Série tv France 3, créée par Elsa Marpeau, réalisée par Josée Dayan, avec Corinne Masiero
A défaut de l’introuvable bande-annonce, une sélection des bons mots de Marleau
Ce 8e épisode de la série policière Capitaine Marleau diffusée sur France 3 depuis 2015, a réuni presque sept millions de téléspectateurs, ce qui est très exceptionnel pour la chaîne régionale.
Depuis sa première diffusion, cette série a régulièrement augmenté son audience, ce qui tient sans doute à plusieurs facteurs : le prestige (et les moyens) dont jouit la réalisatrice Josée Dayan, ce qui lui permet de recruter pour chaque épisode un casting différent et toujours prestigieux ; il faut mentionner aussi la localisation régionale différente et toujours pittoresque de chacune des enquêtes du capitaine Marleau, mais surtout la personnalité de l’actrice principale, Corinne Masiero, qui apporte une rafraîchissante note populaire dans le paysage audiovisuel français, plutôt dominé par un habitus (pour parler comme Bourdieu) du côté des classes moyennes supérieures, surtout pour les personnages féminins et les actrices qui les incarnent.
Avec sa silhouette volontairement informe (elle cache son corps dans des vêtements de type « bûcheron » agrémentés de son inséparable chapka), sa démarche énergique, son visage sans maquillage, son accent chti et ses plaisanteries pince sans rire, elle est une héritière de Columbo, sans attache, sans romance, sans âge… La nouveauté, évidemment, c’est qu’il s’agit d’une femme ! Créé par la scénariste et romancière Elsa Marpeau, ce personnage met en œuvre un procédé expérimenté avec succès, tant au cinéma qu’à la télévision, depuis Thelma et Louise (1991) : la féminisation des genres masculins. La figure du policier-enquêteur solitaire, qui ne paye pas de mine, et qui s’introduit dans les milieux les plus divers (de préférence favorisés) pour confondre les criminels grâce à sa seule intelligence, a été inventée Outre-Atlantique et s’est longtemps conjuguée exclusivement au masculin.
En France, la féminisation des séries policières a donné dans les années 1990-2000 Julie Lescaut et Une femme d’honneur, diffusées sur TF1 avec le succès que l’on sait. Mais autant Véronique Jeannot que Corine Touzet respectaient les normes dominantes d’une féminité à la fois séduisante et maternelle : les deux héroïnes étaient des mères de famille divorcées, dont l’activité professionnelle était fortement encadrée par les institutions (la police pour la première, la gendarmerie pour la seconde) auxquelles elles appartenaient.
Depuis, les héroïnes de séries policières françaises se sont multipliées sur les différentes chaînes, publiques et privées, mais elles transgressent rarement l’impératif d’un physique « séduisant ». Citons pour mémoire quelques exceptions relatives : Christine Citti en (léger) surpoids dans Les Enquêtes d’Eloïse Rome (France 2 2001-2005), Dominique Lavanant en bonne sœur d’âge canonique dans Sœur Thérèse.com (TF1 2002-2011).
L’originalité de l’héroïne récurrente de Capitaine Marleau est son identité de classe fortement affirmée du côté des dominées, qui se marque à la fois par son look, par son âge, par son accent (le Nord). Mais tous ces traits qui connotent une position socialement dominée sont associés à une capacité d’agir exceptionnelle : la capitaine Marleau fait ses enquêtes en toute indépendance, sans supérieur hiérarchique, n’obéit qu’à ses intuitions, qui sont toujours bonnes, ne se laisse jamais impressionner par les signes extérieurs de richesse ou de domination sociale. Et l’épisode 8 traite d’un sujet particulièrement sensible, la violence conjugale, avec une actrice elle aussi marquée socialement du côté des dominées : Yolande Moreau.
Le couple Corinne Masiero / Yolande Moreau incarne magnifiquement la transgression des normes de genre et de classe, et l’épisode les construit très explicitement comme des militantes contre les violences faites aux femmes. C’est une combinaison suffisamment rare dans la fiction française pour ne pas rater l’épisode qu’on peut voir en replay jusqu’au 11 octobre. Précipitez-vous !