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Thierry Binisti

En attendant un miracle


Par Noël Burch / jeudi 6 janvier 2022

Un duo mixte d'enquêteur/rice.s qui échappe aux stéréotypes

Autant par habitude que par désœuvrement, je regarde systématiquement les polars des deux collections régionalistes (« Mystère à... » et « Meurtres à… ») diffusées depuis quelques années sur FR2 /FR3... On ne peut pas dire que ces téléfilms soient d’une qualité exceptionnelle. Leur scénario adhère à un format commun et figé – un couple d’enquêteurs, généralement un homme et une femme, dont l’un/e ou l’autre est natif/ve du lieu ou y a ses racines, et qui ont au départ de l’enquête un rapport conflictuel ; l’énigme à résoudre renvoie soit à un secret de famille (souvent celle de l’enquêteur du pays) soit à une légende locale. Et surtout l’enquête et la résolution de l’énigme sont purement mécaniques et n’apportent aucune connaissance sociétale ou humaine.

C’est pourquoi En attendant un miracle – produit par Joëy Faré, écrit par Nathalie Abdelnour et Marie Du Roy et réalisé par Thierry Binisti – aujourd’hui à peu près le seul réalisateur dont on peut attendre des téléfilms de qualité – constitue une très bonne surprise, ne serait-ce que parce que, tout en reprenant les grandes lignes des « bibles » de ces collections, il en évite tous les clichés. D’ailleurs cette référence est trompeuse. Car renseignement pris auprès de la productrice [1], cette œuvre n’appartient ni à l’une ni à l’autre de ces deux collections.

Faute d’autre explication, il faut croire que cette formule est devenue la norme pour les polars de la télévision publique française. Voilà qui en dit long sur le besoin de nos contemporains de compenser les angoisses nées de la mondialisation. Mais En attendant un miracle ne se contente pas de ce rôle de baume cocardier. Car ce film qui se déroule à Lourdes a un « vrai sujet », qui se confond finalement avec l’objet de l’enquête – qui a tué ce médecin en le noyant dans une baignoire en pierre destinée à accueillir les malades ou handicapés en quête de guérison miraculeuse ? – ; le vrai sujet est le rapport différent des deux sexes avec la maladie et la mort.

On peut saluer le fait qu’Anne Charrier, l’actrice qui joue l’enquêtrice, est de la même génération que son partenaire, Frédéric Diefenthal, ainsi que celui qui joue son amant, le commissaire, Cyril Lecomte, alors que souvent, les fictions télévisées jouent sur les différences d’âge comme marqueur genré d’autorité hiérarchique.

C’est la préposée à l’entretien des lieux consacrés qui découvre le cadavre, gisant à fleur de l’eau. L’enquête est confiée au tandem formé par deux officiers de police, Fiona (Anne Charrier, célibataire, née et grandie à Lourdes) et Maxime (Frédéric Diefenthal) qui vient de se faire muter à Lourdes pour suivre son épouse, laquelle y a hérité d’un hôtel qu’elle gère à présent. Notons que Maxime aime sa femme, qu’ils ont une fille adolescente qu’ils aiment aussi, même si elle leur pose quelques problèmes. Et qu’entre Fiona et le beau commissaire (Cyril Lecomte) qui est leur supérieur à tous deux, il y a une histoire d’amour clairement établie... même si elle est compromise pour des raisons que nous apprendrons rapidement. Mais en tout cas, la situation sentimentale des deux protagonistes exclut l’un des grands clichés de ces collections, la potentielle histoire d’amour entre les enquêteurs... Ouf !

La victime est bientôt identifiée : il s’agit d’un médecin qui fait partie du comité médical international dont la mission est de juger de la fiabilité des fameuses « cures miraculeuses » attribuées à la sainte patronne de Lourdes. Si, après l’étude des dossiers de certains « miraculés », ces sommités de la profession concluent à l’inexplicabilité par la science de telle ou telle guérison, celle-ci est alors validée comme « officiellement miraculeuse » par les autorités religieuses. Précisons que, bien qu’il n’y ait jamais dans le film de confrontation explicite entre les deux policiers sur cette question, Fiona est totalement sceptique quant à la réalité de ces miracles alors que Maxime semble plus réservé. Enfin, si le dénouement va pencher en faveur du scepticisme de Fiona, le film évite soigneusement de caricaturer la foi naïve des pèlerins, à la manière par exemple du documentaire de Georges Rouquier, Lourdes et ses miracles (1955) ou de la comédie burlesque de Jean-Pierre Mocky, Le Miraculé (1987). Ici, c’est plutôt la maire de Lourdes, obsédée par la valeur marchande de ce tourisme religieux, qui fait l’objet de la satire. Et l’on peut peut-être voir avec le même esprit satirique les deux jeunes hommes avec qui la fille de Maxime sympathise dans cette ville grouillante de malades, et qu’elle va aider à dévaliser les curistes, l’un faisant le malade, l’autre celui qui pousse sa chaise roulante.

Quant à Fiona, elle porte un lourd secret, mais contrairement aux conventions du genre, il s’agit d’un secret personnel, révélé à nous lors d’une visite chez son ophtalmologue : elle est affligée d’un glaucome et va bientôt devenir aveugle. Plus tard, nous la surprenons chez elle, un bandeau sur les yeux, s’efforçant d’apprendre à préparer son dîner en aveugle... sans succès. Et plus tard encore, elle assiste pour la première fois à la réunion d’un groupe de soutien pour aveugles et malvoyant·es. Mais il faudra attendre longtemps pour qu’elle commence à expliquer à certains membres de son entourage la raison de son humeur sombre. Et nous comprendrons, malgré son scepticisme, le sens de certains de ses gestes : apposer les mains contre la paroi de la grotte comme les croyants en quête de miracle ou allumer un cierge dans une église. Quand Maxime s’en étonne, le sens de sa remarque – « On ne sait jamais » – témoigne aussi de son ambivalence.

Pourtant, le téléfilm évite la fin tragique qu’on attendrait au cinéma, quand l’enquêtrice, alors que son champ de vision s’est drastiquement rétréci, tente d’arrêter l’assassin qui s’est enfui en prenant en otage la fille adolescente de son coéquipier : elle réussit quand même à atteindre le fuyard à la jambe sans tuer l’otage. Scène qui contrebalance un moment antérieur où Fiona poursuit un suspect en lui intimant l’ordre de lâcher son arme... alors que c’est un inhalateur que celui-ci, asthmatique, tient à la main.

Benoît Clarmont (Jérome Robart) est un maître cuisinier qui a ouvert un restaurant florissant à Lourdes depuis sa guérison, apparemment miraculeuse, de la sclérose en plaques, sept ans plutôt. Personnage clé que nos enquêteurs vont rencontrer en cherchant à en savoir plus long sur les guérisons « miraculeuses » et sur ce comité de médecins qui se réunit périodiquement dans la ville pour les certifier ou non... comité dans lequel siégeait la victime.

Le cas de Benoît doit être tranché lors de l’imminente réunion du fameux comité. Or, nous apprenons, à quelques minutes du dénouement, à la fois que son cas sera confirmé comme « inexplicable pour la science » et donc validé comme miraculeux... et qu’il est l’assassin ! En effet, dans le seul flashback du film (louable retenue de nos jours dans un genre qui souvent abuse du flashback), nous apprenons que le médecin assassiné avait observé chez cet ancien patient les signes d’une rechute de sa maladie et avait eu le tort de le lui annoncer en tête-à-tête, ce qui avait provoqué une agressivité hystérique chez le pauvre homme, qui voyant sa vie s’écrouler, s’est réfugié dans le déni : « Je ne suis pas malade, je ne suis pas malade », hurle-t-il en faisant basculer le médecin dans cette baignoire censée redonner la vie... où il le noie. (Je ne peux m’empêcher de me rappeler cette scène du Fantôme de la liberté (Buñuel 1974) où Brialy gifle le médecin qui vient de lui apprendre qu’il est atteint d’un cancer.)

Si l’on creuse le sens de ce meurtre, on rencontre l’idée que la maladie féminise un homme et qu’un chef cuisinier est un homme super-viril qui s’est approprié un art traditionnellement associé aux femmes. En effet, la critique culinaire réserve une place à part, subtilement inférieure, à ce qu’elle appelle une « cuisine de femmes ».

En tout cas la leçon du film me semble double. D’une part Fiona a raison : de miracles, il n’y en a point et pour que le comité délivre son verdict erroné, il aura fallu tuer celui qui avait vu la vérité.
Et d’autre part, les femmes, qui donnent la vie, acceptent mieux que les hommes de la perdre... ici, certes symboliquement. La scène finale confirme cette lecture : Fiona et le commissaire, son amant, qui partage enfin son tragique secret, atteignent le sommet d’une colline où Fiona peut en quelque sort prendre congé des beautés de la nature...


>générique


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[1Joëy Faré nous a également indiqué que, l’épiscopat local n’ayant pas autorisé l’utilisation du périmètre consacré dont il a la gestion à Lourdes, toutes les scènes qui ont lieu dans la grotte, dans l’église ou dans les bains, ont été reconstituées ailleurs.