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Maïwenn / 2011

Polisse


par Anne, ma sœur Anne / mardi 4 novembre 2025

Un film en empathie avec les policier.es

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Selon le résumé de Wikipedia, « Les policiers de la brigade de protection des mineurs (BPM) de Paris luttent contre les innombrables sévices subis par des mineurs : traque de pédocriminels, appréhension de parents soupçonnés de maltraitance, suivi d’adolescents pickpockets, adolescents en dérive sexuelle, protection de mineurs sans domicile, mineurs victimes de viol, etc. Plongés dans cet univers éprouvant, ces policiers très impliqués et soudés tentent de préserver leur vie privée et leur santé psychique. Melissa, une jeune photographe est envoyée faire un reportage photo dans l’unité chargée des affaires de mœurs. Elle va croiser la route de Fred, un policier qui semble affecté par son travail et son quotidien. »

Un exposé des violences sexuelles auxquelles sont exposés les enfants

Polisse présente avec une honnêteté parfois insoutenable l’expérience de vie de nombreux enfants en prenant soin de ne pas surreprésenter certaines classes ou certaines origines ethniques afin de rappeler que les violences sexuelles ne connaissent pas de frontières, même s’il est avéré que les filles sont globalement plus exposées que les garçons.

Dès les premières minutes, on assiste aux dépositions de deux fillettes ainsi qu’aux mensonges éhontés des accusés – « elle regarde trop les films à la télévision » – pour échapper aux poursuites et qui n’hésitent pas à user de leur autorité pour obtenir la rétractation de leur victime. L’une des victimes déclare que « papa lui gratte les fesses » ; l’autre, que « son grand-père s’est frotté sur elle ».

La chanson légère du générique, « le pays joyeux des enfants heureux », tranche avec la réalité qui est dépeinte et souligne, s’il était besoin, que la période de la vie que l’on associe souvent avec le temps « des rires et des chants » est aussi, bien plus souvent qu’on ne le pense, le temps des cris et des coups. L’enfant, comme le montre Dorothée Dussy dans Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste (La Discussion, 2013 ; réed. Pocket 2021), est la cible idéale pour l’exercice érotisé de la domination, « l’étendue de son ignorance et son immense dépendance » accroissent sa vulnérabilité.

Polisse a aussi le mérite de dresser un portrait « vrai » des agresseurs sexuels d’enfants. Comme l’explique Dorothée Dussy, 80% des agresseurs sexuels d’enfants sont des incesteurs, c’est-à-dire des membres de la famille.

À bas donc l’image de cet « Autre », à la mine patibulaire, caché dans les fourrés, attendant de se jeter sur une proie sans défense. Si dans l’imaginaire collectif, le viol associe « la haine et le pénis », la réalité est bien plus riche. Dans Polisse, comparaissent sur le banc des accusés : le grand-père qui « se frotte » parfois sur sa petite fille, le père de famille respectable qui aime caresser sa fillette de 4 ans pendant le bain, la jolie mère pas bien futée mais de bonne foi néanmoins, qui branle son nourrisson pour qu’il cesse de pleurer, le père qui pense que sa fille se donne à lui, le coach de gymnastique qui est amoureux de son élève… Ils sont, dans la majorité des cas, bien insérés dans la société, ce ne sont pas des détraqués ou des êtres à part. Rien, physiquement et socialement, ne les distingue des autres.

En outre, ils rejettent quasiment tou·tes les accusations proférées car il/elles ne se considèrent pas elleux-mêmes comme des violeur/ses. Certain-e-s apprennent, face aux forces de l’ordre, qu’il/elles ont violé leur enfant. Ainsi, la mère de famille à qui les policières rappellent que la fellation imposée est un viol. Ce coach qui nomme « amour » ou « relation amoureuse », ce pour quoi on l’arrête. Ou encore ce père et ce grand-père, qui ne semblent pas comprendre pourquoi quelques caresses les mènent dans un commissariat de police. Leur lexique, « relation », « amour », ou leurs protestations, viennent se heurter aux mots posés par les forces de l’ordre : « étiez-vous en érection monsieur ? », « il ne veut pas avouer qu’il prend du plaisir sexuel à donner le bain à sa fille ». Ces mots les dérangent parce qu’ils replacent les faits, les gestes, dans le cadre du crime ; là où les mots « amour », « relation amoureuse » et « caresses » donnaient un tour acceptable aux scènes décrites. Comment le montrent bell hooks dans All about love (À propos d’amour, Divergences, 2022) et Mona Chollet dans Réinventer l’amour (La Découverte, 2021), les mots ont une importance capitale dans la distinction et la dénonciation des violences sexuelles ordinaires. En effet, repenser ce que recouvre le mot « amour » quand il est employé permettrait d’interroger ce que l’on entend par « amour » à l’aune du sexisme et de rapports de domination.

Quoi qu’en pensent les auteurs de violences sexuelles, ils se sont rendus coupables de faits répréhensibles. Toutefois, leurs victimes, des nourrissons aux adolescents, souvent silenciées par le « système inceste » (Dorothée Dussy) ont bien du mal à faire entendre leurs voix. Ce point pourtant crucial dans la compréhension de la représentation des violences sexuelles sur mineur.es et des violences sexuelles en général, qu’il s’agisse de sous-représentation ou de représentation édulcorée, n’est pas mis en avant dans Polisse.

C’est là ce que l’on pourrait reprocher au film. Après avoir présenté des auteurs de violences défiant les clichés dans toute leur diversité ; il s’arrête dans sa course, sans raconter ce qu’il advient une fois les dépositions faites. On pourrait arguer que Polisse est focalisé sur la police et non sur les procédures judiciaires. Cependant, en laissant ainsi en suspens la suite judiciaire des affaires de violences sexuelles sur mineur·es, le film laisse entendre que l’issue des affaires est favorable aux victimes. Polisse gomme aussi une partie des nombreux obstacles au dévoilement : dans l’intrigue, les enfants qui dénoncent sont crus, écoutés, rapidement reçus, entendus au moment des faits, ce qui n’est pas courant ; passer sous silence l’issue du travail mené par les policier.es lisse sensiblement la représentation du traitement des violences et valorise l’image des forces de l’ordre.

L’histoire de la prise en compte des violences sexuelles sur mineur.es (Georges Vigarello, Histoire du viol (XVIe-XXe siècle), Seuil 1998) permet de comprendre pourquoi la parole des enfants peine à se faire entendre. Dans les faits, rares sont les victimes qui portent plainte, qui sont crues ; encore plus rares les violeurs d’enfants qui purgent une peine de prison. Sans aveux, les dossiers sont souvent classés sans suite et le silence autour de l’inceste profite systématiquement aux agresseurs.

Ce que Polisse ne dit pas, ne peut pas dire, c’est que les forces de l’ordre et les organismes de justice ne sont pas « outillés pour s’attaquer au système inceste » (Dorothée Dussy).

Ce que Polisse ne dit pas, c’est que le plus souvent, après ces dépôts de plaintes déjà bien éprouvants, les enfants sont une nouvelle fois violentés par l’appareil judiciaire : accusés de mentir, insultés, vilipendés, ostracisés par leur famille et renvoyés à leur place, dans leur souffrance ; tandis que les agresseurs d’enfants sont, dans leur grande majorité, relâchés, et toujours appréciés par leurs proches (Dorothée Dussy).

Ce que Polisse ne dit pas, c’est le caractère épidémique des violences sexuelles sur les mineur.es et le fait que « sauver » ces enfants victimes de violences répétées, au sens de : mettre fin à leurs souffrances, dépasse, et de loin, le fait de les faire entrer dans des locaux de police et de les auditionner. Du suivi psychologique à la reconstruction à l’âge adulte, le chemin est long, pavé d’embûches et de surmortalité (Bruno Clavier, Ils ne savaient pas… Pourquoi la psychologie a négligé les violences sexuelles, Payot, 2022.)

Une « copaganda » qui met à distance les violences…

La « copaganda » désigne, aux États-Unis, la propagande visant à montrer les « cops » (les flics) sous un jour favorable, afin de redorer leur blason ou d’éduquer la population à associer flics et sauveurs. Cet endoctrinement fort et efficace est relayé par divers médias : infos, séries, films…
Selon Polisse, on ne peut pas éradiquer les violences contre les enfants, mais on peut essayer ; et ce faisant, on gagne son badge de héros du quotidien, chevalier moderne, tout dévolu à la protection des plus faibles et des plus démunis.

L’idylle de Mélissa et Fred opère comme un contrepoids touchant après des séquences difficiles traitant des violences sur mineur.es. Tout comme une scène musicale enjouée dans un bus après un sauvetage d’enfants roumains de la prostitution ou une scène de diner festif.

Le film offre la possibilité au spectateur de lier lecture fine des violences faites aux enfants et divertissement. Parfois, les deux plans se mêlent et c’est au commissariat, pendant l’audition, que les policier.es rient, se moquent d’une jeune fille qui a recours aux fellations pour récupérer son téléphone portable que des jeunes lui ont volé.

Les agents se montrent d’ailleurs particulièrement durs avec deux jeunes filles (il n’y a pas d’adolescent de plus de 12 ans auditionné dans le film, sans doute parce que les filles sont plus exposées aux violences sexuelles que les garçons). Ils rient de la jeune fille contrainte de faire des fellations, lui demandent « ce qu’elle fait pour un ordinateur » et emploient des insultes putophobes face à une autre adolescente auditionnée : « Quand on voit ton blog, on a juste l’impression que t’as 14 ans et que t’es une pute ! ». Il ne s’agit pas là de la dénonciation de violences policières mais d’intermèdes comiques où on est amené à se ranger aux côtés des forces de l’ordre et à considérer que la jeunesse, avec ses pratiques sexuelles ou son addiction aux gadgets technologiques, ne leur facilite pas la tâche. Ce faisant, pour les cas évoqués : la jeune fille au blog, la jeune fille tentant de récupérer son téléphone, le système d’oppression sexiste n’est pas du tout interrogé.

… pour mieux encenser les policier.es

Au beau milieu de violences insoutenables : les cris d’un enfant arraché à sa mère et un viol sur un nourrisson, Mélissa (Maïwenn) et Fred (JoeyStarr) vivent une histoire à la fois légère et complexe. Ce sont même ces violences qui vont mettre en relief les qualités de Fred : son côté passionné, sa bravoure et son éloquence. Il est le policier qui n’hésite pas à pleurer, à hausser le ton et à prendre le risque d’un blâme pour sauver un enfant. S’il le pouvait, il accueillerait tous les enfants à la rue chez lui, ce qu’il propose même à son supérieur lorsqu’un petit garçon vivant à la rue obtient une place en foyer sans sa mère. La relation qu’il entretient avec la mère de sa fille bat de l’aile parce qu’il est apparemment trop pris par son métier (essayer de sauver le monde, c’est chronophage) et il décide d’entamer une relation avec Mélissa.
Quant à Mélissa, son époux a décidé qu’ils pourraient vivre chacun de leur côté malgré leurs deux filles. Cet arrangement ne lui convient pas ; et comme son mari, Francesco (Riccardo Scamarcio) refuse de reconnaître que ce choix, vivre séparément, est une façon d’échapper à l’engagement du mariage dans sa totalité, elle se laisse séduire par Fred. C’est sur ces bases que débute une histoire d’amour digne des teen movies (films pour adolescents) étatsuniens : il lui dit qu’elle est belle « malgré ses tenues de grand-mère », il lui fait découvrir l’ambiance du stand de tir, elle attend l’extinction des feux pour le rejoindre en douce dans sa voiture ; il l’engueule parce qu’il n’aime pas les clichés qu’elle prend et qu’il juge misérabilistes ; elle l’invite chez elle pour qu’il rencontre son père… Cette idylle gentillette tend, bien évidemment, à humaniser Fred et par contagion les autres agents qui dévoilent aussi un peu leur vie privée et l’envers du décor. Ils aident les citoyens, mais qui leur vient en aide ?

Parmi eux, Iris (Marina Foïs), membre de la brigade de protection des mineur.e.s qui cherche à tomber enceinte sans y parvenir, se fait vomir après chaque repas, rompt avec l’homme qui partage sa vie, entre en conflit avec une collègue. Ce métier exigeant finit par avoir raison de son couple, de sa santé, et au bout du compte de sa vie. Les pulsions suicidaires d’Iris pourraient avoir une autre origine : « Il y a quelque chose que tu n’as pas digéré », lui dit son petit ami avant qu’elle ne mette fin à la relation. Elle propose aussi, dans un acte d’identification inexpliqué, de donner son nom au nourrisson mort-né produit d’un viol qui doit être « évacué ». Clairement, Iris ne va pas bien et finit par se défenestrer sur son lieu de travail, juste après avoir obtenu sa promotion.

Tous les agents souffrent dans leur vie personnelle de leur implication dans ce boulot presque inhumain qui les confronte aux pires horreurs : Fred, Iris, sa collègue qui divorce parce qu’elle « aime son taf », ce collègue qui ne peut échanger avec sa femme parce que ce qu’il affronte tous les jours est bien trop dur à raconter dans le cadre du foyer… Ils portent tous le poids de cet emploi hors norme. C’est alors la profession qui est en cause : ce qu’elle exige de ses agents, ce qu’elle produit, ce qu’il advient de ceux qui donnent tout pour les autres, jusqu’à leur vie. Ces hommes et ces femmes comme les autres, qui deviennent, de sacrifice en sacrifice, des héros du quotidien.

Ce faisant, Polisse passe complètement sous silence ce qui est reproché à ce corps de métier : les violences policières, les biais classistes/racistes/sexistes, l’absence de réponse, l’absence de réponse adaptée… dans la brigade des mineur·es comme dans bien d’autres services.


générique


Polémiquons.

  • Une analyse fine, s’appuyant sur une riche bibliographie. Cela nous donne un éclairage sur le film qui permet de prendre du recul au lieu de rester sur des premières impressions parfois naïves. Les choix artistiques des réalisateurs sont justement cela… Des choix. Et c’est intéressant de les interroger.
    Hâte de voir l’analyse de "la journée de la jupe" qui m’a laissée marquée et dubitative.

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