle (la mezouza, le chandelier à 7 branches) voisinant avec un pot de rillettes et avec les cigarettes que la mère fume ! Il existe donc des familles juives où l’on vit « normalement » ! C’est à la faveur d’une fête d’anniversaire où sa mère lui interdit d’aller que la rébellion de Louise va s’affirmer : le film se termine sur sa fuite hors de l’emprise maternelle. Ce final rappelle celui des 400 coups, où l’on voyait Antoine Doinel s’échapper d’une maison de correction pour courir vers la mer.

Le film de Charlotte Silvera reste actuel dans la mesure où il montre comment le patriarcat impose sa domination aux femmes et aux filles avec le secours de la religion, et comment les mères deviennent les servantes zélées du système qui les oppriment. Heureusement, il y a toujours des fillettes rebelles qui décident d’échapper à cette emprise.


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