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Patricia Mazuy / 2022

Bowling Saturne


Par Geneviève Sellier / vendredi 18 novembre 2022

Un portrait complaisant des masculinités toxiques

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Bowling Saturne, le dernier film de Patricia Mazuy, est déjà en fin d’exploitation alors qu’il va atteindre péniblement 12.000 entrées en 4 semaines… Autant dire un four absolu, compte tenu de la notoriété de cette cinéaste qui nous a donné, entre autres, le remarquable Saint-Cyr en 2000. Et en effet, au vu de cette surenchère de violence et de noirceur (au sens littéral et figuré), on comprend que le public cinéphile (sans parler du grand public) ne se soit pas précipité : le masochisme a des limites… La déception est d’autant plus forte que la presse cinéphilique (Les Inrocks, Le Monde, Libération, Les Cahiers du cinéma) est dithyrambique. Cela indique surtout un fossé grandissant entre cette presse et les spectateur.ices ordinaires, fussent-ils et elles cinéphiles…

A la mort de leur père passionné de chasse aux fauves, Guillaume, officier de police, propose à son demi-frère Armand, un laissé pour compte, de prendre en gérance le bowling qu’il a hérité de leur père et d’habiter l’appartement paternel situé dans le même immeuble. Armand refuse d’abord puis accepte. Il tente bientôt de modifier les habitudes du lieu en organisant des soirées réservées aux femmes et en tentant d’écarter les chasseurs amis de son père qui en ont fait leur lieu favori. Au tiers du film, on assiste à une scène de violence sexuelle insoutenable, quand Armand attire chez lui une des clientes du bowling pour une baise qui se termine en massacre, après quoi le meurtrier enveloppe soigneusement le cadavre nu dans une bâche pour l’emmener dans sa camionnette dans la nuit… Le lendemain Guillaume est averti de la découverte du cadavre d’une autre jeune femme nue, et l’enquête commence…

Cette scène hyper violente est pourtant la seule intéressante – son côté insoutenable suggère la possibilité d’une lecture critique de la violence masculine : c’est tellement affreux qu’il semble impossible que quiconque puisse y prendre du plaisir ; de plus, on a vu la jeune femme victime dans le bowling puis dans l’ascenseur, où elle s’interroge sur sa facilité à suivre un homme qu’elle ne connaît pas, réflexion tragiquement prémonitoire qui donne au personnage un semblant d’humanité, mais cette ligne ne sera pas poursuivie : par la suite le récit bascule complètement du côté des deux frères et les femmes ne sont plus que des cadavres.

Le parti-pris de noirceur autant dans la mise en scène que dans le scénario (que Patricia Mazuy a écrit avec son scénariste habituel, Yves Thomas), s’accompagne de certains tics du cinéma d’auteur, comme de refuser tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à de la « psychologie » ou de la « sociologie », si bien qu’on ne sait rien sur les personnages, ni sur leurs relations, ni sur leur cadre de vie : on est dans une ville de province qui n’a aucune identité (on entend parler des bords de l’Orne et le générique remercie la région Normandie, sans aucun autre indice). L’histoire des deux frères, c’est celle de Caïn et Abel, c’est une histoire « universelle », donc inutile de préciser le contexte… Le frère ainé, celui qui est flic, est censé mener l’enquête sur les cadavres de femmes nues (jeunes et belles évidemment mais horriblement mutilées) qui se multiplient : or il ne fait rien d’autre que regarder dans le vide (sans doute pour nous signifier qu’il pense) tout en engueulant ses subordonnés parce que l’enquête n’avance pas… Quand il rencontre une femme – une protectrice des animaux sauvages prise en otage par un chasseur –, on doit se contenter d’un long échange de regards pour indiquer le coup de foudre… jusqu’à la grotesque scène de sexe sur le bureau du flic, interrompue par le supérieur ! Quant aux chasseurs, un groupe de vieux hommes blancs rassemblés dans un culte aussi viriliste que fantasmatique de la chasse aux grands fauves, ils sont si caricaturaux que cela perd toute efficacité critique.

Les dialogues minimalistes tournent assez vite au procédé, celui d’un cinéma d’auteur qui cherche à tout prix à se démarquer du cinéma de genre (en l’occurrence le policier-thriller), en empêchant le spectateur de s’identifier aux personnages ou de comprendre le pourquoi du comment… Le mutisme des deux frères reprend sans la mettre à distance cette caractéristique du comportement masculin dominant. Et le refus de toute « sentimentalité » (caractéristique traditionnellement associée aux femmes) devient absurde quand Guillaume, après avoir été sauvé par la femme qu’il aime, lui lance violemment : « Ne me touche pas ! » C’est la dernière réplique du film !

La représentation complaisante des masculinités toxiques suffit-elle à faire de Bowling Saturne un film féministe ? Malheureusement non !

P.S. Merci à Ginette Vincendeau pour ses remarques toujours pertinentes…


générique


Polémiquons.

  • Je suis une des 12000 entrées.
    Et même si c’est une femme qui met fin au carnage (en utilisant la violence) ce n’est pas un film féministe (ni un film policier). L’objet de ce film est la violence, préoccupation de la réalisatrice.
    Le père décédé était un chasseur de grands prédateurs. Ces compagnons de tuerie s"émerveillent devant la projection de leurs exploits : le mâle humain qui massacre de grands fauves.
    Ce père a transmis le virus à ses deux fils : l’aîné est policier il chasse les "méchants", le cadet, après avoir revêtu la veste de son père, se met à chasser-massacrer la femelle humaine par rivalité avec son aîné et pour se réaliser.
    Le plus remarquable c’est qu’une femme, scénariste et réalisatrice, puisse s’emparer d’un tel sujet et produire, avec moins de moyens, un film "très noir" à l’égal de ses homologues masculins.
    C’est cela l’égalité.

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