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Albert Dupontel

Adieu les cons


>> Geneviève Sellier / lundi 24 mai 2021

Une femme s'élève contre la bureaucratie mortifère


Disons-le d’entrée : Adieu les cons est un film jubilatoire, mené à un rythme d’enfer (ce qui est la marque de fabrique de Dupontel), mais profondément d’actualité par son humour noir, son burlesque échevelé qui cache un vrai désespoir social.

Comme dans 9 mois ferme, c’est une femme qui mène la danse, et c’est ce qui donne à ces deux films de Dupontel leur épaisseur humaine, plus que dans les autres films du même auteur/ réalisateur (Bernie, Le Créateur, Enfermés dehors, Le Vilain, Au revoir là-haut).

Suze Trappet (Virginie Efira) apprend qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle mortelle (coiffeuse, elle a trop inhalé la laque en spray qu’on met sur les cheveux pour « faire tenir » les coiffures), et décide de consacrer le temps qui lui reste à retrouver l’enfant qu’elle a eu à 15 ans, et que ses parents l’ont forcée à abandonner trente ans plus tôt. On comprend tout ça à travers des scènes muettes en accéléré dont le burlesque ne nous empêche pas d’être en empathie avec l’héroïne. Les effets visuels et sonores dont est truffé le film font partie de la jubilation qu’on éprouve à le voir.

En parallèle, nous assistons aux déboires d’un informaticien de génie qui gère la sécurité des bâtiments d’un ministère, mais se trouve remercié au profit de cadres plus jeunes qu’il doit former. Désespéré, il organise son suicide dans son bureau, mais la carabine qu’il a pointée sur lui dévie et blesse le fonctionnaire qui dans le bureau d’à côté, explique à Suze qu’on ne peut pas retrouver son enfant né sous X parce que son dossier est trop ancien pour avoir été informatisé.

C’est le début d’une course contre la montre, et surtout contre l’appareil d’État, où Suze doit arriver à convaincre l’informaticien suicidaire de l’aider à retrouver ce dossier ; ils sont bientôt rejoints par M. Blin (Nicolas Marié) le fonctionnaire, aveugle à la suite d’une bavure policière, qui a en charge les archives, littéralement enterré au sous-sol du bâtiment…

Les situations absurdes que vivent nos personnages renvoient à des maux très réels de notre société, l’informatisation généralisée, l’obsession sécuritaire, l’exclusion des « seniors », l’arrogance mêlée d’obséquiosité des petits chefs, la brutalité policière, la bureaucratie kafkaïenne, etc. tout ce qu’on pourrait résumer par le terme de déshumanisation.

Chacun des trois protagonistes va peu à peu reconquérir son humanité à la faveur de la recherche de l’enfant perdu, que sa mère biologique va sauver en l’arrachant aux écrans informatiques…

Derrière cette histoire, pointe une critique de la masculinité hégémonique, celle de la course au pouvoir, à l’efficacité technologique, où la réussite est synonyme d’écrasement des autres (et de l’humain en soi). C’est l’héroïne qui dans sa quête d’une maternité confisquée va sauver tous ces hommes aveuglés symboliquement ou réellement par les écrans qui leur cachent la réalité.

Les rondeurs et le sourire bienveillant de Virginie Efira expriment, encore mieux que le corps et le visage anguleux de Sandrine Kiberlain (qui était l’héroïne de 9 mois ferme), cette aspiration à plus d’humanité…

Comme dans Thelma et Louise, on ne peut échapper à ce monde totalement déshumanisé que par la mort librement consentie, et ensemble… On sort du film avec un sentiment mêlé de tristesse et de jubilation, comme s’ils avaient gagné !


générique


Polémiquons.

  • Wow, je sors de la séance avec un avis pour une fois radicalement différent du vôtre ! tout arrive.

    • le personnage aveugle qui sert de punching-ball avec ses blagues à deux balles, genre se prendre des murs... la blague c’est... qu’il est handicapé ? c’est bien ça la blague ? ou j’ai raté qqch ?
    • une parentalité qui est naturalisée et légitimée par la seule et unique filiation génétique, comme si ça créait un lien parental qui irait de soi... (si je rentre dans le détail de qu’est-ce qui m’a gêné et pourquoi ça risque d’être long, alors peut-être une autre fois)
    • la situation de stalking assez hardcore qui semble complètement passer à la trappe dans cette scène de l’ascenseur tellement malaisante, et qui suggère que la jeune femme stalkée non seulement n’en tient aucune rigueur à son harceleur mais est bien commodément attendrie et séduite par l’aveu de ses sentiments ?!
    • et un baiser volé à la fin, c’est une agression sexuelle pour rappel, qui n’est pas présentée comme telle dans le film bien qu’il n’y ait eu aucun flirt explicite de Efira envers Dupontel de tout le film ? (ou alors j’ai vraiment pas fait attention ?)

  • @Milu
    J’ai vu ce film comme Geneviève Sellier, c’est-à-dire une fable à la fois sombre et bon-enfant.
    Donc je pardonne les blagues à deux balles (bien sûr il est aveugle, mais on croit qu’il va sortir élégamment vu sa bonne maîtrise de la canne).
    Pour le lien parental, on remarquera que Suze n’en abuse pas, le voir bien intégré (selon elle) lui suffit. Mais on pourrait dire qu’elle fait du stalking ;-)
    A propos de stalking (j’enrichis mon vocabulaire, merci wikipédia), j’y apprends qu’il faut intrusion, menace et peur (chez la victime).
    Heu, il y a tout ça, c’est bien sûr ?
    Quand au baiser volé, je n’ai pas vu le vol, et je croyais pour ma part qu’il viendrait plus tôt ;-)
    Mais si on veut chercher et trouver des comportements, comment dire, inappropriés, on pourrait aussi parler de kidnapping et de chantage.
    Personnellement, deux choses m’ont parues discutables, la toute puissance du hacking quand il est du bon côté, et la scène de l’ascenseur, vraiment trop too much. Mais :
    1. on peut le voir comme une parodie des happy end américains
    2. c’est une fable.

  • Moi ce qui m’a intéressé (et déçu) dans l’épisode de l’ascenseur c’est qu’on voit Suze intervenir lourdement dans la vie de "son" enfant avec un côté très infantilisant, la seule justification étant que c’est pour son bien, ça vous avez l’air de le reconnaître, et que cette intervention s’avère remarquablement positive.

    or n’aurait-il pas été plus intéressant, subversif (et potentiellement source d’humour) que cette intrusion soit au contraire catastrophique ?

    plein de pistes possibles s’offraient à Dupontel, lui qui est censé ne reculer devant aucune subversion.

    Adrien aurait pu découvrir, en parlant enfin avec Clara, qu’il n’avaient en réalité rien à se dire, qu’il avait aimé une image déconnectée de la personne réelle. comme twist, ça envoyait tout aussi bien le message de "c’est bien de parler aux gens dès le début en fait".

    Clara, qui dit pourtant avoir été perturbée par les attentions plus ou moins discrètes d’Adrien (lettres et fleurs anonymes, le fait d’avoir remarqué qu’il la suivait), aurait pu profiter de cet aveu pour l’informer qu’elle avait trouvé ça glauque et l’envoyer chier.

    Ce personnage de Clara n’a aucune fonction dans le scénario à part être un faire-valoir d’Adrien. En acceptant avec enthousiasme les avances enfin explicites d’Adrien, elle valide le fait qu’il n’a rien fait de mal.

    Or vu le peu de cas que Dupontel fait des questions de vie privée face à sa toute-puissance de hacker (...de cinéma, on est d’accord...), je me demande jusqu’où Adrien a poussé son espionnage de la femme qu’il aime en secret ? s’il est allé jusqu’à louer un appart près de chez elle pour la suivre dans la rue (ce qui est en soi carrément malsain, vous ça ne vous choque pas ?!) est-ce qu’il a eu le tact de ne pas épier sa vie publique voire privée en ligne ?

    Je crois que profondément, ce qui m’a attristé dans cette sous-intrigue d’Adrien et Clara, c’est qu’elle semble accepter et enjoliver le fait qu’une histoire d’amour qui commence par des sentiments d’un homme envers une femme à qui il n’a jamais parlé, mais qu’il va épier et traquer obsessionnellement, c’est OK, ça mérite un happy end— et que ça ne constitue pas, par exemple, une série de signals d’alerte, une situation inquiétante qu’il serait bon de pointer du doigt comme malsaine.

    C’est romantiser une forme de rapport humain qui, à moi du moins, me semble affligeante, pauvre, et aussi très inégale (car lorsque Adrien déclare sa flamme, il en sait bien plus sur Clara qu’elle n’en sait sur lui).

    Quoi qu’il en soit, pour reparler de parentalité, le fait que cette ingérence de Suze dans la vie d’Adrien soit un succès sans équivoque est un choix de scénario étonnant, et donc très délibéré. Pour moi, ça vient valider, dans le film, une certaine naturalité du lien biologique parent-enfant. C’est une idée qui personnellement me tend, parce qu’elle est en fait très répandue (donc encore une fois aucune subversion) et potentiellement bien réac. "un papa, une maman", vous voyez ? je ne pense pas que Dupontel soit homophobe mais je me demande s’il a bien réfléchi à quel imaginaire cette conception essentialiste du lien parent/enfant biologique se référait, et à quelles réalités il excluait. Plus largement, ce discours, qui accorde spontanément, "naturellement" une place prééminente à la filiation génétique, se traduit par des clichés très répandus dans les situations d’adoption et de dons de gamètes. C’est un moulin qui a déjà bien assez d’eau comme ça.

    Selon moi ça n’aurait rien enlevé au côté tragique et poignant de la quête de Suze que de montrer qu’elle ne partageait rien avec son fils adulte, qu’elle ne pouvait pas, en se parachutant contre son gré dans sa vie, jouer un rôle que personne d’autre de ses proches n’était en mesure de remplir, comme si son amour de mère biologique transcendait le fait qu’elle est, objectivement, une totale étrangère dans la vie de ce jeune homme.

  • @Milu again
    Je dois avouer que je suis bien obligé d’être à peu près d’accord avec vous ;-)
    Je ne me souviens pas d’Adrien suivant Clara (Il la regarde passez en vélo ou en trottinette, je ne me souviens plus, et il se met en route à pied me semble-t-il). Mais c’est vrai que c’est ambigu, et que Clara fait un peu la moue dans l’ascenseur.
    Je reconnais aussi que la fin du film apparait un peu bâclée, et qu’on pouvait imaginer une issue moins waltdisneysque (Bon, ils meurent quand même tous les deux à la fin, comme pour compenser).

    Cela me fait penser à la fin de Marius et Jeannette, où le meilleur pote les ligote (toute une nuit je crois, et il me semble en outre qu’ils étaient alcoolisés), pour qu’ils découvrent enfin au petit matin qu’ils forment le couple idéal (gros malaise chez moi pour le coup).

    PS : mon expérience de la parentalité, c’est un enfant biologique et un enfant adoptée, et un divorce. C’est peut-être pour ça que je veux croire aux fables ;-(

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