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Série bosnienne réalisée par Nermin Halzagić, diffusée en 6 épisodes sur Arte
Scénaristes :Damir Ibrahimović et Elma Tataragić
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En six épisodes, on aura aperçu Sarajevo et pris la mesure des problématiques de ce petit pays (un peu plus de 3 millions d’habitants) candidat à l’Union européenne. Pays fédéral né en 1995, d’une impressionnante complexité, il se remet à peine de la guerre qui a éclaté en 1992 [1], tâchant de faire coexister ses nationalités – Bosniaques,Serbes, Croates [2], ses langues et ses religions – musulmans, catholiques, orthodoxes. Cette série bosnienne classée selon les médias dans divers genres – drame, policier, judiciaire – éveillait la curiosité. Elle privilégie le personnage de Nevena,fil conducteur du récit : Nevena (Jasna Djuricić), procureure, enquêtrice, mère de famille, ménagère : « Je vis sans m’encombrer d’un homme ».
À Sarajevo aussi, des adolescents se suicident, victimes de harcèlement scolaire ou sexuel, soumis à l’omerta familiale et institutionnelle - omerta que tente de briser Nevena. Elle est flanquée d’un fils lycéen, Dino (Lazar Dragojević), dont les résultats en rap surpassent les résultats scolaires ; elle est en instance de divorce avec Haris (Hermin Bravo), personnage« baba-cool » et falot ; elle travaille avec Dzandzo (Mirvad Kurić), policier débonnaire et déprimé (« après quatre ans de cette foutue guerre, t’as forcément un grain »), et un stagiaire arrivé là par piston, Kemal (Kemal Rizvanović).
L’enquête, qui progresse au fil de la lecture des vidéos de surveillance, désigne Dino comme étant le harceleur, voire le violeur de l’un des gamins suicidés, ce qui vaut à Nevena d’être publiquement discréditée. Le nom du « coupable » s’affiche en grand au fronton d’un cinéma, la télévision s’empare du sujet. Nevena est reconnue partout, ses collègues la fuient, une manifestation de rue proclame : « personne n’est intouchable ». Elle est elle-même accusée de harcèlement par les parents du petit garçon victime. L’affaire prend une ampleur politique : les institutions judiciaires sont accusées d’incompétence et de corruption. Dino se défend contre l’accusation, soutenu par son père avec qui il part vivre. Entre interrogatoires de police et fêtes bruyantes et alcoolisées, il continue avec succès de produire ses chansons quelque peu nihilistes, entouré de sa bande de copains déjantés.
Nevena ne veut pas croire Dino coupable, mais sa confiance chancelle, même quand il s’avère que l’un des témoignages ne tient pas. La puissance de la rumeur est énorme. Dino a rompu avec sa mère. Ils se retrouveront plus tard. Nevena revendique d’être « à la fois mère et père » de ce fils avec qui les conflits sont nombreux, et c’est dans un fragile réseau de femmes qu’elle peut exprimer ses doutes, ses craintes et ses certitudes.
Trouver un autre coupable
Sur ces entrefaites, le corps d’une jeune fille, Džemila, est découvert dans une forêt, heurtée par une voiture, accident auquel elle ne survivra pas. C’est à Nevena qu’est confiée l’enquête. Une autre affaire commence donc, mettant en cause d’abord un chauffeur routier. Innocent, il sera rapidement libéré. Que faisait la jeune fille dans la forêt ? Les parents accusent Nevena et toute la justice de maltraiter « les pauvres gens ». Il s’avère que Džemila et sa copine participaient, en escortgirls, à une fête d’anniversaire dans une boîte de jeux. L’homme fêté ? Arman Sarkić (Boris Ler), fournisseur de toute l’informatique du palais de justice et fils d’un homme d’affaires de premier plan. Interrogé, il n’a rien à dire, oui, il a un peu flirté. Mais une analyse ADN confirme qu’il a agressé Džemila. C’est « l’affaire Sarkić »… Sarkić sera assassiné par le père de Džemila. S’ensuivent des procès, auxquels assiste Nevena.
Au sixième épisode
Au sixième épisode, tandis que Dino s’engage à retourner au lycée et chez sa mère, que Nevena mène des travaux de rénovation dans son appartement et que Haris tente de s’incruster, on fatigue un peu. L’affaire Sarkić est bientôt relayée par un autre crime : un cadavre est retrouvé sur le chantier d’une résidence de luxe (« Sarajevo, Dubaï européen », dit le panneau publicitaire). Nevena annonce le décès à la famille musulmane [3] éplorée et mène l’enquête. Il s’agit d’un entrepreneur du BTP tué par balle, mêlé à des histoires louches mettant en cause la municipalité de Sarajevo et à des trafics de tabac, de voitures, de fruits et légumes avec le Montenegro.
Règlements de compte sur fond de retrouvailles de Nevena avec un ancien copain de lycée – parti aux États-Unis après la guerre, il revient à Sarajevo. En dépit d’un univers singulièrement glauque, Nevena entoure Dino de sa tendresse et semble prête à s’encombrer à nouveau d’un homme. Elle se fait tranchante avec le policier Dzandzo qui la courtise. Côté enquête,elle aura affaire à des garagistes, à des prostituées, à la maîtresse de l’assassiné,à des mafias qui sévissent dans le pays et au-delà.
Trois scénarios ?
La série s’articule donc autour de trois thématiques dont Nevena est le pivot : la relation mère-fils et la vie de famille quand la famille ne fonctionne plus ; la vie secrète, en marge, des jeunes filles qui rêvent d’un avenir meilleur ; le « chaudron » des mafias à très forte et violente domination masculine. Point commun des trois thématiques : le rôle de la famille. Nevena culpabilise, se demandant ce qu’elle a bien fait, mal fait, pas fait, à l’égard de Dino. Toutes les familles découvrent avec stupeur les vérités de la vie de leurs enfants. Quel est degré d’investissement des pères dans l’éducation ? Le statut de leur parole ? Leur « exemplarité » ?
Le tout sur fond d’une société qui se reconstruit malgré la corruption, le népotisme, le délinquance et les traces d’un passé récent de guerre et de génocide, et d’un présent où la déstructuration sociale et la montée des communautarismes menacent une cohésion chancelante dont l’usage extrême des réseaux sociaux n’améliore pas la stabilité.
Sans échapper aux clichés et à la facilité, la série semble vouloir montrer que dans ce contexte une femme réussit à mener de front toutes les tâches qui lui incombent : un travail accaparant, une vie domestique, l’éducation des enfants, les papiers peints du salon et les petits plats, la séduction, la discrétion… Les hommes font pâle figure, entre lâcheté et cruauté, englués dans des passions mauvaises. Souvenirs de la guerre,des guerres, comme le suggère Dzandzo ? Les femmes pourtant y ont largement pris part, en ont douloureusement payé le prix – de leur vie, ou en prenant les armes ou encore en subissant enfermement, tortures et viols. Mais cette réalité reste implicite dans la série, rendant probablement obscur, pour le jeune public d’ici, le propos des divers épisodes, sans doute limpide là-bas pour les Bosniennes et les Bosniens.
Happpy end
Récompensée pour ses enquêtes, Nevena se voit proposer le poste de procureure générale, qu’elle accepte. Elle s’encombre avec bonheur de son ancien copain lycéen, Dino passe brillamment ses examens. Happy End.
On retiendra surtout le personnage de Nevena, incarné avec talent par l’actrice Jasna Djuricić. Mais ces femmes capables d’être, sans s’encombrer d’un homme, performantes dans tous les domaines, que voudraient-elles de plus, puisqu’elles s’en sortent bien ? À quoi bon leur accorder des droits nouveaux, revendiquer l’égalité, combattre le patriarcat ? Une question qui se pose aujourd’hui à travers le succès du Premier ministre de la République serbe (Republika Srpska) de Bosnie.