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Iciar Bollain / 2024

L’Affaire Nevenka


par Geneviève Sellier / samedi 16 novembre 2024

La première condamnation pour harcèlement sexuel d'un élu en Espagne

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À quoi tient la réussite de L’Affaire Nevenka, 12e long-métrage de la réalisatrice espagnole Iciar Bollain ? Sans doute d’abord à un long travail d’écriture (deux ans) et de documentation auprès de la protagoniste de l’affaire elle-même, encore vivante, et de beaucoup de témoins de l’époque. Si la fiction permet d’avoir accès à l’intimité et à la subjectivité de l’héroïne, le respect scrupuleux des faits (toutes les déclarations publiques, en particulier au procès, sont reprises telles quelles) évite à la fois le schématisme et le manichéisme. La réalité est suffisamment épouvantable pour que la fiction n’ait pas besoin d’en rajouter.

Après un prologue où on suit la protagoniste marchant en panique dans les rues de sa ville, Ponteferrada – ville moyenne du Léon (63 000 habitants environ), sur le chemin de Compostelle, au nord ouest de l’Espagne –, on revient un an plus tôt, quand, à 25 ans, ses brillantes études supérieures à peine terminées, Nevenka Fernandez, dont la famille est proche du maire Ismaël Alvarez (Partido Popular, droite), est choisie par celui-ci pour devenir conseillère municipale. Tout sourire, habillée de robes élégantes et sobres qui mettent en valeur sa silhouette gracile, elle se retrouve du jour au lendemain responsable des finances de la ville par la grâce du maire, avec la complicité de tout l’entourage qui observe complaisamment l’opération de séduction dont le maire est coutumier. Nevenka, que tous appellent par son diminutif infantilisant Quenki, n’a aucune expérience politique, mais on comprend que les vieux caciques de l’équipe municipale ont choisi cette jeune femme aussi jolie que docile pour rajeunir leur image en vue des prochaines élections. On connaît de multiples exemples en France de ce genre de situation.

La cordialité chaleureuse du maire, un quarantenaire récemment veuf, se transforme bientôt en une drague de plus en plus poussée, à tel point qu’elle finit par céder à ses avances, pour se rétracter très vite, incapable de supporter le comportement possessif du patriarche. Sa vie va alors se transformer en enfer, harcelée par téléphone à toutes les heures du jour et de la nuit, humiliée en public, agressée sexuellement chaque fois que le maire fait en sorte de se retrouver seul avec elle. Défendant sa dignité, elle serre les dents, avant de décider de donner sa démission, mais le maire fait amende honorable pour l’en dissuader. Bien entendu le harcèlement recommence, et elle s’aperçoit alors que tout le monde lui tourne le dos, y compris ses parents qui dépendent financièrement du maire.

Cet extrême isolement qui l’amène à s’enfermer dans son appartement en coupant tout contact avec l’extérieur, ne sera rompu que par l’intervention de ses deux amies de fac qui la persuadent de quitter la ville pour retrouver à Madrid un ancien condisciple dont elle est amoureuse et qui va désormais la soutenir et la protéger.

La spirale infernale va pouvoir alors commencer à s’inverser, grâce à la solidarité d’une conseillère de l’opposition (PSOE) qui la met en contact avec un avocat madrilène prêt à la défendre. Elle décide de porter plainte pour harcèlement sexuel contre le maire.

La dernière partie du film raconte le procès, où le procureur se distingue en l’accablant, plutôt que la personne inculpée, pour ne pas avoir fui plus vite le harcèlement du maire. C’est tout le problème de l’emprise d’un homme de pouvoir sur une jeune femme sans expérience, mécanisme qui est dénoncé aujourd’hui dans le milieu du cinéma d’auteur français, entre autres.
Urko Olazabal, l’acteur qui joue le maire est totalement convaincant, brutalement tyrannique derrière une attitude affable, menant d’une main de fer son équipe municipale, tout en pratiquant clientélisme et corruption, et passant sans transition de la flatterie aux menaces avec Nevenka, jusqu’aux viols caractérisés.

La performance de Mireia Oriol est impressionnante : d’abord flattée par l’intérêt que lui portent le maire et son équipe, elle distribue généreusement son sourire et ses offres de service, alors qu’elle n’a visiblement aucun accès, malgré son efficacité, aux dossiers chauds que le maire garde sous le coude. Son malaise quand elle se retrouve à coucher avec le maire, laisse place rapidement à une véritable terreur qui s’exprime par un visage de plus en émacié, une démarche de zombie, et la sidération qui la paralyse quand elle subit des viols à répétition.
La légèreté du début fait place à un climat tragique, qui n’est pas dissipé lors du procès, même s’il aboutit à la condamnation du maire, première condamnation pour harcèlement sexuel contre un homme politique en Espagne. On apprendra dans l’épilogue qu’elle n’a jamais pu retrouver du travail en Espagne et qu’elle vit désormais avec sa famille à l’étranger.

En regardant ce film passionnant et terrible, je me demandais pourquoi on ne trouve pas l’équivalent dans le cinéma français : le désintérêt assumé du cinéma d’auteur pour la réalité sociale est sans doute une partie de la réponse, mais aussi la frilosité bien connue du cinéma hexagonal quand il s’agit de traiter des questions politiques les plus brûlantes. L’Affaire Nevenka est l’antithèse absolue de la bluette de Nicolas Pariser, Alice et le maire (2018).


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