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Paul Thomas Anderson / 2025

Une bataille après l’autre


par Geneviève Sellier / samedi 4 octobre 2025

À la fois thriller politique et film d'action, une charge jubilatoire contre le trumpisme

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Une bataille après l’autre est un film rafraîchissant dans la mesure où il plonge tête baissée dans la bataille politique cruciale qui se joue en ce moment aux Etats-Unis : un affrontement aussi brutal qu’inégal entre forces progressistes et forces réactionnaires, et qu’il ne masque pas son parti-pris.

Spectaculaire et jubilatoire, le prologue met en scène un petit groupe d’activistes (blanc·hes et africain-américain·es) qui organise une attaque contre un camp de détention de migrants. Cette attaque réussie est filmée du point de vue des activistes, en particulier le couple formé par « Ghetto Pat » (Leonardo DiCaprio) et « Perfidia » (Teyana Taylor) qui s’embrassent passionnément tout en posant des bombes. D’autres attaques vont suivre. Quelques mois plus tard, le groupe vit dans la clandestinité et Perfidia accouche d’une fille, qu’elle laisse à Pat pour retourner se battre. Mais elle sera arrêtée, acculée à trahir le groupe qui est démantelé. Les quelques survivants, dont Pat et sa fille, disparaissent dans la nature munis de quelques conseils de survie.

Quinze ans plus tard, on retrouve Pat devenue Bob Ferguson, et Willa sa fille adolescente, qu’il a élevé en vivant dans une cabane au fond des bois, tout en fumant de l’herbe en regardant des vieux films politiques (La Bataille d’Alger, Pontecorvo 1966). Willa est initiée aux arts martiaux sous la houlette de « Sensei » (maître en japonais), un activiste latino-américain (Benicio DelToro).

Entretemps, le colonel (Sean Penn) qui les poursuit de sa vindicte, se met au service d’une organisation secrète de suprémacistes blancs. Il reçoit la mission de liquider Bob Ferguson et d’enlever sa fille. Bob est arrêté puis libéré par le réseau souterrain de militants qui se consacrent à la protection des immigrants clandestins.

La troisième partie du film oscille entre film d’action et burlesque. dans un paysage désertique de collines, Bob se met à la recherche de Willa, enlevée par le colonel : s’ensuit une course poursuite, filmée avec virtuosité, du pur spectacle qui débouche après plusieurs carambolages sur les retrouvailles du père et de sa fille.

Si le prologue qui est censé se passer vers la fin des années 2000 est anachronique puisque c’est dans les années 1970 que se sont développés les groupes violents d’extrême gauche comme les Weather Men et les Black Panthers, le camp de détention militarisé fait furieusement penser à l’actualité la plus immédiate.
Selon Michelle Goldberg, une éditorialiste du New York Times, le film, réalisé avant le retour de Trump au pouvoir, « pouvait sembler dystopique au moment où il a été tourné, mais ressemble aujourd’hui à des séquences d’actualités. Le méchant, un officier militaire nommé Steven Lockjaw, est un fanatique anti-immigrés qui, à un moment donné, assiège une ville sanctuaire sous le prétexte fallacieux de lutter contre les cartels de drogue. Le film met en scène une cabale nationaliste blanche au plus haut niveau de l’establishment américain — appelée, de manière amusante, les Christmas Adventurers — dont le discours n’est pas si différent de celui de Trump. »

L’intérêt de ce film politique est de décrire des activistes d’extrême-gauche sans les idéaliser, tout en prenant parti très clairement pour la résistance à la politique anti-immigrants qui est la clé de voute de la présidence actuelle. Si Bob Ferguson est joué par DiCaprio sur un mode burlesque (constamment drogué, il est incapable de se souvenir du mot de passe qui lui permettrait de s’identifier auprès de son réseau clandestin), le personnage le plus efficace est incarné par Benicio del Toro qui organise, sur le modèle du « chemin de fer souterrain » du temps de l’esclavage, le sauvetage des clandestins latino-américains.

Contrairement à Ari Aster (le réalisateur d’Eddington), P.T. Anderson ne se trompe pas d’adversaire. Cependant, j’ai été choquée par l’hypersexualisation du personnage de Perfidia (son comportement est quasiment nymphomaniaque) et le fait qu’elle trahit le groupe pour sauver sa vie. Faire d’une femme noire un mauvais objet (elle a abandonné son bébé pour retourner se battre, moins par conviction que par plaisir égoïste, suggère le film) tout en valorisant l’homme blanc qui devient un père célibataire uniquement préoccupé de protéger sa fille, pose question d’un point de vue féministe et intersectionnel. Certes il y a une autre activiste noire, Deandra (Regina Hall), qui incarne la conscience morale du groupe et prend Willa sous sa protection, mais elle échoue, faute de la solidarité des ex-militantes devenues membres d’une communauté religieuse qui cultive le canabis (!).

Avec un budget de 130 millions de dollars, Une bataille après l’autre a eu beaucoup plus de moyens que deux films récents comparables par leur statut de film d’auteur à la fois politique et spectaculaire : The Brutalist (10 millions) ou Eddington (25 millions). Ils sont aussi comparables par leur longueur. Malgré son intérêt politique indéniable, et le caractère spectaculaire de ses scènes d’action, le film de Paul Thomas Anderson (2h42) n’échappe pas à ce reproche. Comme Eddington, il s’accompagne aussi d’une bande-son envahissante et trop souvent assourdissante. Enfin, dernier point commun entre ces trois films : la focalisation sur des personnages masculins, qu’il s’agisse de héros ou d’anti-héros. La politique continue à être identifiée à la masculinité…

Le succès commercial du film aux États-Unis où il est sorti en même temps qu’en France, est réel même si son budget le rend difficilement rentable, mais selon le correspondant du NYT à Los Angeles, Brooks Barnes, son énorme succès critique en fait un candidat sérieux pour les Oscars, susceptible de valoriser la Warner en tant qu’entreprise artistique.


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