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Ida Lupino / 1950

Rétrospective Ida Lupino


>> Véronique Le Bris / mercredi 7 octobre 2020

La seule réalisatrice à Hollywood dans les années 50


Cinq des huit films qu’Ida Lupino a réalisés ressortent en salle. Si son travail mérite une mise en lumière plus constante que celle, très irrégulière, dont elle a bénéficié jusqu’à maintenant, peut-on dire que la seule réalisatrice du Hollywood des années 1950 est féministe ?

Comédienne anglaise vite repérée par Hollywood, Ida Lupino n’est pas LA vedette du studio Warner avec lequel elle est sous contrat. Elle se surnomme elle-même la « Bette Davis du pauvre », celle à qui on confie les rôles principaux que les super stars ont dédaignés. Elle brille pourtant aux côtés d’Humphrey Bogart dans La Grande Evasion de Raoul Walsh (High Sierra, 1941) – son nom figure même au-dessus de celui de la vedette masculine sur l’affiche. Ce qui lui vaut une notoriété certaine et ses talents de comédienne sont constamment salués.

Son statut de chalengeuse ne l’empêche ni de contester les règles du studio, ni de choisir ses rôles. Cette réputation d’actrice à « forte personnalité » va lui ouvrir une autre voie : celle de la réalisation.

Indocile donc, elle profite des moments où le studio la tient à l’écart pour observer les réalisateurs travailler. Elle écrit des scénarios et fonde avec son mari Collier Young une société de production, The Filmmakers, dont la vocation est de traiter de sujets sociaux peu abordés par les grands studios. Elle suit en cela les conseils de Roberto Rossellini qu’elle avait entendu s’offusquer que « les Américains ne fassent jamais de films ordinaires sur des personnages ordinaires ».

En 1949, Ida Lupino remplace au pied levé Elmer Clifton (encore aujourd’hui seul crédité au générique) pour réaliser Avant de t’aimer (Not wanted), l’histoire d’une jeune femme contrainte de se cacher parce qu’elle est enceinte puis d’abandonner son enfant, né d’une union éphémère. Elle en a écrit le scénario, The Filmmakers l’a produit.

La plupart des films qu’elle réalisera ensuite seule mais qu’elle co-écrit souvent avec Collier Young, sont dans une veine proche. Faire Face (Never Fear, 1950) s’intéresse au destin contrarié d’une danseuse atteinte de la polio au moment même où l’amour et la réussite professionnelle lui souriaient. Outrage (1950) traite de la longue reconstruction d’une jeune femme après un viol ; Jeu, set et match (Hard, Fast and Beautiful, 1951) raconte les démêlés d’une championne de tennis avec une mère ambitieuse. Bigamie (The Bigamist, 1953), qui solde l’aventure de The Filmmakers et son mariage avec Collier Young, relate la manière dont un homme glisse puis s’installe dans une double vie. Notons qu’Ida Lupino n’a participé à l’écriture d’aucun de ces deux derniers films.

Elle a en revanche signé le scénario et la réalisation du Voyage de la peur (The Hitch-Hiker, 1953). Tourné juste avant Bigamie, cette adaptation d’un fait divers sordide – l’histoire d’un auto-stoppeur criminel – rompt avec ses autres films en racontant la fuite éperdue de trois hommes, un serial killer et ses deux otages masculins. Le Voyage de la peur reste le seul film noir réalisé par une femme.

Mais, être cette incontestable pionnière à la sensibilité sociale affirmée suffit-il à faire d’Ida Lupino une réalisatrice féministe ? Le fait qu’elle ait été l’unique femme cinéaste à Hollywood durant la décennie 1945-1955 ainsi que les histoires qu’elle choisit de mettre en scène (excepté celle de son film noir) suffisent à le prouver. Aucun réalisateur ne s’est intéressé comme elle aux séquelles d’un viol, d’une grossesse non désirée, d’un renoncement lié à la maladie… ni même aux conséquences de la bigamie d’un homme sur les deux femmes qu’il a épousées.

Pourtant, les chutes de ses films sont souvent ambigües. Dans Outrage, la victime d’un viol, traité dans le film comme un traumatisme, est sauvée par une sorte de gourou religieux. Dans Bigamie, le procès final se conclut dans une sorte de pirouette qui condamne le second mariage dans lequel s’est engagé l’accusé. Sans l’officialisation de cette union, sa double vie n’aurait choqué personne, lui dit le juge en insistant sur le fait que la justice des hommes n’est rien face au jugement et au désamour des deux femmes qu’il a aimées.

Il reste que, déployant finesse et délicatesse, Ida Lupino ne juge jamais ses personnages, ni leur comportement. Elle est bien plus intéressée par la manière dont ils réagissent à une épreuve en tant qu’individu qu’à ce que la société patriarcale et puritaine attend d’eux, qu’ils soient une femme ou un homme. Ce qui fait d’elle une cinéaste d’autant plus féministe qu’elle est humaniste.

Polémiquons.

  • Bonjour, je ne comprend pas bien ce que vous voulez dire par la dernière phrase de l’article.
    Mais le féminisme c’est de l’humanisme.

  • Bonjour,

    Oui, le féminisme est humaniste quand l’humanisme a parfois oublié d’être vraiment féministe ! Ce que je veux dire, c’est qu’Ida Lupino est féministe sans le revendiquer. Elle l’est par son action, par sa prise de parole, par les sujets qu’elle traite, mais on sent à travers ses films que ce qui lui importe est surtout de traiter hommes et femmes à égalité de regard (ce qui est extraordinaire et féministe bien sûr). Sa mise en scène est englobante de toute l’humanité au delà de la revendication et de la défense des droits des femmes. Est-ce plus clair ?

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