pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Séries > Le Prix de la paix / Frieden

Petra Biondina Volpe

Le Prix de la paix / Frieden


>> Geneviève Sellier / dimanche 4 avril 2021

Les compromissions de la Suisse en 1945



Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans une petite ville de Suisse germanophone, Egon Leutenegger a intégré le bureau chargé par le ministère public suisse d’extrader, à la demande des Américains, les nazis en fuite. Johann, son frère cadet, s’apprête, lui, à épouser Klara, la fille d’Alfred Tobler, un industriel du textile dont il est devenu le bras droit. Désireuse de s’engager auprès des réfugiés, Klara a rejoint, malgré les objections de sa mère, l’équipe d’un foyer de la Croix-Rouge qui accueille de jeunes Juifs polonais rapatriés du camp de Buchenwald.

Selon Jean-Claude Favez, historien à l’université de Genève, ce n’est qu’en 1995 que « le président de la Confédération, Kaspar Villiger, a présenté ses excuses au peuple juif pour avoir demandé au IIIe Reich d’estampiller d’un tampon « J » le passeport des israélites allemands et autrichiens, afin que les douaniers suisses puissent les reconnaître et le plus souvent, les refouler. (…) Ce ne sont pas 10 000 juifs que la Suisse a refoulé vers les forces de l’Axe pendant la guerre, c’est beaucoup plus, peut-être le double, mais nous n’aurons jamais de chiffres précis. Depuis 1995, les autorités ont ouvert les archives fédérales, pour que la lumière puisse être faite. Durant la guerre, l’essentiel du commerce de produits stratégiques s’est fait vers l’Allemagne nazie. » C’est sur cette histoire pour le moins embarrassante que revient cette mini-série suisse.

L’intrigue du Prix de la paix se développe autour des contradictions familiales et politiques liées au rôle ambigu de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, pays officiellement neutre qui pratiqua une politique d’accueil très restrictive des persécutés (en particulier les juifs) et permit à certains responsables nazis d’organiser leur fuite, grâce au secret bancaire et aux complicités des notables, en particulier dans la partie germanophone du pays. Ces contradictions s’incarnent dans l’affrontement des deux frères, Egon, le fonctionnaire qui se heurte à la mauvaise volonté de ses supérieurs dans sa chasse aux nazis, et Johann, le gendre de l’industriel du textile, qui après bien des hésitations, décide de fermer les yeux sur l’origine suspecte des capitaux qui vont renflouer l’entreprise familiale.

Enfin Klara, la jeune épouse, figure d’ingénue un peu convenue, se conforme aux normes sociales en faisant du bénévolat dans une institution de la Croix Rouge, et va se trouver confrontée à la xénophobie et à l’antisémitisme toujours aussi virulent après-guerre.

La qualité de cette mini-série tient d’abord à la précision du contexte social et politique qu’elle reconstruit. Contrairement aux pays voisins, la Suisse a échappé aux combats, ce qui fait en 1945 de ce pays rural un havre de paix pour les rescapés, réfugiés et autres survivants du massacre. Le mariage de Johann et Klara est célébré sur un mode traditionnel et pittoresque, dans la chaleur verdoyante de l’été, jusqu’au premier grain de sable que constitue l’attaque dont est victime le père de la mariée, qui met fin aux festivités.

A partir de là, les grincements vont se multiplier pour hypothéquer la belle harmonie familiale et la prospérité de l’entreprise textile. La mère de Klara était, elle aussi, l’héritière de l’entreprise familiale, mais son genre l’a exclue contre son gré de la direction des affaires, qui est revenue à son mari. Elle marque son autonomie par sa sympathie pour l’Allemagne nazie et la fréquentation des réfugiés nazis qui cachent avec la complicité de son frère avocat, l’origine suspecte de leur fortune.

Parallèlement, Egon, le frère aîné, dont le comportement tourmenté est d’abord incompréhensible, se révèle avoir appliqué scrupuleusement en tant que fonctionnaire aux frontières, pendant les cinq ans de guerre, la politique de refoulement des réfugiés, en dépit des dangers qu’ils couraient. Il tente de se racheter en mettant toute son énergie au service de la chasse aux nazis, jusqu’à en indisposer sa hiérarchie qui finit par le licencier. Les deux frères finissent par s’affronter autour de cet enjeu central de l’après-guerre en Suisse : faut-il débusquer les anciens nazis ou utiliser leurs ressources financières et technologiques pour assurer la prospérité de la Suisse ? On se doute qu’il n’y aura pas de happy-end rassurant…

La qualité du Prix de la paix tient aussi à la performance des acteurs, dont la crédibilité est pour nous d’autant plus grande qu’on ne les connaît pas ! Pourtant, comme dans la série française Un village français, qui racontait l’occupation allemande vue d’en bas, on peut regretter que les personnages féminins soient moins fouillés et moins crédibles que les personnages masculins : la jeune Klara nous est présentée comme une jeune mariée ingénue mais n’hésite pas à coucher avec un jeune réfugié de Buchenwald à la première sollicitation…

Puis elle revient dans le giron conjugal avant de le quitter définitivement quand Egon met au jour la collusion de son mari avec les nazis. Les scénaristes ne se sont guère préoccupés de donner une cohérence à son personnage, et encore moins à celui de la mère de Klara, qui est la méchante de l’histoire : on la découvre chantant dans le salon de l’hôtel de luxe où sont réfugiés les anciens nazis puis manifestant bruyamment sa compassion pour eux, en particulier en accueillant la famille de l’ingénieur chimiste qui va mettre ses compétences au profit de l’entreprise familiale. Enfin on la retrouve encourageant sa fille à s’émanciper des chaînes conjugales, comme elle n’a pas osé le faire dans sa jeunesse… ce qui est totalement contradictoire avec son comportement précédent. Et « cerise sur le gâteau », une figure de jeune femme américaine très « butch » vient corser la chasse aux nazis qu’entreprend Egon, sans qu’on comprenne à aucun moment ce choix de représentation.

Seuls les personnages masculins ont droit à la fois à la complexité et à la cohérence. C’est d’autant plus triste que la mini-série est écrite par une femme, Petra Volpe...


générique


Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.