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Laurent Tuel / A2 / 2018

Speakerine


>> Marlène Coulomb-Gully / dimanche 27 mai 2018


Mini-série (6 fois 52 minutes) produite par France 2, réalisée par Laurent Tuel et écrite par Nicole Jamet, Véronique Lecharpy, Sylvie Saada, Valentine Milville et José Castiglione. Première diffusion : avril-mai 2018


Une bourgeoise ambitieuse et éprise de liberté (c’est la fameuse « speakerine » du titre éponyme), une adolescente rêvant d’être actrice et assassinée dans le cadre de ballets roses, une autre ado amoureuse et enceinte d’un homme deux fois plus âgé qu’elle, une lesbienne vieillissante et manipulée par une jeune intrigante (qui se révélera complètement schizophrène) prête à tout pour supplanter une autre femme, une maquilleuse bête à pleurer (elle est supposé faire rire), une pauvre femme pathétique, rapatriée d’Algérie et mère d’un simple d’esprit accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis ...

Sans doute, la mini série de France 2 ne se réduit-elle pas à cette décevante galerie de portraits féminins, et sans doute, ma présentation pêche-t-elle par excès de sévérité, mon incurable féminisme n’ayant pas trouvé son compte dans cette production pourtant prometteuse de notre télévision nationale.

Présentée à grand renfort de bandes annonces et autres interviews exclusives, Speakerine, sponsorisée par le magazine Fémina, est en effet selon France 2 « la série événement » de la saison, l’équivalent français du Mad Men américain. Il est vrai qu’on se laisse séduire par l’ambiance très « sixties » des décors et des costumes, par la trompette jazzie de la bande son, et par l’évocation des personnages et des émissions emblématiques des débuts de la télévision : les vachettes d’Intervilles et Guy Lux, Léon Zitrone, la paisible pendule aux formes arrondies qui scande le passage du temps, le petit train d’Interludes, etc. Le charme des images sépia fonctionne à plein.

Centrer la série sur la condition des femmes au début des années soixante était une excellente idée. Précédant les « années mouvements », cette période permet de saisir les tensions entre les revendications des femmes et la réalité d’un patriarcat encore absolu, parfaitement symbolisé par le personnage de de Gaulle, véritable statue du commandeur dont l’ombre plane sur l’ensemble de la série : sans cesse cité, mais jamais vu ni entendu, l’homme de droite, catholique et militaire incarne parfaitement les valeurs patriarcales de la société d’alors. Rappelons que jusqu’en 1965, les femmes mariées devaient demander à leur époux l’autorisation de travailler et d’avoir un compte chèque à leur nom !

Mettre en scène le couple Beauval permettait d’appréhender cette réalité conjointement dans l’espace domestique et professionnel : Pierre Beauval décide, avec les hommes de la RTF, du destin professionnel de la speakerine vedette qu’est Christine Beauval, comme il règne à la maison sur son épouse et ses enfants ... qui lui échappent peu à peu. Son fils ne répond pas aux canons de la virilité (il a refusé le service militaire et par conséquent de participer à la « sale guerre » en Algérie) et sa fille « tombe enceinte » suite à une liaison avec son meilleur ami ; quant à sa femme, outre ses ambitions professionnelles (lassée d’être une « potiche », elle souhaite réaliser une série d’émissions qui seraient consacrées aux femmes -évidente réminiscence de l’émission Les femmes aussi d’Éliane Victor-), elle le trompe avec Philippe, un jeune journaliste dissident de la RTF, sensible aux revendications féministes. Autant dire que ça branle dans le manche.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas dans cette série ? Qu’est-ce qui fait que malgré un joli casting et une proposition de départ intéressante, on n’accroche pas totalement ?
 [1].

Outre la galerie de portraits mentionnée plus haut, signalons en vrac et sans prétendre à l’exhaustivité, l’accumulation des intrigues que la série peine à mener à leur terme et le caractère invraisemblable engendré par cette accumulation : dans la même famille, la mère est victime de persécutions sur son lieu de travail et échappe de peu à un attentat, dans lequel est impliqué son propre fils, embrigadé par l’OAS et condamné à être exécuté, la fille voit sa meilleure amie assassinée et se retrouve enceinte : renonçant à avorter, elle se réfugie chez une femme qui se révèle être la pire ennemie de la famille, dérangée sur le plan mental (elle n’est pas « hystérique », mais souffre de troubles de la personnalité) ... et se retrouve séquestrée, avant d’être sauvé in extremis par notre police nationale.

Chez les Beauval c’est carton plein et on n’a pas besoin de 7 familles pour assurer le spectacle ! Trop, c’est trop, surtout quand gros plans et ralentis esthétisants viennent souligner la mise en scène et que le jeu de certains acteurs peine à convaincre (on pense en particulier à l’attitude constamment lasse et distante de la principale héroïne qui confine au procédé).

Alors, oui, c’était une bonne idée de mettre en scène ce personnage de speakerine, mais la mise en œuvre de ce projet, s’il s’agit d’en faire l’équivalent français de Mad Men demande encore quelques ajustements. On évoque une possible saison 2 : France 2, encore un effort !


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[1Marie Gillain – L’Appât - dans le rôle de Christine Beauval, Guillaume de Tonquédec - Fais pas ci, Fais pas ça - dans celui de son époux, Grégory Fitoussi –Engrenages- dans le rôle d’Eric Jauffret, la lumineuse Anne-Sophie Soldaïni joue la fille de la famille, Christine Millet -Les sœurs fâchées, Tangui, Le goût des autres... -, Barbara Probst à la troublante proximité physique avec la Joan Holloway de Mad Men, etc.