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Film très personnel écrit et réalisé par Stéphane Ly-Cuong, comédien, metteur en scène et scénariste d’origine vietnamienne (il a co-écrit l’adaptation de Hiver à Sokcho), Dans la cuisine des Nguyen est un sympathique ovni dans le paysage du cinéma français, avec un budget très modeste – 2,6 millions €, la moitié du budget moyen d’un film français. Il traite avec humour des multiples discriminations que vit une descendante d’émigrés vietnamiens en France,
Yvonne Nguyen (Clotilde Chevalier) est une actrice-chanteuse-danseuse qui court les castings, le plus souvent en vain car elle ne correspond ni aux normes de genre (elle est « ronde »), ni aux normes de race (elle est d’origine vietnamienne), ni aux normes d’âge (elle a 38 ans) pour décrocher un rôle dans une comédie musicale. Elle quitte l’homme (blanc) avec qui elle vit parce qu’il l’incite à abandonner son rêve, et retourne habiter chez sa mère qui tient un restaurant vietnamien à Torcy (Seine-et-Marne), laquelle aimerait bien que sa fille lui succède et qu’elle se marie avec son cousin médecin. Mais Yvonne tient à son rêve et accepte en attendant de faire la promotion des nems en costume et en chanson dans un supermarché !
Elle est enfin retenue pour concourir sur un « gros projet » de comédie musicale, intitulé « Le Tour du monde de Casanova », où elle jouerait « Fleur de lotus » – ça ne s’invente pas ! Au bout du 4e tour, elles ne sont plus que deux en compétition pour le rôle, et sa rivale, aussi parfaitement francophone qu’elle, prend un accent censé imiter une « asiatique » pour faire plus exotique… et plaire au metteur en scène blanc (incarné avec beaucoup d’humour par Thomas Joly) qui « voit une geisha sur la place Tian’anmen » ! Cette intériorisation des pires clichés orientalistes provoque la prise de conscience d’Yvonne qui renonce à concourir. Cette fin assez pessimiste est contrebalancée par une séquence onirique où Yvonne participe à une comédie musicale qui concrétiserait un métissage heureux entre la tradition de Broadway et les identités minoritaires qui tentent d’exister en France…
Dans la cuisine des Nguyen repose sur les épaules de son interprète principale, Clotilde Chevalier : le film est fait de contrepoints entre une réalité assez déprimante, entre les rebuffades qu’Yvonne subit dans les castings et les remarques désagréables de sa mère, et des séquences oniriques où elle réalise ses rêves de comédie musicale. L’actrice porte avec beaucoup de conviction ce personnage de femme plus tout à fait jeune qui nous communique son plaisir dans des performances collectives chantées et dansées. Elle est entourée d’acteurs et d’actrices aussi peu connues qu’elle, qui illustrent un monde métissé plus réaliste que le monde « blanc de blanc » de trop de films français. Les deux seuls acteurices connu·es tiennent les rôles les plus caricaturaux : Camille Japy en chorégraphe narcissique et Thomas Joly en metteur en scène plein de préjugés, aux antipodes des choix artistiques qu’il a faits pour la cérémonie d’ouverture des JO de 2024.
En revanche, les personnages de ce petit monde en marge respirent l’authenticité, en particulier la mère d’Yvonne et sa sœur dans la cuisine de leur petit restaurant : la mère ne parle que vietnamien à sa fille qui ne parle que français, mais les deux comprennent la langue de l’autre sans la parler ; situation typique de l’émigration, où chaque génération négocie comme elle peut son rapport à la langue du pays d’origine et à celle du pays « d’accueil ».