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Ce que les films m’ont appris sur le fait d’être une femme


Manohla Dargis / vendredi 28 décembre 2018

Manohla Dargis est co-rédactrice en chef de la rubrique cinéma du New York Times.

Le site Le Genre & l’écran remercie le New York Times et l’autrice de cet article de nous avoir autorisées à le traduire. (traduction de Geneviève Sellier)

Sur le NYT


L’un des baisers les plus enchanteurs du cinéma est dans L’Homme tranquille (The Quiet Man), un film classique de John Ford. Maureen O’Hara joue une villageoise irlandaise qui tombe amoureuse d’un Irlandais-Américain incarné par John Wayne. Ils se rencontrent d’abord alors qu’elle surveille ses moutons pieds nus, et dans un premier temps, ils échangent surtout des regards. Mais une nuit il découvre que cette femme volontaire a pénétré dans sa maison. Elle court vers la porte. Il l’attire vers lui. Ils luttent, et alors qu’il tient son bras droit derrière son dos, son bras gauche s’amollit. Il se penche pour l’embrasser en l’enveloppant. C’est exquis, mais certains pourraient appeler ça du viol.

Enfant, j’étais fan de cinéma et j’ai beaucoup appris en regardant les films, y compris des choses sur les hommes et les femmes que j’ai dû ensuite désapprendre ou apprendre à ignorer. J’ai appris que les femmes doivent être protégées, contrôlées et laissées à la maison. J’ai appris que les hommes dirigeaient et que les femmes suivaient. Ainsi, alors que j’adorais Fred Astaire, j’aimais simplement sa partenaire de danse, Ginger Rogers. J’étais charmée par son sourire malicieux et éblouie par la courbe de sa taille lorsqu’elle se penchait dans ses bras. Mais je l’ai vue comme une femme dans les bras d’un grand homme, un message que je n’ai pas appris seulement à travers les films.

Dans le premier livre sur le cinéma que j’ai lu The Fred Astaire & Ginger Rogers Book, la critique Arlene Croce écrivait sur le numéro Astaire-Rogers : « La façon dont elle regarde sans un mot cet homme merveilleux avec qui elle danse, est exaltant pour lui, pour elle et pour tout ce que nous voyons. » Croce me promettait : « Seuls les films musicaux de Fred Astaire peuvent nous faire rêver comme ça. » La métaphore du rêve est séduisante sauf si vous vous souvenez que les femmes sont souvent traitées de rêveuses. Depuis la vague Harvey Weinstein et #MeToo, j’ai beaucoup réfléchi sur la façon dont les films m’incitent rêver, y compris l’image d’un baiser forcé et tout ce que ça signifie sur les femmes et le cinéma. Je me suis demandé ce que j’avais appris d’autre dans les films.

Ce que les lectrices (du New York Times) ont appris dans les films

Nous avons demandé aux lectrices ce que le grand écran leur avait appris sur le fait d’être une femme. Voici quelques réponses :
 
« C’est OK d’avoir de la voix si vous êtes une femme. On n’a pas besoin de se sentir petite, sans importance ou incapable juste parce que les autres gens dans votre vie vous donnent cette impression. » Cleo Padadopoulos, NY City, à propos de La Revanche d’une blonde (Legally Blonde, 2001)
 
« Les filles gentilles sont ennuyeuses. Les méchantes ont le pouvoir. » Erin Courtenay, Madison, Wis., à propos de Grease (1978)
 
« Les femmes – même les jeunes femmes – peuvent commander. Princesse Leïa était une dure à cuire. Pratiquement tout ce qu’elle fait dans le film aurait pu être fait par un homme. » Jan Combopiano, Brooklyn, à propos de La Guerre des étoiles (Star Wars, 1977)
 
« Les femmes peuvent être courageuses même quand elles ont peur. » Susan Davies, Fort Smith, Ark., à propos de Norma Rae (1979)
 
« Le cinéma m’a appris que la société blanche dominante voyait les femmes noires principalement comme des gardiennes, dans tous les sens du mot. » Donna Bailey, NY, à propos d’Autant en emporte le vent (Gone with the Wind, 1939)
 
« Je n’ai jamais vu une femme aussi téméraire et puissante. Au cas où je me trouverais dans une situation stressante, je suis sûre que je penserais : comment Ripley affronterait ça ? » Gabrielle Zucker, San Francisco, à propos d’Alien (1979)
 
« Ce qui m’a frappée, c’est qu’elle assume sa féminité et l’utilise comme un pouvoir, sans avoir, quasi littéralement, à faire semblant d’être un homme. » Shalini Chudasama, Atlanta, à propos de Mulan (1998)
 
« Les femmes font de bonnes partenaires si elles sont conventionnellement « chaudes ». En tant qu’adolescente, ce message m’a vraiment pénétré le cerveau. » Sara Sousa, Portugal, à propos d’Elle est trop bien (She’s All That, 1999)

Cela m’amène à Mae West, dont j’arrivais à peu près à imiter la voix quand j’avais dix ans. Je ne comprenais pas tous ses double-sens et j’étais trop jeune pour comprendre son humour camp. Pour moi, West était belle, drôle, grande gueule et généreusement enveloppée (c’est-à-dire bien en chair, comme moi). Elle avait les meilleures répliques, Cary Grant l’adorait et sa verve et son assurance obligeaient tout le monde à la suivre. C’est seulement adulte que j’ai appris qu’elle avait négocié pour contrôler largement les aspects créatifs de ses films, et que sa vision de la sexualité féminine en a fait une cible, y compris chez les censeurs d’Hollywood. Cela met son culot en perspective ; on le ressent comme la revendication d’être une grande gueule.

Les films nous enseignent toute sorte de choses : comment viser, sur qui fantasmer (tous les princes apparaîtront), comme fumer, s’habiller, entrer dans une pièce (toujours comme Bette Davis). Ils nous enseignent qui aimer et comment, et aussi la nécessité évidente de sacrifier l’amour à la carrière. Ils nous apprennent aussi que prendre une douche, faire du babysitting, être dans un parking souterrain ou simplement être une femme peut vous faire tuer. Il n’y a pas de relation de cause à effet entre le comportement du spectateur et l’écran. Il ne doit pas y en avoir. Parce que les films pénètrent dans notre corps, nous font hurler et pleurer, pendant que leurs histoires et leurs images, leurs idées et leurs idéologies laissent leur empreinte.

Leçon 1 : Les femmes sont là pour être embrassées

Les relations entre les femmes et le cinéma ont toujours été particulièrement chargées et pas seulement parce que le cinéma implique souvent ce qu’on appelle le regard masculin. Très tôt, les femmes ont participé à la fabrication des films américains comme réalisatrices, comédiennes ou consommatrices. Mais quand les films sont devenus parlant, les femmes ont été largement écartées des postes de direction. Hollywood a continué à inventer des fantasmes, mais les femmes audacieuses du cinéma des premiers temps qui avaient été les héroïnes de leurs propres histoires furent en grande partie remplacées par des types féminins domestiqués plus familiers. Pendant une grande partie de l’ère classique, les films ont promu la romance comme une aspiration féminine, avec des histoires scellées par un baiser « pour toujours ».

Il y a un grand nombre de baisers cinématographiques : séduisant, chaste, dramatique, enjoué, érotique, parental. Certains sont réciproques, d’autres moins. Le baiser forcé de L’Homme tranquille a été populaire dans le cinéma hollywoodien jusqu’à assez récemment. La plupart des baisers forcés traduisent une relation érotiquement chargée, à la limite ou carrément violente, entre une femme et un homme qui se tournent autour, s’amusent à se défier, se moquent l’un de l’autre avant de s’engager dans une relation intime. Et même si parfois un baiser n’est qu’un baiser brutal suivi d’un fondu au noir, il évoque aussi la violence sexuelle et le viol que les censeurs du Code de production ont étroitement contrôlés de 1930 à 1960.

Le baiser forcé peut comporter des nuances ; cela dépend beaucoup du film et du point de vue, de ce qui vous excite au cinéma et ailleurs. Dans Le Port de la drogue (Pickup on South Street) de Samuel Fuller, le pickpocket joué par Richard Widmark frappe si fort l’intruse Jean Peters qu’il l’assomme. Il ne sait pas qui il a assommé parce que la lumière est éteinte. Bientôt, ils se mettent à fumer dans une atmosphère de violence érotique. Dans Blade Runner, le flic incarné par Harrison Ford poursuit l’androïde Sean Young, claque la porte qu’elle a ouverte, l’attrape et la pousse contre une fenêtre. Il lui ordonne de l’embrasser et elle obéit. Dans Baby Boom, Diane Keaton qui incarne une ex-femme d’affaires citadine des années 80 raconte comment le vétérinaire local Sam Shepard l’a embrassée en la poussant contre sa voiture.

Le baiser forcé suggère une vision du monde qui n’est plus tout à fait ou au moins consciemment acceptable, étant donné les lois actuelles sur le consentement et les initiatives comme « Yes means yes ». Et c’est seulement à cause de #MeToo que j’ai réalisé à quel point les baisers forcés étaient fréquents et que la plupart du temps je ne m’en suis pas rendu compte. Maintenant, cela me frappe et me rappelle que la violence sexuelle et sa menace ont été magnifiquement mises en scène : dans les films c’est une façon de représenter les relations entre hommes et femmes. Cela ne m’a pas amené à rejeter certains films et certains réalisateurs. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de censurer le désir, mais de comprendre le cinéma.

Leçon 2 : les femmes méritent une fessée

Dans les films, la domination masculine comporte quelquefois des punitions qui sont montrées comme drôles. Dans L’introuvable rentre chez lui (The Thin Man Goes Home), Nick Charles donne une fessée à sa femme Nora avec un journal et elle plaisante à propos du fait de battre sa femme. John Wayne donne une fessée à Elisabeth Allen dans La Taverne de l’Irlandais (Donovan’s Reef), et à Maureen O’Hara dans Le Grand McLintock (McLintock !). L’un des scénaristes a déclaré : « L’ingrédient de base dans un film de John Wayne, c’est une dame distinguée avec de gros seins que Duke renverse sur ses genoux et fesse ». Dans Sous le ciel bleu d’Hawaï (Blue Hawaii), Elvis sauve une femme qui voulait se suicider puis lui donne une fessée magistrale. Après quoi, ils mangent joyeusement ensemble, elle assise sur des coussins, sans doute parce que son derrière est douloureux.

Dans le film Cinquante Nuances de Grey (Fifty Shades of Grey), la domination sexuelle a été banalisée et un donjon dessiné par un décorateur fait simplement partie d’un mode de vie ambitieux pour des hétérosexuels terriblement ennuyeux. Perversion mise à part, les films traitent de l’ambivalence des rapports de pouvoir entre hommes et femmes, aussi évidente dans les films construits sur un personnage féminin que masculin, ces derniers dominant le box-office. Ce serait plus facile à accepter si moins de films cantonnaient les femmes dans la même catégorie genrée, celle de la femme qui attend, comme Pénélope, l’épouse d’Ulysse, qui reste à la maison pendant que lui part à l’aventure. Dans Au cœur de l’océan (In the Heart of the Sea), Charlotte Riley demande à Chris Hemsworth de lui promettre qu’il lui reviendra. Il le fait, hélas.

Leçon 3 : les femmes vivent pour soutenir les hommes

Dans Au cœur de l’océan, Riley incarne à la fois l’épouse qui attend et un autre stéréotype impardonnable : l’épouse encourageante – qui suggère l’hétérosexualité honnête du héros – et lui apporte son soutien. « Si tu ne parles pas pour eux, qui le fera ? » demande l’épouse incarnée par Gugu Mbatha-Raw à son mari pathologiste (Will Smith) dans Seul contre tous (Concussion). Il est à la veille de devenir un grand homme et elle est là pour l’aider à se réaliser. D’autres réalisateurs essaient de développer le rôle de l’épouse, comme Damien Chazelle dans le biopic sur Neil Amstrong First Man. Mais s’il donne du temps d’écran à Janet, l’épouse incarnée par Claire Foy, c’est son mari (Ryan Gosling) qui est envoyé sur la lune, et Chazelle ne parvient jamais à donner une égale importance à ces deux réalités.

Il essaie, essentiellement à travers la mort de son enfant, d’humaniser Neil. Mais en s’attardant sur l’impact du deuil sur Neil, Chazelle minimise Janet et son rôle dans la vie psychologique et émotionnelle de son mari. A la fin, la mort de l’enfant estompe toutes les autres morts dans la vie de Neil – toutes ses pertes – qui déplace First Man sur le terrain familier de ce qui devient une nouvelle histoire de sacrifice, de triomphe et de rédemption masculines. Comme beaucoup de réalisateurs, Chazelle s’embourbe dans le royaume domestique ici. Il échoue à montrer ce que ce voyage héroïque signifie pour les hommes qui partent et pour les femmes et les enfants qui restent derrière, une division que James Gray explore de façon radicale dans La Cité perdue de Z (The Lost City of Z.).

Leçon 4 : les femmes peuvent transcender les stéréotypes

Bien sûr, si les films étaient complètement mauvais, nous ne les aimerions pas, je ne pourrais pas les aimer. L’un des miracles est que malgré tout, ils nous proposent des personnages féminins sublimes qui dépassent souvent les stéréotypes dégradants et les abus punitifs dont elles sont victimes. Cette ambivalence nourrit Stella Dallas, le mélodrame de 1937, dans lequel la fille sympathique incarnée par Barbara Stanwyck souffre d’être ce qu’elle est. Mais Stella est indomptable, comme beaucoup personnages féminins mémorables, et sa force de volonté la rapproche d’héroïnes plus récentes comme Ripley dans la franchise Alien. La performance de Stanwyck ainsi que son charisme rayonnant et son humanité transmettent une plénitude de la vie féminine que de nombreux films ont essayé – et essaient encore – de nier.

Il y a quelques années, j’ai lu l’ouvrage de Molly Haskell publié en 1974 From Reverence to Rape (La Femme à l’écran : De Garbo à Jane Fonda, 1977) qui reste pertinent en tant que guide sur les raisons que les femmes ont d’aimer le cinéma sans renoncer à leurs convictions politiques et au respect d’elles-mêmes. Haskell observe que si l’industrie dominée par des hommes fait ce qu’il faut pour que les femmes restent à leur place, les écrivaines et les éditrices continuent à façonner le cinéma, comme les stars féminines. Ces déesses de l’amour, ces mères et ces martyres incarnent des stéréotypes qu’elles arrivent aussi de temps en temps à transcender. J’ai déjà appris cette leçon en regardant des films que j’ai passionnément aimés, puis détestés en grandissant, pour apprendre à les aimer de nouveau.

« Molly Ringwald n’a pas eu à changer pour devenir digne d’un garçon – il a dû changer pour finir avec l’héroïne. J’ai toujours été étonnée de ce qu’elle trouvait à Andrew McCarthy. » Heidi Mueller, Chicago, à propos de Rose bonbon (Pretty in Pink, 1986).
 
« A 12 ans, je haïssais mon corps. Voir quelqu’un sur l’écran qui me ressemble, s’aime, a tant de confiance en elle, m’a aidée. » Carolina Kammel, Durham, N.C., à propos de Ana (Real Women Have Curves, 2002)
 
« La violoncelliste autonome incarnée par Sigourney Weaver m’a appris qu’il y avait un avenir qui n’impliquait pas nécessairement le mariage et les enfants. » Clem Bastow, Melbourne, Australie, à propos de SOS Fantômes (Ghostbusters, 1984)
 
« Que je peux devenir aussi une astronome brillante, et que la science est aussi faite par et pour les femmes. » Rosana Hinojosa, via Instagram, à propos de Contact (1997).
 
« Ne laissez pas votre carrière marcher sur les pieds de votre homme. Il vous quittera. » J. Borg, New Jersey, à propos de Le diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada, 2006)
« Pour avoir du succès dans votre carrière, vous devez être méchante. Et si vous êtes méchante, alors vous ne pourrez pas trouver de mec. » Vaishnavi Vaidya, Philadelphie à propos Trente ans sinon rien (13 Going on 30, 2004)
 
« Que votre vie est finie le jour où vous vous mariez », Jennifer Hamlin, via Instagram, à propos de n’importe quelle comédie romantique depuis toujours.
 
« Les femmes qui ne se comportent pas modestement méritent le ridicule, le manque de respect et « tout ce qu’elles obtiennent », dans la plupart des cas, c’est de mourir en premier. » Mélanie Rogers, Anstralie, à propos de tous les films d’horreur depuis toujours.

Leçon 5 : Les femmes peuvent être des héroïnes

Quand j’étais enfant, cet amour était inconditionnel. Je regardais tout, souvent seule dans les salles (dans les années 70, mes parents de l’ère pré-hélicoptère ne dirigeaient pas ma fréquentation du cinéma). Alors, comme aujourd’hui, beaucoup de films que je regardais, traitaient d’histoires d’hommes. Mais j’ai toujours vu des femmes, les drôles et les tristes, les faibles et les fortes, celles qui survivent à la fin et celles qui meurent. J’ai adoré les actrices comme Cicely Tyson dans Sounder, une favorite des enfants, et Shelley Winters dans L’Aventure de Poséidon (The Poseidon Adventure), des personnages radicalement différents qui restent dans ma mémoire, parce qu’elles étaient fortes mais aussi parce qu’elles étaient fortes d’une façon identifiable comme humaine. Elles me semblaient réelles, comme des personnes, pas comme des ornements.

Le féminisme a compliqué mon amour des films et finalement l’a enrichi. D’abord, j’ai dû lutter avec les orthodoxies théoriques, y compris celles qui traient du plaisir visuel et du fait que les femmes dans les films n’existent que pour être regardées par les hommes. Une vie entière passée à regarder des films – et les femmes qui sont dedans – m’a appris le contraire. Ainsi j’ai découvert des réalisatrices comme Claire Denis (Chocolat) Julie Dash (Daughters of the Dust) et Kathryn Bigelow (Blue Steel) qui ont proposé des visions nouvelles de ce qu’une femme peut faire et être à l’écran. L’un des plaisirs que procure leur travail n’est pas que les histoires soient simplement inspirées par les femmes, mais que les femmes puissent être des héroïnes archétypales, un rôle encore le plus souvent joué par les personnages masculins.

C’est aussi la leçon que j’ai apprise d’un autre de mes films favoris, Thelma et Louise, même si les choses ne se sont pas bien terminées pour elles. Je préfère me concentrer sur tout ce qui se passe avant leur grand voyage dans l’au-delà, sur tout ce qui est fou et amusant. Bette Davies a regretté la fin de certains de ses films : « Les responsables des studios changeait la fin après que le film soit terminé aussi souvent qu’ils changeaient les titres – les deux au détriment de notre travail sur le film. » Elle avait raison, mais peu de fins à Hollywood parviennent à détruire les 85 minutes précédentes, si libératrices, si enthousiasmantes, quand des stars comme Davis ou West ou des personnages comme Thelma et Louise s’emparent du film ou le partagent comme Ginger Rogers.

Leçon 6 : les femmes peuvent être dangereuses

Cela ne surprendra personne qui me connaît (ou me lit), mais j’ai un penchant pour les femmes difficiles, elles m’attirent dans la vie comme à l’écran. J’ai une faiblesse particulière pour un type de femmes dangereuses, dérangées, les femmes fatales des films noirs comme Le Démon des armes (Gun Crazy) ou La Griffe du passé (Out of the Past).

Invariablement, les femmes de ce genre sont remises à leur place (dans un cercueil dans la terre). Mais dans beaucoup de films, elles représentent une vision du pouvoir féminin, même sexualisé ou pathologique. L’histoire dit une chose, quelquefois juste en un clin d’œil. Ces interprètes et ces personnages magnétiques traduisent la peur dominante des femmes (et du désir), mais avec une vision de la subversion féminine et une force de vie qu’aucun censeur ne peut expurger.

Cela me ramène à L’Homme tranquille. Ça va peut-être sembler absurde, mais j’aime profondément ce film malgré son sexisme et tout ce que j’ai appris par la suite du comportement abusif de John Ford vis-à-vis de Maureen O’Hara. En tant que metteur en scène, Ford malmène O’Hara, mais elle exprime une détermination qui dépasse de loin la vision du film de l’autorité féminine. En tant qu’actrice, elle ne peut pas tout contrôler, y compris la suggestion que les relations sexuelles sont une lutte pour le pouvoir. Mais le portrait sympathique de la détermination d’O’Hara - sa volonté évidente - est une vision de l’émancipation féminine en demi-teinte, qui donne au film sa véritable touche de réalisme.

Leçon 7 : les femmes peuvent être complices

Les femmes au cinéma sont souvent plus grandes et plus compliquées que les histoires racontées. Dans Autant en emporte le vent, un film où il y a plusieurs baisers forcés, la Scarlett de Vivien Leigh souffre, mais sa douleur est censée paraître plus profonde – et contribue à atténuer – les souffrances endurées par les personnages esclaves, y compris la Mammy de Hattie McDaniel. Par beaucoup d’aspects, Scarlett est l’antithèse du genre de femme victime que le cinéma adore encore, mais sa victoire n’est possible qu’à cause du racisme qui a longtemps été l’histoire en coulisses des femmes blanches à Hollywood. Une autre leçon douloureuse que les films m’ont apprise, est que ce n’est pas parce qu’une femme est victime qu’elle n’est pas coupable.

Leçon 8 : Les femmes peuvent parler

Ça m’a pris des années pour comprendre que je pouvais faire mieux qu’essayer d’ignorer, rire ou simplement protester contre le sexisme et le racisme des films et contre tous ces affronts sans nombre qu’il y avait dans les films – et qu’il y a toujours. J’ai appris à éprouver du plaisir malgré ces paradoxes et quelquefois avec eux, j’ai appris à voir au-delà de la dualité déesse-putain, et quelquefois à aimer à la fois les victimes qui minaudent et les mangeuses d’homme hargneuses. Je ne peux ignorer la laideur des films, laisser de côté le mauvais et les regarder sélectivement. Je préfère accepter que les films soient un moyen qu’ont les gens de donner un sens au désordre de la vie, et la plus grande chose que je puisse apprendre des films, c’est de refuser d’y renoncer, ainsi qu’à mes plaisirs tout aussi chaotiques.

Voilà autre chose que les films m’ont appris : ils donnent rarement raison aux femmes. Les baisers forcés et la plupart des fessées ne sont plus donnés librement, négligemment, mais la dynamique de pouvoir qu’ils représentent demeure. Au lieu de héros masculins solitaires, nous avons droit quelquefois à des caricatures de femmes puissantes, à des princesses ambitieuses brandissant les mêmes armes et prenant les mêmes poses que les guerriers. Quelquefois ces femmes ont des aventures ; d’autres fois, elles ressemblent à l’épouse du cinéma classique, principalement là pour encourager l’homme, sauf qu’aujourd’hui elle porte un pantalon au lieu d’un tablier. Leur statut de second rôle en dit long sur tout ce qui ne va pas au cinéma, c’est vrai, mais la faute n’en revient pas seulement au cinéma.


Polémiquons.

  • "J’ai une faiblesse particulière pour un type de femmes dangereuses, dérangées, les femmes fatales des films noirs". Moi aussi. Je vous conseille "romeo is bleeding", film scénarisée par une femme, avec lena olin et gary oldman. Le film violente les codes habituels et c’est assez rare. La dynamique de pouvoir n’est vraiment pas en faveur du pauvre gary Oldman dans ce film, c’est le moins qu’on puisse dire.