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Adam McKay / 2021

Don’t look up : Déni cosmique


Par Mounir Bondurand / jeudi 6 janvier 2022

« Ce n’est pas une putain d’histoire ! » (“It’s not a goddam story”)


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La fin de notre planète est-elle une information comme une autre ? La sixième extinction des espèces est-elle une histoire comme tant d’autres ? Dans nos fils d’actualité, les rapports du GIEC sur le dérèglement climatique ou ceux de l’IPBES sur l’effondrement de la biodiversité peinent à rivaliser en importance avec les débats politiques ou les résultats du championnat de France de Ligue 1.

Dans le tohu-bohu des récits et des images, comment peut-on encore essayer de faire prendre conscience de ce qui devrait être la seule information qui compte vraiment : nous détruisons notre planète chaque jour et nous n’en n’avons pas d’autre. Le célèbre « There is no planet B » fait partie des mots d’ordre scandés par les manifestants à travers le monde qui essaient de réveiller inlassablement – mais aussi désespérément – des hordes d’humains apathiques et enveloppés dans un déni tellement énorme qu’il ne peut être qualifié que de « cosmique ».

Fort de ce constat, tout nouveau projet de film sur ce déni – que l’on hisse désormais au rang de réalité socio-psychologique en évoquant une « dissonance cognitive » – risque de renforcer le dit déni en l’alimentant d’une nouvelle histoire supplémentaire, addition d’informations redondantes et d’images inutiles. Comment continuer à faire des films qui transmettent une image consciente et consciencieuse afin de ne pas désespérer ; afin de garder l’espoir que nous ne trahissons pas totalement nos enfants en laissant toutes les preuves documentées derrière nous que nous savions quoi faire et que nous avons consciemment décidé de ne rien changer ?

« Ce n’est pas une putain d’histoire », s’écrit le pauvre astrophysicien Randal Mindy (Leonardo DiCaprio) qui voit son annonce d’une prochaine collision apocalyptique entre la Terre et une énorme comète passer au second rang de l’information, juste derrière la demande en mariage faite en direct par une star du rap à Riley Bina (Ariana Grande) chanteuse instagramée en permanence dont le nom de scène rappelle le fameux Ribena, jus de cassis synthétique devenu boisson emblématique des classes prolétariennes britanniques. Le film raconte l’inéluctable descente aux enfers de Randal Mindy et de sa doctorante en astrophysique Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), découvreuse de la fameuse comète. Tous deux vont convaincre la communauté scientifique de l’exactitude de leurs résultats sur les dimensions de l’astre, la date de l’impact et ses conséquences inéluctables. Les faits sont là et ils sont clairs ; les preuves sont vérifiées et validées. C’est alors que commencent les ennuis car dans la société du méta-spectacle comme la décrit à merveille Adam McKay, la science n’a plus autorité sur la réalité.

Le discours scientifique lutte désormais à armes égales avec des discours politiques, commerciaux, conspirationnistes, spiritualistes, esthétiques, tous présents ensemble dans l’arène globalisée des médias intégrés. La brillante astuce scénaristique de McKay consiste à remplacer l’urgence environnementale par un trope de film catastrophe : l’imminente collision de la Terre avec un objet extra-terrestre. Grâce à ce génial glissement, il peut décrire très précisément comment le discours scientifique qui nait dans un monde entre pairs, fermé et technique, peine à s’imposer auprès des acteurs politiques (telle la Présidente des États-Unis Orlean, incarnée par Meryl Streep) et rivalise avec les ambitions économiques qui dirigent véritablement les décisions mondiales.

Les GAFA sont présents dans le film à travers le personnage de Peter Isherwell (Mark Rylance), magnat de la technologie du futur dont les shows commerciaux convoquent le souvenir de Steve Jobs, fondateur d’Apple, mais dont les implications dans la recherche spatiale et la mainmise sur d’anciens secteurs régaliens du gouvernement américain évoquent irrémédiablement Elon Musk, patron de Tesla et allié/concurrent direct de la NASA. Isherwell, derrière un patronyme qui se moque du discours commercial faussement empathique et bienveillant de ces entreprises (I – sure -well = je vous assure que tout ira bien), figure les tendances cyniques de ces opportunistes qui préfèrent miser sur un départ de la planète pour les nantis pouvant échapper à la catastrophe annoncée. McKay reprend ici les critiques sur le développement des recherches de Musk pour trouver une alternative à la vie sur Terre.

Cependant, le film a choisi son camp puisque c’est le personnage de Kate Dibiasky qui mène le récit et sert de moteur narratif. Porte-parole de la génération qui s’oppose à la recherche d’une « planète B », ce personnage est un hommage évident à la jeune activiste écologiste suédoise Greta Thunberg. Le couple Mindy/Dibiasky (DiCaprio/Lawrence) ne se justifie pas tant à travers la relation d’apprentissage d’un scientifique confirmé avec une jeune chercheuse, mais plutôt par ce que le duo montre comment la différence générationnelle pèse dans la relation à l’urgence environnementale. Alors que le récit est clairement porté par l’énergie rebelle et rédemptrice de Kate Dibiasky, la présence du professeur Mindy la relègue irrémédiablement à une position d’acolyte et de soutien. Pourtant, le scénario confie à la jeune femme toutes les attitudes héroïques fondamentales : elle est à la source de la découverte, elle demeure le moteur de la quête de vérité, elle ne trahit pas ses idéaux – contrairement aux errances idéologico-amoureuses de Mindy – et connait également une rédemption personnelle à travers un éveil spirituel partagé par son entourage.

Elle aurait pu être la principale ligne narrative du récit. Hélas, la nécessité d’en faire un parangon de sa génération oblige la présence à ses côtés de l’anti-héros « boomer », mâle blanc hétérosexualisé par ses affres amoureuses et sa vie familiale qui servira de refuge héroïque et de contrepoids politique. Netflix, comme Hollywood avant lui, aime nous dire que si le combat politique échoue, c’est dans la cellule familiale que la vie retrouve son sens. Don’t Look Up organise ainsi un semblant d’espoir et de sérénité à travers une scène finale où l’éveil spirituel se fait sous la forme d’un repas familial typique de Thanksgiving où les invités organisent des tours de gratitude [1] alors que la planète commence à exploser.
Les personnages des trois « vieilles » stars de Hollywood – Meryl Streep, Cate Blanchett et Leonardo DiCaprio – sont tous les trois aux prises avec les contradictions, les errances et les regrets qui expliquent l’inaction politique de leurs générations. En contre point, les deux « jeunes » stars du film, Jennifer Lawrence et Timothée Chalamet, prennent en charge les combats et les résignations des jeunes générations qui cherchent une échappatoire à la tragédie du monde moderne.

On perçoit quelques commentaires acides sur la place des femmes dans cette société « post-spectacle ». Les deux principales stars féminines prennent chacune en charge un personnage antagoniste plus ou moins classique. Brie Evantee (Cate Blanchett) est un stéréotype de femme fatale aux allures de blonde peroxydée typique des années 1950. Comme dans le film noir de l’époque, elle « piège » le héros en le séduisant et l’attirant hors du « droit chemin ». Pour le docteur Mindy, échapper aux griffes de Brie Evantee revient à échapper à la gloriole et à la reconnaissance publique pour revenir vers le chemin « raisonnable » qui sera celui de sa place de père et de mari. Son héroïsme consiste à rentrer chez lui et à reprendre sa place patriarcale au sein de son foyer. Evantee meurt en femme fatale : délaissée et alcoolique. La Présidente Orlean (Meryl Streep) est un riche personnage composé de multiples références. Son physique la rapproche d’une Madonna soucieuse de paraître jeune, en prise avec son époque et à l’aise dans ses vidéos diffusées sur Tik Tok ; sa désinvolture, sa corruption et son cynisme rappellent immanquablement le président Trump ; enfin cette position de femme Présidente proche des grandes multinationales n’est pas sans évoquer les critiques faites à Hillary Clinton par son propre camp lors de la primaire démocrate contre Bernie Sanders puis dans la course présidentielle contre Donald Trump. McKay s’amuse à proposer une femme présidente des États-Unis, proposition fictive mais finalement réaliste, tout en montrant comment les biais générationnels et le système capitaliste viendront rapidement à bout des espoirs suscités par la première élection d’une femme Présidente. Il rappelle ainsi comment nombre d’espoirs suscités par l’élection de Barack Obama, premier Président afro-américain, s’étaient vite désagrégés face à l’immobilisme de sa politique, notamment en matière environnementale et dans la protection de l’économie financière. Comme le montre bien le film, plus la fin du monde approche et plus la bourse fructifie aux dépens de l’économie réelle. Le prix exorbitant des pelles qui s’affichent discrètement tout au long du film devient un sarcastique McGuffin qui souligne les phénomènes inflationnistes causés par la catastrophe.

Finalement, « vieux monde » et « nouveau monde » se retrouvent ensemble face à leurs propres limites humaines. Si les uns consomment de la drogue et de l’alcool, d’autres comptent sur la pharmacologie pour faire face à la difficulté d’accepter le monde comme il est. Or c’est bien la question la plus fondamentale à laquelle la comédie nous invite : comment mener ensemble la lutte pour un monde meilleur et le degré d’acceptation nécessaire à tout éveil spirituel ?
Seule la comédie peut pousser la fiction au-delà de ses limites et de ses contradictions. Comment faire un film sur l’impossibilité de transmettre sérieusement l’urgence actuelle sans être immédiatement noyé par un flux permanent d’informations et d’images ? Comment ne pas être avalé par le phénomène que l’on cherche à dénoncer ? Comment réaliser un film engagé sur le trop plein d’histoires sans y contribuer ? La comédie désamorce le cercle vicieux en permettant d’inscrire l’absurdité du phénomène au cœur de sa peinture. L’ironie et l’humour du film de McKay sont au service de sa mission dénonciatrice. Ils en sont les principaux outils et les leviers intellectuels les plus convaincants.

Rappelons pour finir une contradiction fondamentale du film qui le force à participer malgré lui à ce qu’il dénonce : la récupération commerciale des récits sur l’urgence environnementale. Netflix, acteur iconique de la nouvelle économie post-capitaliste, entreprend depuis quelques années une large campagne de greenwashing, habile et passionnante, qui consiste à produire des séries documentaires naturalistes de très grande qualité scientifique et visuelle.

Notre Planète (Netflix, 2019) est l’héritière des grands documentaires naturalistes de la BBC et commentée par Sir David Attenborough, chantre britannique de la conservation des espèces ; La Terre la nuit (Netflix, 2020) pousse les limites visuelles de notre perception de la nature grâce à des technologies macroscopiques et des caméras infrarouges à la pointe du matériel scientifique d’enregistrement. Ces productions uniques et d’une immense qualité autant scientifique que télévisuelle, montrent la puissance de Netflix qui devient un acteur incontournable de la production cinématographique, télévisuelle et même scientifique. Ce faisant héraut et défenseur de la nature, l’entreprise est pourtant loin de répondre aux normes d’une entreprise durable et son impact sur les économies locales reste source de nombreux débats.


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[1Le cercle de gratitude est une coutume de la culture protestante quaker qui consiste à exprimer à tour de rôle son sentiment de gratitude pour sa vie. Aujourd’hui, cette pratique devient également un outil de psychologie positive et de développement personnel.