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Mikhaël Hers / 2018

Amanda


>> Geneviève Sellier / dimanche 2 décembre 2018


David, 24 ans (Vincent Lacoste) qui vit de petits boulots (élagage pour la mairie de Paris, employé d’une agence de location au noir), s’occupe occasionnellement de sa nièce Amanda (7 ans), que sa mère, Sandrine, professeur d’anglais dans un lycée, élève seule. Un attentat aveugle a lieu dans le bois de Vincennes, où Sandrine est tuée. David devra faire face à cette tragédie…

Voilà un film qui fait consensus au-delà du raisonnable : « Vincent Lacoste, déchirant ! » » (Première) ; « Amanda, le film de la maturité de Mikhaël Hers » (Télérama) ; « pudeur, art de l’ellipse et de la respiration, élégance, final mélodramatique parfaitement assumé » (Le Monde) ; « Amanda : un magnifique film sur les attentats et la résilience » (Les Inrocks)

Seul, Libération met un bémol à cet enthousiasme collectif :

« Mikhaël Hers impose la bonté de ses personnages comme une donnée que l’horreur rendrait incontestable, et il semble compter sur elle pour assurer notre totale empathie envers eux. Or il est si difficile d’échapper à cette gentillesse univoque, et soutenue par d’épaisses ficelles scénaristiques (une petite orpheline, des retrouvailles avec une autre mère absente, des personnages secondaires n’existant guère au-delà de leur fonction dans le récit, un tour de passe-passe final lourdement installé dans les premières scènes), qu’elle en devient presque une forme de roublardise. Le cinéaste force l’émotion en surjouant la simplicité, la sincérité, la maladresse, jusqu’à gommer toute aspérité. Il désire tellement que chacun reconnaisse dans ses personnages un ami, une sœur ou soi-même qu’il en fait des archétypes, socialement transparents, normaux jusqu’à l’ennui, n’éprouvant que des sentiments incontestables. Vincent Lacoste, impeccable, incarne à lui seul la spontanéité que ces intentions raidissent partout ailleurs. « Je voulais éviter tout quartier trop connoté par une classe sociale, je voulais filmer un Paris qui brasse, un Paris le plus ordinaire et quotidien possible, auquel tout le monde puisse s’identifier », déclare Mikhaël Hers dans le dossier de presse. Or un tel Paris n’existe pas, n’a jamais existé. Il est assez révélateur de constater combien les quartiers qu’il filme, de même que ses personnages, sont au contraire très connotés socialement. »

Je partage complètement les réserves de Marcos Uzal, et l’aveuglement de Mikhaël Hers sur les questions de classe, caractérise aussi son traitement du genre : le film se focalise en effet sur la figure de David, incarné par Vincent Lacoste, qui ne quitte quasiment pas l’écran, dans le rôle du petit frère aussi gentil que désinvolte (il va chercher sa nièce à l’école avec plusieurs heures de retard) qui vit de petits boulots et semble faire l’unanimité de ses contemporains, hommes, femmes et enfants. Cette figure de masculinité douce dépourvue de tout pouvoir social a la faveur du cinéma d’auteur français (Le Grand Bain, L’Amour flou, Nos batailles, Guy…) comme une dénégation tranquille du mouvement #MeToo. Ce garçon sympathique va révéler une sensibilité délicate et un sens des responsabilités à la limite du vraisemblable (un homme de 24 ans sans attaches et sans insertion sociale, qui accepte du jour au lendemain de prendre en charge une fillette de 7 ans… je demande à voir !). De plus, ce charmant jeune homme n’a ni mère ni père, mais plus fort encore, sa mère a abandonné le foyer familial quand il était tout petit, et lui et sa sœur aînée ont été élevés par leur père, décédé trois ans plus tôt… La tante, sœur du père, incarnée par Marianne Basler, ne semble exister que comme faire-valoir de David : on ne sait rien sur ses moyens d’existence ni son environnement familial, et elle disparaît du champ quand David décide de prendre en charge la gamine. Quant à la mère indigne, incarnée par Greta Sacchi, qu’il rencontre à la fin à Londres, on ne saura rien des raisons de son départ, vingt ans auparavant.

Un plan récurrent sur le carrefour Voltaire, confirme s’il était besoin qu’il s’agit bien de traiter des traumatismes provoqués par l’attentat du Bataclan. Mais le choix du personnage chargé d’incarner cette situation n’est bien sûr pas neutre : à travers cette histoire, le film valorise une figure aux antipodes de la masculinité hégémonique : la marginalité que David incarne est parfaitement rassurante, c’est celle des bobos : il circule sur un vieux vélo, vit de petits boulots, est en communion avec la nature (même quand il élague les arbres, c’est sur un mode doux : rien à voir avec la pratique habituelle qui consiste à transformer les branches en moignons…), a été un joueur de tennis classé mais ne l’est plus, il n’est en compétition avec personne… Le monde dans lequel il vit est sans classe (le propriétaire immobilier pour lequel il travaille au noir en échange de son loyer, paraît assez suspect, mais on n’approfondira pas cet aspect…) ; il n’a pas d’argent mais il n’a pas de soucis d’argent non plus… Il peut se payer le voyage à Londres pour assister aux championnats de Wimbledon, et sa nièce de 7 ans s’identifie tout naturellement au joueur en train de se défendre pied à pied sur le court (le tennis, ce n’est pas connoté socialement, comme on sait…).

Ses relations avec les femmes sont dépourvues de tout rapport de force : sa sœur est une mère de substitution, sans emprise et sans conflit de génération ; idem pour la tante ; le père est décédé ; quand il dit à sa sœur qu’il refuse de répondre à Alyson, on ne comprend pas tout de suite qu’il s’agit de leur mère qui propose de reprendre contact vingt après son départ… Comme c’est un gentil garçon, il finira par reprendre contact avec elle, par fidélité à la mémoire de sa sœur. Au moment où le drame arrive, il vient de rencontrer une jeune femme qui semble lui plaire (et réciproquement) mais elle est blessée au bras pendant l’attentat et, profondément traumatisée, décide de retourner chez sa mère à Périgueux où il va la voir pour la convaincre de revenir vivre avec lui à Paris. Consciente de sa fragilité, elle refuse pour ne pas l’encombrer alors qu’il doit prendre en charge sa nièce. Mais tout cela se passe sans qu’il n’y ait jamais un mot plus haut que l’autre… et dans la tendresse (elle lui propose de passer la nuit ensemble avant qu’il reparte pour Paris).

Cette histoire de résilience se passe dans un monde où les questions sociales n’existent pas : genre, classe, race, tout ce qui fait le cœur des problématiques d’aujourd’hui est absent de ce film où les petites filles sont blondes, les hommes sont gentils et responsables, et les femmes sont vulnérables ou défaillantes…


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