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Kyan Khojandi / 2025

Bref.2


par Marion Hallet / mercredi 5 mars 2025

La série confond introspection et déconstruction masculine

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C’est LA série francophone du moment, récoltant un incroyable plébiscite critique et public : le retour de bref, sur Disney+ et sous un format nouveau de six épisodes de 40 minutes, 13 ans après la première saison (82 capsules humoristiques de moins de 3 minutes, au montage frénétique, narrées en voix-off par le héros « Je », narcissique et à tendance victimaire) diffusée dans Le Grand Journal sur Canal+. Après sa sortie le week-end de la Saint-Valentin, bref.2 est devenue le meilleur lancement pour une série originale française depuis l’arrivée de Disney+ en France et la série récolte la meilleure note sur le site Allociné. Rien que sur le réseau TikTok, les hashtags #bref et #bref2 reçoivent près de 55000 et 5000 mentions respectivement. Télé Loisirs parle de « génie », Les Inrocks d’une « renaissance », Télérama d’un « retour gagnant » et la RTBF d’un « pari réussi ». Seul Libération brise l’unanimité en parlant d’une série « singulièrement ennuyeuse ».

Bref.2 reprend bon nombre de personnages de la première saison, centrant son intrigue autour de « Je » (Kyan Khojandi, toujours coscénariste et narrateur de la série en voix-off), de ses désillusions amoureuses et déconvenues familiales et professionnelles. Dès le premier épisode, « Je » se fait larguer par « Elle » (Doria Tellier) alors qu’il s’apprête à célébrer son quarantième anniversaire. « Je » est désormais sans meuble, sans job, sans argent, sans « meuf ». Cette rupture est l’occasion de faire le point sur sa vie. Cette seconde saison se veut, entre autres par son format plus long et son montage moins nerveux (bref est connu pour son rythme très rapide), davantage dans l’introspection de son personnage principal. En résumé, il s’agit d’une séance de psy d’un peu plus de 3h30 d’un Parisien blanc hétéro de 40 ans qui erre, entouré quasi exclusivement d’hommes : ses potes (il a une amie : son ex Marla), son père, son frère, son psy, son voisin. Le changement le plus significatif est l’arrivée d’une colocataire, Billie (Laura Felpin). Si « Je » n’était pas d’une telle banalité, on aurait pu accrocher, mais son quotidien, ses problèmes, son évolution en soi-disant « homme nouveau », ne m’ont ni intéressée, ni inspirée la moindre compassion. Je regarde des séries pour tenter de trouver une proposition d’alternative, pas pour m’extasier devant le passage d’un homme du stade « insupportable » à « médiocre ». Pour citer une amie : « Un homme qui découvre l’empathie à 40 ans et des concepts dont les femmes parlaient déjà à l’âge de 17 ans : typique ».

L’accueil élogieux dont bénéficie bref.2 ne me surprend pas, mais continue de me décevoir, spécifiquement du point de vue des représentations de genre et des réactions qui m’ont paru typiquement genrées. Je détecte plusieurs éléments à la fois contextuels et formels qui pourraient expliquer une telle admiration pour cette seconde saison. Selon moi, on mélange plusieurs choses : le message que semble vouloir porter la série et une certaine adoration pour l’équipe créative renforcée par la nostalgie de son public. Le tout fait que l’on a vite fait de crier au génie.

Le contexte de réception d’abord : la série s’adresse en partie à son public d’il y a 13 ans, c’est-à-dire des hommes (majoritairement hétéros) dans la tranche des 25-40 ans qui semblent entretenir un lien nostalgique très fort avec bref qui capturait un regard masculin autocentré, petit bourgeois parisien, paresseux, déprimé, paumé, indécis, mais gentil. J’en veux pour preuve le nombre d’hommes qui ont pris la parole ces deux dernières semaines pour crier au génie des créateurs Khojandi et Bruno Muschio sur les réseaux sociaux, jusque dans mon entourage proche. La présence d’Alexandre Astier qui interprète le psy alcoolique n’est pas anodine à cet égard : Astier est une idole et sa série Kaamelott (2005-2009) est une œuvre déterminante pour cette génération – en interprétant un thérapeute il endosse pleinement sa position de mentor (il apparaissait déjà dans la saison 1, épisode 53 de bref). Bref et Khojandi font office d’héritiers, dans la même lignée qu’Astier et sa troupe à l’humour typiquement français – bien écrit, irrévérencieux, ironique, parodique, imagé et très référencé (bref emprunte le même chemin que Kaamelott qui est passé d’un format très court et humoristique vers des épisodes de plus en plus longs et dramatiques). Cet humour, s’il est souvent auto-dérisoire envers une masculinité incapable, égoïste et lâche, fait aussi preuve de misogynie et de machisme.

Intimement lié à cet humour : la forme. La série joue énormément avec les métaphores et emprunte certains codes de l’esthétique du réalisme magique, créant des moments qui interrompent le récit pour renforcer un propos en l’illustrant façon premier ou second degré : parodies d’une publicité (le malaccompagnax 3000), références à la pop culture et à l’univers du jeu vidéo, des super-héros (la séquence qui présente l’évolution de l’ami Baptiste en « super-papa » : super-papa qui permet d’illustrer une paternité présente, divertissante et attentionnée, mais pas de s’interroger sur la répartition des tâches domestiques ou de la charge mentale que l’on sait encore très inégalitaire au détriment des femmes au sein des couples hétéro), appel au cinéma de genre (le combat façon science-fiction pour illustrer le combat contre le cancer), l’académie des oncles (j’ai l’impression que je suis seule à y voir une référence au clip de la chanson Balance ton quoi d’Angèle), montage rapide pour (re)présenter et (re)situer les personnages qui débarquent dans l’histoire ou pour fournir un contexte en flashback, arrêt sur image et déambulation des acteurs dans les décors pour montrer un autre point de vue, présence d’objets insolites comme les feuilles qui virevoltent autour du voisin Jean-Jacques (Jean-Paul Rouve) pour illustrer qu’il sélectionne une anecdote à raconter, etc. La comparaison avec le film de Jean-Pierre Jeunet Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (2001) s’impose.

Cette mise-en-scène dynamique, visuellement très riche et imagée, permet à la série d’interroger son propre concept : le narrateur « Je » va apprendre à se taire (Pierre Langlais, Télérama) (oh, à peine), se décentrer et écouter les autres. Ce qui passe pour une « déconstruction masculine » dissimule le vrai propos : la série confond développement personnel (ici, masculin) et réel changement systémique. Elle est l’équivalent d’un don que l’on fait à une œuvre de charité pour se déculpabiliser. Et j’ai bien peur que ce constat ne s’étende aux spectateurs : se rendre compte de son égocentrisme, comme le fait le personnage principal, ce n’est pas du tout pareil que de repenser les dynamiques inégalitaires et toxiques qui dominent encore notre société patriarcale et en quoi nous y contribuons. L’exemple le plus frappant est sa relation avec Billie, l’ex-petite amie de Ben (Mikaël Alhawi), le meilleur ami de « Je », qui déploie une personnalité et un comportement tout ce qu’il y a de plus violent, coercitif et harcelant envers Billie. Ben propose que Billie emménage chez « Je », ainsi « il pourra bien la surveiller ». « Je » n’interpelle pas son ami, ne relève pas à quel point cette remarque est problématique. Pire, « Je » n’arrête jamais le comportement répréhensible de son ami : il laisse Ben entrer dans leur appartement, Billie se réfugie dans sa chambre, Ben lui crie dessus. « Je » ne respecte pas Billie : ni ses limites, ni son bien-être mental, ni même sa sécurité. Il commence seulement à se remettre en question quand il y voit un intérêt propre : il développe des sentiments pour Billie, ils couchent ensemble et il tombe amoureux, alors seulement il va s’opposer à Ben. Si l’on voulait une illustration du fameux « boys club » (l’entre-soi masculin qui permet aux hommes de se protéger entre eux, de défendre leurs amis agresseurs, et de remettre systématiquement en cause la parole des femmes qui témoignent de violences), on n’aurait pas pu trouver mieux. Le personnage de « Je » traverse des épreuves (notamment le deuil de son père), il est faillible, il peut se montrer attachant et la série est très drôle par moment, mais il reste à mes yeux un lâche narcissique qui agit avant tout comme un leurre : (anti)héros « de toute une génération » (Honorine Letard, L’Humanité), il est une caution pour de nombreux hommes qui y verront l’opportunité de se dédouaner de réels changements structurels et estimeront, à la place, qu’être un « homme déconstruit », c’est demander à une femme comment elle va et pardon à une autre.

Vous associez l’introspection psychologique (qui se fait passer pour une déconstruction de la masculinité toxique) à un héros qui entretient un lien nostalgique, voire émotionnel avec son public qu’il retrouve plus d’une décennie plus tard, le tout dans un univers richement illustré, proche des références geek, et visuellement énergique (à défaut d’être novateur) et vous obtenez l’adoubement de la majorité de la critique francophone. Tous ces éléments m’interrogent sur l’état d’avancement de nos luttes féministes. Si bref.2 est emblématique du discours dominant (ne pas penser au-delà de son cas personnel) et tant plébiscité, c’est qu’on n’avance pas du tout. C’est pour ces raisons que je ne souscris pas à l’argument défendu par certaines et certains qui apprécient qu’une série populaire comme bref.2 existe car elle décortiquerait la masculinité toxique (comme je l’ai dit, elle ne fait qu’à peine l’effleurer) et donc permettrait à une grande partie de son public de commencer à remettre en question certains de leurs propres comportements problématiques (Le Parisien titre : « une série d’utilité publique »). On en reviendrait presque à la polémique de l’été 2023 autour du film Barbie de Greta Gerwig : une œuvre très populaire, aussi imparfaite soit-elle, ne peut-elle pas aller dans la direction du féminisme ? Si bref.2 initie un début de conversation, n’est-ce pas « déjà ça » ? Bref, je trouve qu’on se contente de bien peu…

L’autrice tient à remercier ses amies Amandine, Krisztina et Florian avec qui elle a pu échanger au sujet de la série.


générique


Polémiquons.

  • Merci pour cette lecture.
    Pour ma part, j’ai apprécié cette saison 2. Je ne l’ai pas abordée en me disant que j’allais voir le parcours d’un homme déconstruit, mais juste un bon divertissement. J’ai bien aimé les inventions visuelles et la dimension poétique, comique et psychanalytique. Bien qu’étant femme, je me suis reconnue dans les défauts et impasses de plusieurs personnages masculins. C’est peut-être aussi générationnel ou simplement universel.
    Ce qui m’a le plus gênée d’un point de vue féministe : le personnage de Marla, peu développé (je n’ai pas vu tous les épisodes de la saison 1, donc je n’en sais pas plus sur elle) et qui semble surtout être un faire-valoir. En particulier la séquence idyllique où elle cueille des fleurs en robe blanche, avec ses longs cheveux blonds (cliché romantique : allo ??) et où elle félicite chaleureusement le protagoniste pour ses progrès relationnels. Cela m’a paru complètement artificiel, et je me suis demandé si c’était un fantasme ou la réalité. L’intention n’était pas claire.
    Je n’ai pas trouvé que le super-papa était si super que cela. C’est sans doute le contrepoint du père castrateur du héros, mais il me paraît toxique à sa façon, dans le sens où il fait de sa fille une princesse inapte à vivre dans le monde réel (il faut lui épargner toute contrariété, la combler à chaque instant ...). Là encore, je ne sais pas si c’est conscient.
    Pour l’académie des tontons, j’ai eu la même référence que vous en tête : il faut rendre à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre ! Ils ont bien développé l’idée. Cela ne me paraît pas un tort d’avoir des sources d’inspiration, à condition d’en faire quelque chose. Aucune oeuvre n’est vierge de ce qui a précédé.
    Quant à la lenteur des avancées féministes ... Moi aussi cela me désole quand je vois que la planète se dégrade plus vite que la cause féministe n’avance, ce qui compromet largement les chances de voir advenir un monde égalitaire. Cependant il faut réaliser que la maîtrise de la contraception n’a pas cent ans. Cela ne fait pas si longtemps non plus que les femmes ont accès à l’instruction secondaire et supérieure sans restriction. A mon sens, il ne peut pas y avoir de véritable révolution féministe sans ces deux acquis. Donc, si on met en balance des millénaires de sujétion et même pas cent ans d’émancipation, on s’étonne moins, et même, on trouve que cela progresse vite ! :)

  • Bonsoir,

    Je suis lauryn, j’ai 25 ans et bref c’était mon adolescence. Je récitais les répliques, j’en parlais à mes potes et j’avais une espèce d’admiration pour kyan kohjandi.
    Du coup j’ai regardé bref 2. j’aurais pas dû. En tant que femme de 25 ans, pour moi bref 2 c’est vraiment l’histoire d’un mec qui découvre qu’il y’a d’autres choses en dehors de sa vie. C’est profondément chiant, n’en déplaise au grand fan. Pour moi, il n’y a eu aucune évolution entre la saison 01 et la saison 02.
    C’est chiant de le voir comprendre que oui il a fait du mal à des ex, oui il n’aurait pas dû avoir un complexe d’infériorité par rapport à son frère, oui il devrait trouver quoi faire de sa vie
    Il a 40 ans, pas 21 ou 25. 40 et il se pose les mêmes questions que dans la saison 01. Je suis déçue personnellement.

  • Rohlala merciiii, je me pensais seule à ne pas avoir succombé à cette fable dont la morale ne me fait pas plus envie que le contenu...
    et je manquais pas mal de mots pour le dire. Merci merci !!!

    Un argument de plus pour moi : l’impossibilité TOTALE de penser l’amitié homme/femme dans un contexte hétéropatriarcal comme une fin en soi... La seule révolution que je voyais dans ce bref 2 c’est cette amitié sans ambiguité avec Billie. Même ça ils l’ont raté :( (et non Marla compte pas non plus c’est son ex 🤡)

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