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Nicolas Bedos / 2019

La Belle époque


>> Ginette Vincendeau / dimanche 17 novembre 2019


Victor (Daniel Auteuil), caricaturiste plus ou moins au chômage, et Marianne (Fanny Ardant), psychanalyste, sont mariés depuis 40 ans et leur couple bat de l’aile. Victor est un technophobe déprimé qui rejette la modernité tandis que Marianne en est friande, tout comme leur fils Maxime (Michaël Cohen). Un ami de Maxime, Antoine (Guillaume Canet), organise des soirées très chères offrant aux hôtes la possibilité de se replonger dans la période de leur choix, à travers des reconstitutions théâtrales hyperréalistes. Maxime, qui veut aider son père, lui envoie une invitation. Victor opte pour le jour et l’endroit où il a rencontré Marianne, le 16 mai 1974 au café « La Belle Époque ». La soirée enchante Victor, qui en redemande, bien que les choses déraillent quand il tombe amoureux de Margot (Doria Tillier), l’actrice qui incarne la jeune Marianne et qui se trouve être l’ex-compagne d’Antoine.

Le second long métrage de Nicolas Bedos navigue de façon ludique entre périodes historiques et niveaux de fiction, en alternant nostalgie et cynisme. Comme dans un vaudeville de la véritable « Belle époque », les couples se chamaillent, les portes claquent et l’adultère prend une allure de farce. Exaspérée par son mari apathique, Marianne l’éjecte de leur appartement et se met en ménage avec son amant, François (Denis Podalydès), qui n’est autre que le meilleur ami de Victor. De leur côté, Antoine et Margot se disputent constamment, se quittent, se réconcilient et ainsi de suite. La première partie du film, qui se déroule à un rythme effréné, est cocasse. On s’amuse au contraste entre notre époque de froide réalité virtuelle, obsédée par l’électronique, et le bon vieux temps des pantalons évasés, des apéritifs et plats vintage (Suze, blanquette de veau) et de la tabagie omniprésente. Malheureusement, après la rencontre entre Victor et la fausse jeune Marianne, l’alternance entre passé et présent, et entre « réalité » et fiction devient lassante.

On s’ennuie aussi parce que le dénouement est extrêmement prévisible. Dès le début du film, quand Marianne, Maxime et leurs amis traitent Victor de ringard parce qu’il s’embrouille dans les plateformes internet et rejette la voix du GPS et autres gadgets, on nous les présente comme snobs et superficiels, et il est clair que le film va valider les opinions de Victor. Le « vrai » présent est montré comme infiniment moins excitant et authentique que le passé reconstitué théâtralement, alors même que l’on voit les manipulations d’Antoine et de son équipe pour le recréer, à la manière du Truman Show (toutes proportions gardées). Tout aussi prévisible est l’aspect genré des trajectoires du couple Victor-Marianne. Celle-ci tombe vite de son piédestal de mondaine branchée : sa liaison avec le lamentable François tourne court et elle finit par reconnaître, les yeux embués, qu’elle a commis une terrible erreur en mettant Victor à la porte. En revanche, la dépression de celui-ci s’évapore dès qu’il rencontre la belle Margot. Sa créativité en panne (plus personne ne voulait de ses dessins) se réveille miraculeusement au spectacle des longues jambes de la jeune femme dansant en mini robe orange à moitié transparente. Et tandis que la pratique psychanalytique en ligne de Marianne est marginalisée dans le récit et tournée en ridicule, les nouveaux dessins de Victor sont magnifiques et lui assurent la reconnaissance des jeunes via un nouveau travail dans l’entreprise de son fils. L’indulgence du film envers Victor vient en partie de la biographie du réalisateur : Nicolas Bedos a avoué avec ce film vouloir rendre hommage à son père Guy Bedos (un personnage secondaire interprété par Pierre Arditi qui joue en boucle une rencontre émue avec son père enfonce le clou).

Par ailleurs, Nicolas Bedos a pris dans le passé des positions notoirement antiféministes. Même s’il s’en est officiellement désolidarisé, on se souvient qu’il signa le « manifeste des 343 salauds » en 2013, avec son tristement célèbre « touche pas à ma pute ». S’il ne joue pas dans La Belle époque, contrairement à son premier long métrage Monsieur et Madame Alderman (2017), les allusions complaisantes ne manquent pas. À un moment donné, un personnage compare Antoine – alter-ego évident du réalisateur – à Dieu (en plaisantant bien sûr…). Et durant les longs plans où l’on voit Margot danser, Antoine fait dire à un de ses collègues combien elle est belle ; la référence est d’autant plus claire que l’on sait que Doria Tillier était jusqu’à très récemment la partenaire de Bedos dans la vie (elle tenait le rôle féminin principal, à ses côtés, dans Monsieur et Madame Alderman). La Belle époque se veut un film cool et intelligent, et il en a l’air, du moins dans la première moitié. Fanny Ardant et Daniel Auteuil font merveille, comme on pouvait s’y attendre, et ils sont bien entourés par une excellente distribution. Mais sous le jeu postmoderne entre réalité et mascarade se cache (à peine) une misogynie sans surprise.


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