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Léa Mysius

Les Cinq Diables


Par Chloé Pottiez / samedi 1er octobre 2022

Quand fantastique et féminisme font bon ménage.

Après Ava (2017), le second long-métrage de Léa Mysius, Les Cinq Diables, ne manque pas d’ambition ni d’éclat et participe au renouvellement d’un cinéma français parfois englué dans des intrigues amoureuses surannées.

Ici aussi il est question d’amour mais avec des plans larges sur l’eau glacée des lacs de montagne, une bande-son angoissante, un scénario qui vire au fantastique, des trouvailles visuelles et sonores qui permettent à la réalisation de se délester d’effets spéciaux inutiles, une photographie soignée aux couleurs chatoyantes et une actrice principale, Adèle Exarchopoulos, dont la sensibilité et la tendresse donnent chair à l’intrigue.

Si on peut faire une critique cinéphile du film, il me semble important d’en retenir ce qu’il apporte de nouveau et de féministe au cinéma et plus généralement à nos imaginaires.
La première partie du film nous plonge dans l’admiration éperdue qu’éprouve une petite fille, Vicky (Sally Dramé), environ 10 ans, pour sa mère, Joanne, ex-Miss régionale, ancienne gymnaste devenue maître nageuse, et mariée à un pompier d’origine sénégalaise, Jimmy, le père de Vicky (Moustapha Mbengue). Léa Mysius met sa caméra à la hauteur d’une petite fille fûtée, sensible et dotée d’un flair ultra puissant qui lui permet de sentir sa mère à des mètres à la ronde. C’est une sourde inquiétude, un sentiment d’étrangeté qui naissent en Joanne quand elle découvre l’hyper sensibilité de cette fillette solitaire qui a de singulières occupations comme concocter des parfums ou recomposer les odeurs des personnes de son entourage.

Le film monte en tension jusqu’à l’arrivée de Julia (Swala Emati), la sœur de son père, dont Vicky va faire une véritable antagoniste, venant troubler la quiétude de sa relation fusionnelle avec sa mère. Mère dont elle chronomètre le temps passé dans l’eau froide du lac où elle s’entraîne, mère dont elle enduit le corps de « graisse à traire » avant chaque plongeon. Vicky s’émeut donc de la visite de cette femme mystérieuse qui se présente comme chercheuse en neurobiologie ; elle lui subtilise une bouteille d’alcool dont les effluves l’anesthésient et la font voyager dans le temps et dans l’adolescence de Julia.
Ces différents flashbacks – qui sont en réalité des tranches de vie communes à Julia et Joanne qui s’étaient rencontrées, bien avant la naissance de Vicky, dans un club de gymnastique – m’ont rappelé le premier film de Céline Sciamma, Naissance des pieuvres (2007). C’était aussi dans l’austérité des complexes sportifs, dans tout ce que ces lieux charrient d’assignations genrées, et dans la promiscuité des corps de même sexe que la réalisatrice du Portrait de la jeune fille en feu faisait naître les désirs adolescents et leur lot de questionnements existentiels. Dans Les Cinq Diables, Vicky se fait témoin, et les spectateur·rice·s aussi, de l’amour naissant entre celle qui deviendra ensuite sa mère, Joanne, et celle qui sera sa tante, Julia. Mais Léa Mysius ajoute à son teenage movie le sel du fantastique, voire du cinéma d’horreur, s’inscrivant dans la lignée du film Us de Jordan Peel (2019) : l’univers mental des personnages est perturbé par de soudaines apparitions, leur faisant friser la folie. Vicky envahit ainsi rétrospectivement l’esprit de cette tante qui finit par revenir sur les lieux de cet amour passé pour recoller les morceaux d’un puzzle temporel et boucler la boucle.

J’ai eu la sensation que le film de Mysius pâtissait des mêmes défauts que celui de Peel. En effet, même si le scénario est fantastique, il n’en doit pas moins respecter quelques codes de vraisemblance pour le public y adhère vraiment. Or Les Cinq Diables se perd parfois dans les méandres de son histoire, négligeant deux points : la vraisemblance du couple Joanne-Jimmy qui donne naissance à Vicky. Le film nous laisse trop peu de temps pour qu’on puisse croire à ce couple, tout comme la réconciliation entre Joanne et Julia est trop soudaine pour être vraiment crédible. Ces points aveugles sont peut-être volontaires mais comment croire véritablement au désir de Jimmy pour Joanne et vice-versa ?

J’ai en revanche trouvé que la relation Vicky-Joanne, qui constitue tout de même le pivot du film, faisait preuve d’une approche résolument féministe avec subtilité. Julia, la tante de Vicky et amante de sa mère, fait office de tiers séparateur là où son frère, Jimmy, le père de Vicky, semble absent. Le scénario reprend ici une trame œdipienne : la jalousie dévorante éprouvée par l’enfant envers toute personne qui viendrait lui faire concurrence dans le cœur de sa mère ; mais la trame est retissée à l’aune de nouveaux paramètres : l’amour de Joanne se porte d’abord vers une femme, or deux personnes assignées femmes à la naissance ne peuvent procréer sans avoir recours aux gamètes d’un tiers. Et cet amour entre Joanne et Julia est antérieur à la naissance de Vicky, ce qui provoque chez elle une angoisse profonde : Vicky aurait-elle pu ne pas naître à cause de Julia ? Aurait-elle pu ne pas exister ? Cela explique-t-il pourquoi Vicky plonge dans l’esprit de Julia et la hante, afin de saper toute possibilité que sa future mère et elle jouissent de leur amour ? L’enfant Vicky a-t-elle ainsi précédé le désir que ses parents ont eu d’elle ? Le fantastique est ici remarquablement manié pour aborder la psychologie enfantine.

A l’heure de l’institutionnalisation progressive de l’homoparentalité, de la PMA pour toutes, de la levée de l’anonymat pour les donneur·euse·s de gamètes, etc., le film aborde de front et à hauteur d’enfant les questions existentielles que les recompositions parentales contemporaines posent. Et il leur donne une fin heureuse puisque Vicky, en étant le témoin de la vie antérieure de sa mère, finit par accepter et comprendre la puissance de l’amour qui lie Joanne à Julia.

En ce sens, le film participe bien à une recomposition des imaginaires, ambition d’une nouvelle génération de femmes cinéastes en France.


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