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Angela Robinson / 2018

My Wonder Women


>> Geneviève Sellier / lundi 23 avril 2018


Protestons d’abord contre l’habitude absurde des distributeurs de modifier le titre des films anglophones par un autre titre anglophone pour l’exploitation française. Ainsi le film de Spielberg The Post devient Pentagon Papers et le film d’Angela Robinson Professeur Marston and the Wonder Women devient My Wonder Women [1] ! Alors qu’un titre pertinent et attractif aurait pu être par exemple « La Naissance de Wonder Woman »…

Selon l’historienne américaine Jill Lepore [2], Wonder Woman a été inventée en 1941. Le communiqué de presse précisait : « Wonder Woman a été conçue par le docteur Marston dans le but de promouvoir au sein de la jeunesse un modèle de féminité forte, libre et courageuse, pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes filles la confiance en elles et la réussite dans les sports, les activités et les métiers monopolisés par les hommes. » Le texte indiquait aussi : « Le seul espoir pour la civilisation est une liberté accrue, le développement et l’égalité pour les femmes dans tous les domaines de l’activité humaine. »

My Wonder Women raconte l’histoire de cette invention.

Le récit est construit sur une série de retours en arrière à partir d’une audition de William Marston devant des représentant·e·s des ligues de vertu et autres lobbies familiaux qui lui reprochent les scènes de ligotage et de torture qui sont récurrentes dans cette bande dessinée censée s’adresser aux enfants. L’interrogatoire donne lieu à des remémorations du protagoniste (qui sont des apartés destinés aux spectateurs et non des réponses à ses accusateurs/trices) : ses débuts comme enseignant chercheur dans une université féminine, ses recherches sur un détecteur de mensonges en collaboration avec sa femme Elisabeth Holloway (qui, elle, n’a pas d’emploi qualifié malgré ses diplômes universitaires), l’embauche d’une jeune assistante de dix ans sa cadette parmi ses étudiantes, Olive Byrne, fille et nièce de féministes historiques, le coup de foudre réciproque du trio (y compris entre les deux femmes) qui se concrétise bientôt par une liaison peu discrète, leur renvoi de l’université à cause du scandale et l’installation du ménage à trois : Elisabeth devient secrétaire pour assurer un revenu régulier, pendant que lui écrit des livres qui se vendent plus ou moins bien, et qu’Olive reste au foyer pour s’occuper des enfants (chacune en aura deux) tout en écrivant dans des périodiques.

Marston qui a travaillé à plusieurs reprises pour les industries culturelles en tant que psychologue, propose à l’éditeur de comic books dont il est le consultant, de créer, pour répondre aux critiques concernant la violence des super-héros, une superhéroïne qui va avoir immédiatement un énorme succès ; le film nous fait comprendre que Wonder Woman n’est pas seulement une icône féministe, mais aussi un fantasme de Marston inspiré de ses relations avec les deux femmes de sa vie.

Mais c’est aussi un manifeste féministe tout à fait explicite. La part la plus scandaleuse de la vie du trio tourne autour des fantasmes de soumission que partagent Marston et Olive, et qu’Elisabeth accepte d’abord bon gré mal gré, avant d’y participer. Mais la fiction construite pour leur entourage, qu’Olive est la belle-sœur veuve de Marston que le couple héberge, va s’effondrer quand leurs jeux érotiques seront découverts. Bouleversée par le scandale, l’épouse chasse la maîtresse et ses deux enfants.

À l’issue de son audition qui se passe mal, Marston s’effondre et se retrouve à l’hôpital, où on lui diagnostique un cancer dont il mourra en 1947, à l’âge de 54 ans. Entre temps il a obtenu que ses deux femmes se réconcilient et elles vivront ensemble après sa mort.

Cette histoire étonnante est racontée sur un ton joyeux qui vise à valoriser cette expérience de polyamour. Mais pour ce faire, la réalisatrice qui est aussi la scénariste, a tendance à évacuer les contradictions inhérentes à ce genre de situation. Il semble par exemple que Marston ait d’abord imposé à sa femme la cohabitation avec son étudiante, sous la menace de la quitter (cette péripétie n’est pas dans le film : au contraire, leur relation commence par un coup de foudre entre les deux femmes).

De la même façon, le fait qu’elle soit contrainte de devenir secrétaire alors qu’elle avait fait elle aussi des études supérieures, n’est pas montré pour ce qu’il est, c’est-à-dire l’obligation de renoncer à ses ambitions professionnelles. Enfin, les jeux érotiques sado-maso sont à l’initiative de Marston et Olive, et Elisabeth s’y rallie bon gré mal gré. Les séquences érotiques à trois sont mises en scène de façon un peu trop « poétique », sans doute pour éviter tout voyeurisme, et le caractère très soft de la séance de bondage fait sourire…

Malgré ces réserves, il faut souligner que les deux actrices déploient une énergie et un charisme indéniable, et que cette histoire de la genèse de Wonder Woman a une dimension joyeusement subversive qu’on aurait du mal à trouver dans le récent blockbuster [3] du même nom [4].


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[1Un grand merci à Charles-Antoine Courcoux pour m’avoir signalé ce changement et pour notre discussion sur le film.

[2Autrice de l’ouvrage qui fait référence sur le sujet, The Secret History of Wonder Woman, New York, Penguin, 2014

[3réalisé par Patty Jenkins, 2017

[4Sur la place culturelle dans la culture populaire états-unienne de ces figures de femme puissante, voir l’ouvrage de Noël Burch, L’Amour des femmes puissantes. Introduction à la viragophilie, Paris, EPEL, 2015