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Murielle Magellan / 2022

La Page blanche


Par Geneviève Sellier / mardi 13 septembre 2022

Une bluette très éloignée du féminisme de Pénélope Bagieu...

Visiblement, la campagne de publicité pour promouvoir le premier long métrage de Murielle Magellan, La Page blanche, table sur la récente célébrité de Pénélope Bagieu, depuis la publication de sa BD féministe Les Culottées (2016-2017), qui lui a valu de nombreux prix en France et à l’étranger. Mais cette référence flatteuse est un peu abusive, dans la mesure où le scénario de La Page blanche (BD publiée en 2012) est écrit par l’auteur de BD Boulet, Bagieu n’étant que la dessinatrice. Le propos de la BD est la dénonciation de la société de consommation et du conformisme qu’elle entraîne chez les jeunes « branché·e·s », et l’auteur masculin du scénario a choisi de faire incarner cette dérive par une femme, contrairement à Perec qui, sur le même thème de l’aliénation à la société de consommation, mettait en scène plus équitablement un couple dans Les Choses (1965).

Dans la BD, Eloïse se retrouve un jour sur un banc dans un square parisien, sans plus savoir qui elle est : son amnésie affecte uniquement sa propre identité et non pas le monde dans lequel elle vit. La BD raconte l’enquête qu’elle entreprend pour essayer de retrouver les traces d’elle-même. Elle se termine sur une sorte de révolution intérieure : prenant conscience du conformisme de son ancien moi, elle fait table rase de son passé et commence une nouvelle vie.

L’adaptation filmique de Murielle Magellan brouille ce scénario « sociologique » pour esquisser une comédie romantique pas très convaincante. Sara Giraudeau incarne Eloïse avec toute la candeur nécessaire, que l’on suit dans ce monde devenu pour elle totalement opaque mais qu’elle doit faire semblant de connaître : son chat, son appartement, ses collègues de travail (elle est employée à la librairie Gibert Jeune), sa famille… Heureusement qu’elle a pu avouer son amnésie à Sonia (Sarah Suco), une collègue qu’elle snobait avant et qui va lui servir de guide. C’est souvent drôle, quelquefois angoissant. Mais ça se gâte quand on la voit accepter sans réticence les avances de Fred (Grégoire Ludig), son supérieur hiérarchique, aussi lourd que désinvolte (il s’invite un soir chez elle et repart quand il comprend qu’elle lui a préparé un dîner romantique au lieu de la baise directe auquel il est habitué) ; heureusement, elle rencontre aussi dans le square où elle retourne pour trouver des indices du choc émotionnel qui aurait causé son amnésie, un gentil réparateur informatique surnommé Moby Dick (Pierre Deladonchamps) qui va l’aider à son tour… D’abord séduite par la « virilité » de Fred qu’elle tente de reconquérir en faisant un numéro dansé dans le restaurant où il dine avec sa rivale (séquence particulièrement embarrassante), elle finira par se laisser attendrir par Moby Dick. Cette bluette très convenue brouille le propos de la BD et manque singulièrement d’un regard féministe, celui qu’on attend de Pénélope Bagieu.

Alors que la BD se termine sur la « liquidation » symbolique de l’ancienne Eloïse, dont l’appartement est entièrement vidé et repeint par la « nouvelle Eloïse », le film invente une intrigue familiale qui n’existe pas dans la BD : elle retrouve en province ses parents avec qui elle s’était brouillée et découvre qu’elle devait rencontrer, le jour fatidique, son père biologique, devenu une célébrité, qui lui a posé un énième lapin, ce qui aurait provoqué son amnésie. Elle finit par le rencontrer (Stéphane Guillon) pour constater que son monde branché ne l’intéresse pas. Elle le plante en pleine rue. Dernière invention saugrenue de l’adaptation : elle découvre sa passion pour l’œnologie et décide de créer un vignoble en banlieue…

S’il y a une morale de ce film, c’est que l’opportunisme ne paye pas toujours… Se réclamer de Pénélope Bagieu aujourd’hui, c’est assumer un féminisme radical complètement absent de ce film.


>> générique


Polémiquons.

  • Alléché par la promesse d’un film féministe (référence Pénélope Bagieu), j’ai regardé un film de primetime des chaînes TF1 ou mieux des chaînes Bolloré.
    Une arnaque ? Sans aucun doute ! Ce film s’apparente au révisionnisme ... du féminisme.
    Que les mâles se rassurent : ils ont pour mission de sauver des "petites choses" en leur révélant le salut, l’amour.
    C’est mignon !

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