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On aura reconnu dans le titre du dernier film de Diane Kurys, Moi qui t’aimais, les paroles issues de la chanson de Jacques Prévert et Joseph Kosma, "Les Feuilles mortes" fredonnée par le jeune Yves Montand dans le film de Marcel Carné Les Portes de la nuit (1946) et devenue par la suite un tube planétaire. Dans la chanson, les trois mots font pendant à trois autres, "toi qui m’aimais" et la citation tronquée signale habilement le propos du film, à savoir le déséquilibre au sein du couple. Simone Signoret (Marina Foïs) voue un culte exclusif à son mari Yves Montand (Roschdy Zem), tandis que lui partage son affection entre elle et une ribambelle de maîtresses, souvent choisies parmi ses partenaires à l’écran : « un film, une blonde » ironise Signoret.
Le film débute peu après un grand moment de la carrière de cette dernière, à savoir son Oscar de la meilleure actrice pour le film britannique Room at the Top (Les Chemins de la haute ville) qui lui est remis en avril 1960 à Hollywood – la première fois qu’une Française décroche ce prix. Ce triomphe professionnel est cependant vite éclipsé par un traumatisme personnel : Montand a une liaison fortement médiatisée avec « la » blonde de l’époque, Marilyn Monroe, sa partenaire dans la comédie musicale de George Cukor Let’s Make Love. Dès lors, Moi qui t’aimais s’attache à nous montrer l’humiliation de Signoret en raison des infidélités à répétitions de Montand, sa solitude grandissante malgré le soutien de sa fille Catherine Allégret (Raphaëlle Rousseau) et d’amis tels que Serge Reggiani (Thierry de Peretti) et François Périer (Vincent Colombe) ainsi que son penchant pour l’alcool qui ne fait que s’aggraver. Si ces faits sont avérés, leur présentation reste frustrante. Moi qui t’aimais multiplie de manière assez lassante les querelles du couple, sujet de prédilection de la réalisatrice Diane Kurys, qu’elle a exploré souvent à travers un prisme autobiographique (le couple de ses parents) dans des films comme Coup de foudre (1983) et La Baule-les-pins (1990). Elle s’est aussi penchée à plusieurs reprises sur des personnages de femme, comme dans les biopics Les Enfants du siècle (1999) sur George Sand et Sagan (2008). Son intérêt pour les personnages féminins fait que Moi qui t’aimais est plus centré sur Signoret que sur Montand. Il est donc d’autant plus décevant que Kurys ne cherche pas à approfondir la contradiction majeure au cœur du personnage, à savoir comment une femme aussi forte, intelligente et talentueuse, qui refuse de se poser en victime, accepte de subir de tels affronts et même, littéralement si on en croit le film, se traîner aux pieds de son mari volage.
La réponse bien entendu est dans le titre. Mais « l’amour » a bon dos et les choix opérés par le récit et les images finalement font de Signoret une victime. Phénomène courant dans les biopics féminins, Moi qui t’aimais insiste lourdement sur les échecs et les tragédies de sa protagoniste plutôt que sur les moments où elle triomphe, occultant ainsi la femme de pouvoir au profit du personnage de mélodrame . Comme le film commence après l’Oscar, nous n’assistons pas à ce moment exceptionnel ni aux grands succès de la star plus jeune dans les années 1950, comme Dédée d’Anvers (1948), Manèges (1949), Les Diaboliques (1955) ou Casque d’or (1952). L’impasse est également faite sur ses engagements politiques (avec Montand) liés au parti communiste et qui en avaient fait une des femmes les plus en vue des années 1950. Marginalisée sur les écrans dans les années 1960 en raison de son âge et de la perte de son physique juvénile, Signoret connait un certain renouveau au cinéma quand elle reçoit le César de la meilleure actrice pour Madame Rosa en 1977. Mais là aussi, plutôt que son succès parmi ses pairs, le film choisit de montrer la réaction mesquine de Montand resté devant sa télévision, persuadé qu’elle n’avait aucune chance (il lui avait déconseillé le film). Quant au passage de Signoret à l’écriture de ses mémoires, il est vu comme un pis-aller et la sortie de La nostalgie n’est plus ce qu’elle était (qui aura un énorme succès) est marquée uniquement par une dispute entre Signoret et sa fille, cette dernière étant présentée comme une ratée aigrie. S’il est vrai que Montand ne sort pas grandi de sa représentation dans ce film qui montre bien son machisme et sa jalousie vis-à-vis d’une épouse dont il préfère qu’elle ne lui fasse pas d’ombre, les spectateurices, surtout les plus jeunes, auront du mal à saisir l’intérêt d’un couple qualifié de « mythique » par la publicité du film.
Le début de Moi qui t’aimais pourrait suggérer un film moderne au second degré : nous voyons Marina Foïs et Roschdy Zem au maquillage, « devenir » petit à petit Signoret et Montand : fond de teint, perruque…. Ce préambule cependant est suivi d’une mise en scène extrêmement classique et qui donc met d’autant plus la pression sur les acteurs pour soutenir l’intérêt du public. Avant de voir le film, à en juger par la bande-annonce, je trouvais que Roschdy Zem avait plutôt la bonne carrure mais que Marina Foïs ne « faisait pas le poids », ne serait-ce que par sa minceur. J’avoue avoir changé complètement d’avis. Excellent dans des films comme Roubaix, une lumière (2019) et L’Innocent (2022) ou la mini-série Les Sauvages (2019), Roschdy Zem n’est jamais convaincant en Montand. En revanche, Marina Foïs accomplit une performance remarquable qui, malgré la distance évidente entre son physique et celui de la véritable Signoret, réussit à entrer dans le personnage. Si cela ne suffit pas à sauver le film, elle reste malgré tout une raison pour le voir.



















Polémiquons.
1. Moi qui t’aimais, 25 octobre, 17:15, par viviane candas
Marina Foïs avait déjà réussi à incarner Simone Veil durant les moments qui précédèrent son discours de 1974 à l’assemblée nationale pour défendre le loi sur l’avortement (un remarquable court-métrage intitulé "Les hommes s’en souviendront"). Sa performance en Signoret ne m’étonne pas mais ce que vous dites du film et que dénote déjà la bande annonce ne me donne pas envie de le voir. Montand était un coureur, et alors ? Kurys fait du cinéma pour midinettes, le problème est là.