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Michel Leclerc / 2025

Le Mélange des genres


par Ginette Vincendeau / mercredi 7 mai 2025

Féminisme fantasmé, dénis de réalité...

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Ayant vu la bande-annonce du Mélange des genres je m’attendais à un film la fois misogyne, et maladroit, ce que confirme la première scène. Par la suite, les choses s’arrangent un peu : on est dans une comédie bien rythmée et bien interprétée mais qui n’en est pas moins typique du malaise que provoquent le féminisme et le mouvement #MeToo en France.

Le film commence par nous montrer un groupe de féministes caricaturales au possible, Les Hardies, pour ne pas dire ‘harpies’, menées par Marianne (Judith Chemla), fanatiquement hostile aux hommes et entourée d’un petit groupe de femmes – lesbiennes et hétérosexuelles – qui lui sont totalement dévouées. Le groupe se livre à des actions « militantes » dérisoires et systématiquement ratées, surtout du fait de Sofia (Mehla Bedia), la gaffeuse et « bras cassé » du groupe. Au sein des Hardies également, une policière infiltrée, Simone (Léa Drucker), qui mène l’enquête pour savoir si le groupe est complice d’un meurtre commis par une femme qui, au bout du rouleau, a tué son mari violeur et alcoolique. Tout ceci dans le but de la discréditer en prouvant que le crime était « prémédité ». Lorsque Les Hardies découvrent qu’il y a une taupe parmi elles et soupçonnent Simone en la voyant sortir du commissariat, celle-ci prétend y avoir déposé plainte pour viol. Elle choisit comme « violeur », au hasard, Paul (Benjamin Lavernhe) qui se trouve être un homme au foyer exemplaire qui reste volontiers dans l’ombre de son épouse Charlotte (Julia Piaton), grande vedette de théâtre, alors que lui ne fait que des petits boulots publicitaires. Pointé du doigt quand l’accusation devient publique, il perd le peu de travail qu’il avait. Il est alors brièvement pris sous l’aile d’un groupe masculiniste qui milite pour les droits des « papas », mais les rejette immédiatement car, dit-il, il préfère « perdre avec les femmes que gagner avec eux ». Naturellement, comme nous sommes dans une comédie, l’imbroglio de la fausse accusation et de la « taupe » sera éclairci et dans une fin consensuelle tout finira « bien ».

De même, conformément aux ressorts classiques de la comédie, Le Mélange des genres fonctionne sur une série d’inversions des valeurs « normalement » en cours dans la société. Dans ce film, l’homme est doux, la femme est dure. L’homme au foyer n’est nullement malheureux du fait que sa carrière est au point mort et que sa femme est une star ; au contraire, il adore faire les courses et aller chercher les enfants à l’école. Simone ne voit aucune circonstance atténuante au meurtre commis par une femme victime de violences conjugales à répétition, contrairement au jeune policier d’origine maghrébine Youssef (Mohammed Louridi) qui fait plusieurs fois la leçon à ses collègues, y compris Simone. Cette femme, policière assermentée qui accuse l’homme d’un viol, ment : le violeur présumé est innocent – cette dernière inversion étant bien entendu loin d’être, justement, « innocente ».

Lors de sa sortie, l’équipe du film a joué habilement de ces choix présentés comme « risqués », thème repris par de nombreux critiques. Dans une interview, à la question : « Avec un tel sujet, aviez-vous conscience de manipuler une véritable bombe ? », Michel Leclerc répond : « Oui, on peut dire que j’étais un peu terrifié en l’écrivant. Mais à partir du moment où les comédiens vous suivent, la peur disparaît. » Manière de désamorcer d’emblée toute critique féministe qui du coup tomberait dans le biais du « wokisme » (j’écris ces lignes quelques jours après la parution d’un livre collectif aux P.U.F., intitulé Face à l’obscurantisme woke). Le réalisateur poursuit en disant : « La fiction est là pour exorciser les peurs, depuis la nuit des temps. Le féminisme, #MeToo, les violences faites aux femmes… ». Autre inversion intéressante, le féminisme et #MeToo seraient aussi « dangereux » que les violences faites aux femmes ! On peut donc s’interroger sur la présence de Judith Chemla en tant que cheffe des Hardies, actrice qui a subi de semblables violences dans la vie et a publié un livreautobiographique sur le sujet. L’actrice revendique le rôle fédérateur de la comédie : « En tout cas, je pense qu’il est plus facile d’évoquer un sujet aussi lourd par le rire. Le film est tendre tout en mettant les choses sur la table », poursuivant : « Le personnage de Léa [Drucker], celle qui porte l’accusation, est misogyne. Il faut le savoir : dans notre société, il y a des femmes qui le sont. Et il y a des hommes féministes. » Certes, mais très minoritaires, et pourtant c’est ce que le film choisit de nous montrer.

Afin de ne pas être accusé de misogynie, le film pratique ce que Roland Barthes appelait dans son livre Mythologies « l’inoculation », c’est-à-dire qu’il admet des dysfonctions sur un mode mineur pour nier les problèmes plus graves. Un exemple : Simone à un moment dit à ses collègues : « On accuse toujours les femmes agressées de mentir et moi qu’est-ce que je fais ? Je mens » – cependant elle n’en profite pas pour dire la vérité ; au contraire, le film choisit de bâtir le récit sur ce mensonge et de ne révéler la vérité qu’à la fin. Autre exemple, Jean-Jacques (Vincent Elbaz), le mari de Simone, est présenté comme un macho traditionnel et, en tant que policier, une vidéo révèle qu’il n’avait pas enregistré la plainte de la femme victime de violences conjugales car il ne la prenait pas au sérieux. Cependant il s’agit là de deux scènes très brèves et qui n’auront aucun impact sur le reste du récit (Elbaz disparaît dans la dernière partie du film). Enfin, en s’assurant que les masculinistes restent très marginaux (on les voit à peine et ils reviennent à la fin, littéralement dans le noir), on rit finalement beaucoup moins d’eux que des féministes. On pourra objecter que l’acteur le plus connu du film, Benjamin Lavernhe, incarne le rôle de l’homme doux et donc lui insuffle une certaine crédibilité ; c’est vrai, mais d’une part un des gags récurrents le montre qualifiant sa masculinité de « déconstruite » que, par une série de lapsus, il nomme « démolie » ou « déconfite ». Et que comprendre lorsqu’une scène récurrente le montre aller dire bonsoir à ses enfants au lit, et que ceux-ci l’ignorent ou se détournent de lui lorsqu’il annonce « c’est papa » ? Que même en homme au foyer il est, comme le disent les policiers, un « raté » ? Plutôt que le mélange des genres, on assiste donc à une confusion des valeurs.

La fin du film se déroule sur un tout autre registre, malheureusement assez grotesque. D’un féminisme fantasmé mais filmé de manière plus ou moins réaliste, on passe à un mode totalement irréel et « gnangnan », annoncé par de courtes scènes qui montrent Vincent Delerm au piano (j’avoue être assez imperméable à ce chanteur qui a signé la bande-son du film). Dans une statue de vagin géant érigée par les Hardies pour les masculinistes (référence peu subtile à l’ignoble Calmos de Bertrand Blier, réalisé en 1976), Simone et Paul se retrouvent pour faire l’amour, à la suite de quoi tout va bien, dans un déni total de la réalité. Dommage que d’excellent·es acteurs et actrices comme Léa Drucker, Judith Chemla, Julia Piaton, Benjamin Lavernhe et Vincent Elbaz soient mis au service d’un tel programme. Grâce à eux le film est regardable (si on excepte la fin) et on sourit même de temps en temps.


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