Chloé Thibaud, Désirer la violence. Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer, éditions Les Insolentes 2024
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La démarche de Chloé Thibaud pour analyser les productions audiovisuelles qui l’ont accompagnée tout au long de son adolescence et de sa jeunesse, m’a fait penser, toutes choses égales par ailleurs, à celle de Linda Williams dans l’ouvrage paru en français sous le titre Screening Sex. Une histoire de la sexualité sur les écrans américains (Éditions Capricci, 2014). Elle assume son statut de spectatrice située en termes de genre et de génération, pour revenir sur les films et les séries (très majoritairement états-unien·nes) qui ont construit son identité de genre et son rapport à la sexualité.
J’ai d’abord été frappée par cette hégémonie culturelle des Etats-Unis qui en dit beaucoup a contrario sur l’incapacité du cinéma français – et des séries tv – à attirer un public jeune, en particulier féminin.
Sa démarche est à la fois personnelle et érudite puisqu’elle a utilisé, à travers la lecture d’ouvrages ou des entretiens, tout ce qui se dit et s’écrit depuis quelques années sur une approche genrée des films et des séries, pour revenir sur les œuvres qui l’ont marquée.
Le diagnostic est inquiétant, comme le titre Désirer la violence le laisse entendre : ce que ces productions culturelles transmettent aux différents publics qui les regardent et les apprécient, c’est l’association systématique entre le désir, le sexe et la violence, en euphémisant ou en esthétisant cette violence, essentiellement dirigée contre les personnages féminins.
Cela va des « baisers volés » aux viols, en passant par l’irrésistible attrait qu’exercent les « bad boys » (Fight Club), la fréquence des gifles, les violences montrées comme drôles (Les Valseuses), la romantisation des violences qu’elles soient psychologiques, physiques ou économiques (Pretty Woman), la fascination pour les serial killers (Le Silence des agneaux, Dexter) les femmes vengeresses à la Kill Bill, l’omerta sur les violences réelles subies par les actrices (Maria Schneider).
Chloé Thibaud prend acte des changements qu’on voit émerger depuis #MeToo et dont on a eu quelques prémisses avec Thelma et Louise par exemple, et analyse quelques films et séries (La Nuit du 12, Sambre) où la violence contre les femmes est enfin montrée pour ce qu’elle ait : une manifestation de la domination masculine qui est loin d’avoir disparu.
On ne saurait trop recommander la lecture de cet ouvrage qui se lit comme un roman, et qui nous force à une prise de conscience salutaire : revenir sur les films et les séries qu’on a aimé·es pour les passer au filtre d’une analyse genrée.