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Guillaume Canet / 2017

Rock’n Roll


>> Ginette Vincendeau / samedi 18 mars 2017

Avec Guillaume Canet, Marion Cotillard


Rock’n’roll est une comédie sur un acteur de 43 ans qui « pète les plombs » face à la peur de vieillir. Réalisé par Guillaume Canet, avec Guillaume Canet et sa compagne Marion Cotillard, des membres de leur « bande » (Gilles Lellouche, Yvan Attal, etc.) et des célébrités comme Johnny Hallyday et Kev Adams, le film se veut à la fois dérision du vedettariat et autofiction-biopic narcissique.

Dans le registre de l’humour, Rock’n’roll ne fait pas dans la dentelle : blagues douteuses sur les testicules de Canet, plaisanteries grasses, beuveries et vomissures, font moyennement rire. Marion Cotillard, censée préparer un rôle pour Xavier Dolan (elle joue effectivement dans Juste la fin du monde), parle tout au long du film avec un accent québécois qui nécessite des sous-titres et devient vite pénible. Encore moins drôle et également très appuyée, la plaisanterie sur les ravages de la chirurgie esthétique qui occupe la deuxième partie du film. Guillaume Canet semble avoir oublié le vieil adage selon lequel les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.

Heureusement, Rock’n’roll n’est pas, ou pas seulement, une version française des comédies américaines de style gross-out, ni simplement le énième film sur le cinéma, même si on apprécie certaines scènes sur le business, notamment celles avec les producteurs. L’intérêt du film est de pointer le statut ambigu du couple Canet-Cotillard dans le cinéma et le star-système français. Acteur et metteur-en-scène doublement césarisé, Canet réalise avec succès Ne le dis à personne (2006) et Les Petits Mouchoirs (2010) et occupe adroitement un espace entre cinéma d’auteur et cinéma populaire, jusqu’à l’échec cuisant de son thriller franco-américain, Blood Ties (2013). Mais la star du couple c’est Cotillard, qui, depuis son Oscar en 2007 pour La Môme, enchaîne les films prestigieux des deux côtés de l’Atlantique. Par ailleurs elle atteint la stratosphère people en « égérie » de Christian Dior et apparaît notamment en vedette de cinq courts-métrages publicitaires haut-de-gamme pour le sac « Lady Dior » (qu’elle ne manque pas d’arborer dans Rock’n’roll – clin d’œil ou placement de produit ?). Cotillard est actuellement l’actrice française la plus bankable et le couple vit sous le regard des réseaux sociaux, s’amusant, pour la promotion du film, à poster des photos « embarrassantes » sur Instagram (Cotillard qui dort dans le TGV la bouche ouverte, etc.). Bref, plutôt qu’une réflexion sur le star-système, Rock’n’roll alimente lui-même la machine people.

Tout en prenant acte du statut supérieur de Cotillard en tant que star, Rock’n’roll s’évertue à présenter l’image d’un couple moderne (papa emmène son fils à l’école) mais plusieurs aspects du film trahissent de bon vieux schémas genrés réactionnaires, même en tenant compte de l’exagération typique de la comédie. Cotillard est pratiquement toujours vue au foyer, souvent dans la cuisine ou la chambre à coucher, puis cultivant un absurde jardin potager dans le salon, alors qu’elle révèle drôlement dans une interview l’avoir déconseillé à Canet-réalisateur, en pointant le manque de réalisme d’un potager en février (nous sommes au temps des Césars). Canet bien entendu domine le récit et l’écran ; il est après tout à la fois l’auteur et le sujet du film. Mais la représentation de ses angoisses, tout comme celle des deux jeunes femmes, naturellement ravissantes, qui les provoquent – la journaliste de Elle et sa jeune partenaire dans le film qu’il est en train de tourner – adoptent la vision la plus stéréotypée des rapports homme-femme (peut-il encore « niquer » ?). Par contre, les transformations grotesques de son visage et de son corps par la chirurgie esthétique et le body-building, loin de rebuter Cotillard (qui à ce moment du récit l’avait quitté), au contraire la font revenir vers lui. Guillaume Canet en tant que réalisateur et acteur tient à nous prouver que ses angoisses viriles et sa crise existentielle sont non seulement intéressantes mais touchantes et que malgré ses dérapages, Marion, comme son public, continueront à l’aimer.


>> générique

Polémiquons.

  • Voici une phrase de la bande annonce : "Tu sais que ce soir je vais te baiser comme une bonne grosse salope, toi ?"

    Ce genre de "second degré" est censé produire un effet humoristique du fait de l’exagération et du contraste entre la violence de l’insulte et l’amour que se portent probablement les deux personnages du film (voire les deux acteurs ?)

    Ce que j’en retiens, si je me place du point de vue du spectateur homme ou femme, mais surtout jeune, c’est que ce genre de propos est permis sous couvert d’humour, donc acceptable sous condition. Même si une atténuation survient ensuite sous la forme d’une excuse ou d’un prétexte du style "c’est ma réplique pour tel rôle" censé suggérer que le personnage ne profère pas une immonde injure sexiste mais répète un rôle, je pense que le cerveau enregistre avant tout la "permission d’insulter" que ce fonctionnement accorde, qui plus est à grande échelle dans le cadre d’un film avec des acteurs aussi célèbres, bankables et désormais internationaux (c’est d’autant plus grave).

    En outre, comme c’est dans la bande annonce, il n’est même pas nécessaire d’aller en salle pour voir son cerveau ainsi pollué, il suffit de s’intéresser au cinéma. On ne peut donc pas choisir d’échapper à ce énième harcèlement par procuration des femmes en s’abstenant d’aller voir le film : c’est trop tard, on l’a déjà subi en regardant cette bande annonce.

    Par ailleurs, j’ai détesté cette promo basée sur la diffusion de photos dévalorisantes "pour de rire" du partenaire. C’était ambigu et c’est un peu vite oublier les dégâts des diffusions authentiquement vengeresses de photos personnelles ou intimes.

    Le tout, bande annonce et promo, valide donc des procédés dont les victimes sont, encore et toujours, en tès grande majorité les femmes.

    Dans ces conditions, aucune envie d’aller voir le film.

    Merci pour vos précieuses analyses.

  • merci pour cette analyse tout à fait pertinente !
    J’aimerais ajouter que l’argument principal du film, l’obligation pour un acteur qui vient d’avoir 40 ans d’avoir recours à la chirurgie esthétique, au botox et aux anabolisants, dans l’espoir (qui se révèle fallacieux) de continuer à avoir des rôles de "jeune", est totalement invraisemblable dans le paysage du cinéma français. Les rôles intéressants, en tout cas pour les acteurs "blancs", sont encore plus nombreux après 40 ans, contrairement à ce qui se passe pour les actrices.
    Ce détournement d’un problème très réel pour les actrices, sur un personnage masculin d’acteur, me semble relever typiquement d’une forme de masculinisme, c’est à dire une fiction qui vise à montrer un homme comme victime d’un état de la société (le jeunisme) qui affecte d’abord les femmes. Comme par hasard, Marion Cotillard, elle, ne semble pas concernée par le problème...

  • Un certain nombre de critiques de "Le Genre et l’Ecran" sont particulièrement méritantes et utiles. Méritantes, parce que la critique a pris sur son temps de cerveau, de corps, de vie, de lecture, de loisir, de cinoche pour aller voir quand même le film dont la lecture de la présentation sur le programme hebdo de son cinéma habituel aurait suffi à dissuader ... Utiles parce que le film qu’on a pas vu se trouve ainsi quand même pouvoir trouver sa place dans notre mémoire cinéphile... Nous évitant de confondre l’histoire du cinéma avec notre histoire personnelle de spectateur .
    En lisant la critique que vous faites de ce produit cinématographique hautement prévisible, une question de plus : n’est ce pas la production et la réception de tels films qui nous intriguent. Par quelle analyse mercaticienne en arrive t’on à la production de ça ? Ne s’agit-il pas d’user les uns après les autres tous les stéréotypes, effectivement caricaturalement genrés, qui peuvent faire la carrière d’une star, ou qui ayant les moyens de produire se croit telle. Comme si au moment de recevoir le César d’honneur pour toute sa carrière il fallait avoir émargé à tous les poncifs... Le prochain film de Guillaume Canet portera-t-il sur "le démon de midi"... Y "niquera-t-il" un tendron joué par disons, à l’occasion d’un premier rôle une fille puinée et inconnue de Jean Dujardin ?

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