À l’issue d’une cérémonie des César 2020 qui a laissé à bon nombre d’entre nous un goût amer et une rage sourde, il est important de retenir les quelques belles récompenses. C’est notamment le cas du César du Meilleur Premier Film remis à Papicha de Mounia Meddour, ainsi que celui remis à sa jeune actrice, Lyna Khoudri, en tant que Meilleur Espoir Féminin.
Sorti au mois d’octobre sur nos écrans, Papicha raconte le quotidien de Nedjma, dix-huit ans, et ses amies, étudiantes et résidentes d’une cité universitaire à Alger dans les années 90. Nedjma rêve de devenir styliste. La nuit, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la cité pour rejoindre les boîtes de nuit où elle vend ses créations aux "papichas", les jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits.
Mounia Meddour, qui réalise ici son premier long métrage de fiction (après trois documentaires), puise dans ses souvenirs d’étudiante pour raconter les événements de la "décennie noire" de l’intérieur. À travers le personnage de Nedjma, elle souhaite représenter toutes les femmes résistantes d’Algérie. Et c’est par l’angle du vêtement qu’elle aborde la question de la prise du pouvoir des intégristes en Algérie au début des années 1990. En choisissant la mode comme fil conducteur, le film montre comment le vêtement peut devenir tantôt un objet de contrôle tantôt de libération pour les femmes.
– De contrôle d’un côté car les fondamentalistes qui tentent à cette époque de prendre le pouvoir cherchent à tout prix à couvrir les femmes de la tête au pied de burqas noires. Les femmes ne respectant pas ce code vestimentaire sont considérées comme impures, provocantes. On cherche à les cacher, les réservant ainsi à l’intimité du foyer et à l’homme unique qui est leur mari.
– De libération d’un autre côté, car le vêtement est une façon de s’approprier son corps, d’assumer sa féminité (ou de la cacher). Choisir ses vêtements, c’est disposer librement de son corps. Par extension, si on impose à des femmes quoi porter, on limite leur liberté, leur libre-arbitre, on les place d’emblée et comme depuis toujours dans un état de minorité par rapport aux hommes, permettant ainsi de renforcer la mainmise qu’ils ont sur elle. Le vêtement cristallise ici une lutte plus large des femmes pour leur liberté dans le système patriarcal.
La symbolique du vêtement
Dès son ouverture, le film donne le ton : deux jeunes filles font le mur, montent dans un taxi, habillées en jogging et sweat. On assiste à leur transformation à l’arrière de la voiture : elles enfilent une robe, se maquillent, s’amusent et dansent sur une musique joyeuse. Le chauffeur de taxi, clandestin, semble un peu gêné, mais ce n’est visiblement pas la première fois qu’ils se retrouvent tous les trois dans cette situation. On sent, on sait, que ce qui se passe dans cette voiture est interdit. Mais le film ne fait que commencer, on croit encore un peu à la liberté. D’ailleurs, malgré un arrêt à un barrage militaire où il faut immédiatement se couvrir et mentir, la soirée continue en boîte : on fume, on danse, on vend des robes, on rencontre des garçons. Mais l’escalade de la violence, de l’oppression islamiste va se faire petit à petit, de plus en plus dure, cruelle et injuste.
Tout va se jouer à travers le biais du vêtement. Mais au-delà de la question du vêtement imposé et de ce qu’il montre (ou non) du corps des femmes, la réalisatrice se focalise sur un type de vêtement bien particulier. Mounia Meddour oppose la burqa noire que veulent imposer les islamistes au haïk, un habit traditionnel algérois blanc, à la forte symbolique, porté pour les grandes occasions comme les mariages ou les deuils. Le haïk, apparu au 19e siècle, est un symbole de résistance en Algérie depuis la colonisation : « Le haïk au-delà de sa fonction vestimentaire traditionnelle, était un acte de résistance nationale algérienne contre la politique coloniale française » . À la fois car les femmes qui acceptaient de le retirer montrait qu’elles acceptaient la domination coloniale française mais aussi car les haïks permettaient de cacher des armes et de passer incognito devant les soldats français, ce que raconte la mère de Nedjma dans le film.
Cependant, au fil des années ce vêtement a peu à peu disparu, devenant un habit traditionnel porté par les femmes âgées. Ce que raconte Papicha à travers la volonté de Nedjma d’organiser un défilé uniquement avec des haïks, c’est une volonté de se réapproprier la tradition en la modernisant. Ce geste n’est pas sans rappeler un événement qui a eu lieu il y a quelques années, le 22 mars 2013, « une étudiante algéroise de l’Institut des beaux-arts a mis à l’honneur le célébrissime voile blanc algérien d’une façon très attractive. Elle rassembla via le réseau social Facebook une trentaine de participantes dans le quartier emblématique de la Casbah d’Alger et demanda à ces femmes de porter le voile traditionnel algérien dans cet endroit public très animé au centre de la capitale. Elles ont été visiblement heureuses de l’accueil chaleureux qui leur a été réservé par de nombreux spectateurs et spectatrices venus les encourager et partager avec elles cette nostalgie et ce désir de sauvegarder ce patrimoine ».
Pulsion créatrice
Le film se construit autour du projet de Nedjma, donc autour de ce vêtement mais aussi de son désir à elle de créer, de cette pulsion créatrice qui est la sienne. On voit de nombreuses scènes dans le film qui montrent ce processus créatif : du dessin au choix des matériaux, de l’étude du tissu à l’habillage de ses modèles et mannequins.
La réalisatrice fait le choix de filmer au plus près ses comédiennes, leurs corps, leurs visages mais aussi et surtout les mains de Nedjma qui créent, les tissus qu’elle plie, qu’elle plisse, qu’elle pique. On voit la concentration dans ses yeux, sa frénésie de créer qui manifeste plus largement cette urgence, ce besoin de vivre. Dès que la vie place des obstacles sur son chemin, c’est par la création qu’elle se relève, qu’elle s’en sort. Cette vitalité, cette urgence se ressent notamment grâce au montage cut très rythmé choisi par la réalisatrice. On ressent l’oppression mais en même temps la rage de vivre, de survivre, de résister.
L’ambiance musicale contribue à ce sentiment avec un mélange de tubes des années 90, une musique originale composée par Rob et des chansons algériennes plus traditionnelles. Tout le film est une subtile association de tradition et de modernité que la fin du film représente parfaitement : trois générations sous le même toit. La mère de Nedjma qui a connu l’Algérie française, Nedjma et Samira, jeunes femmes qui se battent pendant cette décennie noire, et l’enfant à venir de Samira, qui représente les jeunes filles qui manifestent aujourd’hui dans les rues d’Alger pour plus de libertés. Trois générations qui se battent encore aujourd’hui pour mettre fin à ce système patriarcal qui nous oppresse toutes.
Polémiquons.
1. Papicha, 13 mars 2020, 12:12, par philippe
En regardant Papicha j’ai pensé à un autre film franco-tunisien - "A peine j’ouvre les yeux" de Leyla Bouzid diffusé en 2015 - qui narre l’histoire d’une jeune femme, bonne élève, chanteuse dans un groupe de musique ayant un succès subversif auprès de la jeunesse et en bute au conservatisme de la société qui tente de la faire taire définitivement.
Dans ces deux films, une jeune héroïne, exprimant sa pulsion de vie à travers son expression artistique, tente de résister à la réaction politique et/ou religieuse et/ou patriarcale à l’encontre de toutes évolutions "démocratiques" ou "libérales".
A partir de ce "regard/vécu" de jeunes femmes sont mis en exergue les mécanismes d’oppression/répression à l’œuvre.
Films qui nous permettent de faire un pas de côté pour ausculter notre propre société au sein de laquelle certaines ou certains ne s’interrogent pas sur les influences étrangères politiques et religieuses au prétexte de liberté individuelle et autres arguments (néo)libéraux.
Ces jeunes héroïnes nous interpellent et nous demandent de ne pas être naïfs.