à Cannes et a été accueilli de manière flatteuse par la critique. Monia Chokri en est à la fois la scénariste, la réalisatrice, la productrice et la monteuse : un film d’autrice en quelque sorte !
L’histoire est revendiquée par la réalisatrice comme en partie autobiographique :
"J’ai une relation assez fusionnelle avec mon frère. Le jour où mon frère est tombé amoureux, j’ai senti qu’il fallait que je lui laisse de la place pour vivre ça, loin de moi. C’était étrange. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est que j’observais chez lui des comportements avec son amoureuse qu’il avait auparavant avec moi. C’était troublant, amusant. Ce sentiment très diffus m’est resté et j’ai commencé à écrire une histoire, à imaginer des personnages."
Il s’agit d’une trentenaire qui vient de passer son doctorat en philosophie, mais se retrouve au chômage à cause de l’hostilité du (seul) membre féminin de son jury. Son sujet de thèse, complaisamment répété au cours du film, est encore plus exotique que « Les Chevaliers paysans de l’An Mil au lac de Paladru » d’illustre mémoire (dans On connaît la chanson d’Alain Resnais, c’était le sujet de thèse du personnage incarné par Agnès Jaoui). Le film de Monia Chokri s’ouvre sur la soutenance par Sophia (Anne-Elisabeth Bossé) de sa thèse intitulée « Intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continueurs d’Antonio Gramsci »…
Sans ressources et peu désireuse de se contenter d’un boulot alimentaire, elle vit chez son frère psychologue, Karim (Patrick Hivon), avec qui elle a une relation fusionnelle. Il l’accompagne chez la gynécologue quand elle décide de se faire avorter, mais le frère tombe amoureux de cette femme dont la beauté blonde est aussi conventionnelle que la beauté brune de Sophia ne l’est pas (elle correspond davantage à ce qu’on appelle une laide intéressante).
Le film raconte sur un mode burlesque les vaines tentatives de Sophia pour évincer la blonde, et son hostilité larvée explose lors d’un repas chez leurs parents, de sympathiques non conformistes qui vivent ensemble tout en ayant divorcé. Après une engueulade monumentale avec son frère, elle est contrainte de revenir vivre chez ses parents puis de chercher une colocation avec un homme sage-femme (sic) qu’elle avait d’abord rembarré, à cause de son côté imbécile heureux.
La drôlerie du film repose entièrement sur les remarques et les comportements acerbes de cette célibataire au physique volontairement ingrat, qui refuse aussi bien la maternité que la romance ou les petits boulots. Pourquoi la réalisatrice qui est aussi la scénariste, décide-t-elle de changer son fusil d’épaule dans le dernier quart du film ? Mystère. On la voit d’abord flirter puis filer le parfait amour avec le sage-femme puis aller enseigner le français à des migrants (qui semblent d’ailleurs le savoir parfaitement !). Le film prend alors une tournure beaucoup moins drôle et la trentenaire rebelle rentre dans le rang sur une séquence lyrique de couples qui rament sur un lac au son du Requiem de Fauré !!!
Précisons que le fil narratif est ponctué régulièrement de mini-séquences visuelles qui se veulent poétiques et qui sont surtout aussi arbitraires qu’ennuyeuses. Comme si la réalisatrice voulait montrer qu’elle n’est pas bêtement conventionnelle dans sa façon de raconter son histoire…
Le titre indique que l’histoire tourne autour de la rivalité entre deux femmes pour l’amour d’un homme (encore !) : cela aurait pu avoir de l’intérêt si le film avait tenu le motif d’une femme non conforme révoltée de voir l’homme qu’elle aime (son frère) séduit par une femme conforme (blonde, souriante, désireuse d’avoir « plein d’enfants », etc.). Ce qu’on peut surtout reprocher à ce film, c’est son incohérence : la réalisatrice ne prend pas son personnage suffisamment au sérieux pour légitimer sa révolte contre les assignations genrées.